Cinéma

Annecy 2016 - La longue histoire de la création de "La tortue rouge"

Date de publication : 14/06/2016 - 08:40

Le producteur Toshio Suzuki et le réalisateur Michael Dudok de Wit racontent la longue fabrication d'une œuvre incroyablement puissante qui a fait l'ouverture du festival lundi soir.

Pourquoi avez-vous voulu confier un film à Michael Dudok de Wit ?
Toshio Suzuki : J'ai vu son court métrage Father and Daughter et j'ai voulu aller plus loin avec lui. C'était une pure curiosité de ma part car j’ai compris tout de suite que Michael pouvait raconter la vie en 10 minutes. J’étais persuadé qu’il pouvait faire la même chose en long métrage de façon très naturelle. Il a accepté, à condition que Ghibli l'aide car il n’avait jamais fait cela. Et Takahata, qui connaissait déjà Michael, a participé au film en échangeant beaucoup avec lui.

Vous aviez un projet de long métrage prêt quand Ghibli vous a contacté…
Michael Dudok de Wit : J'avais de vagues idées mais ce n'était pas très ambitieux car j'aime le format court et j'étais un peu découragé en voyant autour de moi tous ceux qui luttent pour des projets qui n'aboutissent pas. Quand j’ai compris qu’il y avait une vraie possibilité de faire un film, j'ai recyclé une idée et j'ai commencé à écrire quelque chose de solide en forme de synopsis que j’ai alors envoyé à Ghibli. Il y avait déjà le naufragé sur une île déserte, avec la présence d’une femme, mais depuis cela a beaucoup changé.

Vous avez ensuite écrit le scénario rapidement…
MDdW : Relativement oui. En quelques mois. Vincent Maraval, qui a effectué l’interface avec Ghilbi dès le début, m’a beaucoup aidé avec des commentaires très pointus. À la fin de la période d’écriture, je suis allé aux îles Seychelles pour trouver des idées visuelles. Et puis, je suis allé au Japon pour leur raconter l’histoire. Et ils ont très vite dit oui.
TS : Au départ, Michael voulait écrire le scénario au Japon. Il a donc habité pendant plusieurs mois juste à côté de Ghibli. Takahata est venu le voir plusieurs fois et ils ont beaucoup échangé à cette période.

De quel poids ont pesé les différences culturelles dans vos échanges ?
MDdW : Elles sont difficiles à effacer mais nous étions reliés par des ponts énormes, à commencer par le fait que nous aimions réciproquement notre travail. En outre, Takahata aime beaucoup la culture française. Par ailleurs, nous avons eu la chance d’avoir une interprète 100% japonaise mais qui a longtemps vécu en Occident. Elle a été un trait d’union indispensable et m’a énormément conseillé.

Ensuite, toute la période de l’animatique a été très longue…
MDdW : Oui cela a pris du temps car c’est une partie très créative. Il y avait des milliers de dessins très précis, et traduire l'histoire en langage purement cinéma n'était pas simple. Il me fallait trouver des moments qui soient suffisamment forts. Et même si mon style est très épuré, je fais de toute façon toujours beaucoup de recherches pour trouver les plus beaux éléments. J’ai fait partiellement l’animatique dans mon studio à Londres mais aussi avec Prima Linea à Paris. Il fallait en effet une production déléguée en France. Wild Bunch a pensé à Why Not. Mais comme ils ne voulaient pas devoir monter un studio, ils ont fait appel à Valérie Schermann. J’ai aussi travaillé sur l’écriture avec Pascale Ferran. Et il a fallu avancer sur des plans tests pour déterminer la technique finale. Toute cette période a duré de fin 2007 à fin 2011. Mais à la fin, nous sommes arrivés à une animatique très détaillée, qui rendait déjà très bien compte de ce que pouvait donner le film.

Quelle technique finale avez-vous utilisée pour l’animation ?
MDdW : Du crayon et des décors au fusain coloriés numériquement. Le plus difficile est que c’est un style très réaliste aussi bien dans le design que les mouvements. Il fallait donc trouver de très bons animateurs. Et toute l’équipe, composée d’une petite cinquantaine de personnes, s’est installée dans les bâtiments de Prima Linea à Angoulème. Mais cela a pris encore du temps. C’était mon premier film, et se retrouver avec une grande équipe est un peu étouffant. Ensuite, ma nature me pousse à explorer encore et toujours, ce qui était possible car l’équipe était tout de même assez restreinte pour un film d’animation. Nous avons commencé en septembre 2013 pour finir à l’été 2015.

La musique est très présente. À quel stade l’avez-vous intégrée au film ?
MDdW : Je vais vous raconter une petite anecdote. Lors du Work in Progress à Annecy l’an passé, une équipe a filmé les spectateurs. Et en regardant ce qu’ils avaient fait, je me suis aperçu que le compositeur, que j’ai ensuite choisi, était déjà dans la salle. J’avais reçu plusieurs propositions et en fin de compte j’ai retenu celle de Laurent Perez del Mar. En outre, lorsque nous nous sommes rencontrés, la relation a été tout de suite très forte entre nous. C’est quelque chose qui n’est pas du domaine du rationnel. Ensuite, il a très vite compris qu’il fallait être relativement sobre et que ça ne devait pas être trop ethnique parce qu’on ne doit pas savoir où est l’île.

Le processus de production a été très long. Était-ce hors norme pour vous ?
TS : Au départ, nous pensions faire ce film en trois ans, ce que je trouvais déjà long et, finalement, nous avons mis huit ans. C'est tout à fait exceptionnel. Mais je m’attendais un peu à une aventure de la sorte.
MDdW : C’était tellement long que nous avions prévu que des gens quittent l’équipe en cours de route, par saturation ou fatigue. Mais, en fin de compte, c'est très peu arrivé.

Le film ressemble-t-il à ce que vous aviez en tête au départ ?
MDdW : Il y avait une grande part d’inconnu car ce n’est pas moi qui dessine. Donc je ne pouvais préjuger de l’aspect final. Mais, en même temps, j’étais très ambitieux. Je disais toujours que je ne voulais pas faire un beau film, mais un film extrêmement beau. Et en fin de compte, il est bien plus beau que tout ce que j’aurais pu imaginer.

Selon vous, comment le public japonais va-t-il recevoir un film produit par Ghibli mais réalisé par un Européen ?
TS : En fait, quand j’ai vu Father and Daughter, j’ai été frappé par la scène finale. Il y a quelque chose de très japonais là-dedans. Et je pense que le public japonais, à travers La tortue rouge va sans aucun doute ressentir quelque chose de très proche de sa sensibilité.

Propos recueillis par Patrice Carré
© crédit photo : 2016 Studio Ghibli - Wild Bunch - Why Not Productions - Arte France Cinéma - CN4


L’accès à cet article est réservé aux abonnés.

Vous avez déjà un compte


Accès 24 heures

Pour lire cet article et accéder à tous les contenus du site durant 24 heures
cliquez ici


Recevez nos alertes email gratuites

s'inscrire