Cinéma

Olivier Snanoudj (Warner Bros Ent. France) : "Il ne faut pas croire que les studios américains s’en sortiront plus facilement"

Date de publication : 20/03/2020 - 09:36

Retour, avec le président du Syndicat franco-américain de la cinématographie (Sfac), et SVP Distribution Cinéma de Warner Bros Ent. France, sur l’impact de la fermeture du parc de salles sur les filiales de majors américaines et les problématiques auxquelles le secteur de la distribution fait face en cette période de crise.

Comment les membres du Sfac s’organisent-ils face à la situation de fermeture du parc de salles ?
En tant qu’entreprise, chez Warner, nous avions inclus il y a un certain temps la possibilité du télétravail dans notre organisation. Dès la semaine dernière, nous avons préparé la mise en télétravail de l’ensemble du personnel suivant la directive mondiale de la maison-mère, qui anticipait un petit peu ce que le gouvernement français allait annoncer. Un peu comme tout le monde, nous avons pris les décisions au fur et à mesure, avec comme priorité la sécurité et la santé de nos collaborateurs. Nous essayons avant tout d’entretenir un contact régulier avec équipes en télétravail, car suivant les fonctions, ils peuvent être plus ou moins sollicités, et on sait par l’expérience de nos homologues italiens que la situation peut peser psychologiquement dans le temps. Notre accompagnement des employés est maximal et nous sommes déterminés à maintenir la continuité de l’activité. Plus globalement, il ne faut pas croire que les studios américains s’en sortiront plus facilement que les autres. Certes, notre modèle économique est important, mais les engagements financiers le sont tout autant. Cette situation n’est anodine pour personne.

Warner Bros. Ent. France fut le premier distributeur français à reporter une sortie, celle de Miss prévue au 11 mars. Quelles réflexions ont guidé ce choix ?
Nous voyions arriver l’épidémie de la Chine vers l’Europe, notamment en Italie où elle prenait une importance majeure. Et nous avons fini par être convaincus qu’il n’y avait pas de raison que la France y échappe. Nous avons pris cette décision de report au moment où elle était encore possible, soit une dizaine de jours avant la sortie. Elle est le fruit d’une discussion ouverte et constructive avec les producteurs, le réalisateur et l’équipe de Miss. Etant les premiers à bouger une date de sortie, nous étions conscients de l’impact de cette annonce sur les salles. Nous avons été prudents sur notre manière de communiquer, afin de ne pas dramatiser cette décision. Les développements des jours suivants ont validé notre choix. Nous aurions aimé nous être trompés…

Pour rester sur ce cas particulier, à quel niveau ce report a impacté l’économie de cette sortie ?
Plus des 90% des frais d’édition étaient déjà engagés. Nous ne sommes pas sûrs de les récupérer, si ce n’est de manière marginale. Nous avons estimé le surcoût de ce report à 50% des investissements. Même si les frais techniques sont transférables et malgré la possibilité de réutiliser certains éléments, il faudra une nouvelle campagne de lancement en septembre. Ce fut tout sauf une décision prise à la légère. Miss est un film de bouche à oreille. Même si l’on avait bénéficié d’une ou deux semaines d’exploitation pleines avant le confinement, il nous en aurait fallu plusieurs autres pour atteindre nos objectifs. Aussi, même si le coût est très élevé, nous croyons au film et pensons lui donner ainsi les meilleures chances de toucher son public.

Êtes-vous favorable à une adaptation de la chronologie des médias ?
Nous y sommes favorables dans la mesure où la discussion porte aujourd’hui sur une mesure exceptionnelle, répondant à une situation tout aussi exceptionnelle. Tous les adhérents du Sfac restent pleinement engagés dans la chronologie des médias et la protection de la fenêtre de la salle. Or, certains d’entre nous avaient déjà des films en exploitation quand la fermeture du parc fut imposée. A notre niveau, la question se pose d’optimiser au mieux la carrière de ces œuvres. Des sociétés pourraient ainsi choisir de ressortir dans les salles une fois celles-ci rouvertes, et d’autres une exploitation plus rapide en VàD, afin de bénéficier de tous les investissements de promotion faits en amont de la sortie salle. Les décisions se prendraient quoiqu’il en soit, film par film. Nous demandons juste de bénéficier d’un peu de souplesse, afin que, en accord avec les ayant-droits comme avec nos maisons-mères, nous puissions mettre en œuvre les mesures les plus adaptées pour chaque film.

Toujours sur cette stratégie de sortie VàD par défaut, serait-ce possible qu’un studio l’applique de manière globale pour certains films, afin d’éviter les problématiques de piratage ?
Les studios ont conscience des particularités de chaque territoire. Et les règlementations et accords sectoriels différent réellement d’un pays à l’autre. Mais la volonté générale demeure de pouvoir, économiquement, amortir au mieux la crise. Car il y a de grands risques que certaines entreprises se retrouvent en danger, même aux Etats Unis. La question du piratage était un souci majeur avant, elle le demeure aujourd’hui, et nous espérons que la Loi Audiovisuelle, le jour où elle reviendra sur la table, sera à la hauteur des enjeux.

Ne craignez-vous pas qu’une période de confinement prolongée n’induise des changements de mode de consommation chez les spectateurs, pour s’être tourner chez des "loisirs refuges" à domicile, comme les plateformes de streaming et les jeux vidéo ?
C’est une hypothèse, tout comme l’est une réaction totalement opposée. Il faut espérer qu’après ce sevrage, les gens puissent revenir à des habitudes de consommation normales. Mais cela ne doit pas nous empêcher de profiter de cette période de pause pour réfléchir à des mesures de relance concrètes et efficaces. Une discussion doit avoir lieu au sein de la profession, et avec le CNC. Nous trouverons des idées, nous savons être créatifs et nous disposons malgré nous d’un peu de temps pour y penser...

Propos recueillis par Sylvain Devarieux
© crédit photo : Julien Lienard pour LFF


L’accès à cet article est réservé aux abonnés.

Vous avez déjà un compte


Accès 24 heures

Pour lire cet article et accéder à tous les contenus du site durant 24 heures
cliquez ici


Recevez nos alertes email gratuites

s'inscrire