Cinéma

Congrès FNCF 2021 - Christine Beauchemin-Flot et Stéphane Libs : "Certains établissements, notamment privés, font part de leurs craintes et de difficultés"

Date de publication : 21/09/2021 - 08:15

A l’occasion de leur assemblée générale, qui se tient ce mardi 21 septembre à 18h30 dans la salle Lexington du Centre International de Deauville, les deux coprésidents du Syndicat des cinémas d’art, de répertoire et d’essai (Scare) dressent un bilan contrasté des premiers mois de réouverture, entre pass sanitaire éprouvant et signaux encourageants de reprise.

Le CNC a relevé, sur les mois de juillet et août, une fréquentation en hausse de 121% par rapport à 2020, mais en baisse de 26% en comparaison de 2019. Les cinémas art et essai se situent-ils au même niveau que le marché global ou, comme l’an passé, un peu au-dessus ?
Stéphane Libs : Comparer l'été 2021 à l’été 2020 n'a aucun sens, car les marchés sont trop différents. En ce qui concerne le comparatif entre 2021 et 2019, on peut noter deux périodes distinctes. D’abord, le mois de juillet, où les salles art et essai, grâce notamment aux sorties cannoises et à une météo favorable, ont (re)trouvé leur public. Ensuite, la période s’étendant de fin juillet au 20 août, durant laquelle les entrées ont plongé. Au final, les baisses estivales des salles classées se situent autour de -10 % dans les grandes villes, mais sont plus fortes dans les villes moyennes et petites, suivant les cas.
Christine Beauchemin-Flot : Les salles art et essai semblent donc une nouvelle fois moins impactées par ces fluctuations de baisse de fréquentation. Les liens privilégiés de fidélité, de confiance et de soutien tissés au fil du temps avec leurs spectateurs leur ont permis de réussir à traverser cette crise sanitaire de façon moins douloureuse.
S.L. : Il faut toutefois souligner que ce n'est pas tant le volume des entrées qui permet aux salles classées d’afficher une comparaison plus favorable que le fait que beaucoup d'entre elles n'ont pas sorti les grands succès populaires de l'année 2019, tels Le Roi Lion, Toy Story 4 ou Fast & Furious : Hobbs & Shaw.
 
Quel a été l’impact du pass sanitaire sur vos exploitations, tant en termes de fréquentation qu’au regard de vos relations avec votre public ?
C.B-F. : Le pass sanitaire a touché très violemment l’ensemble des salles la semaine de sa mise en œuvre, par son caractère discriminatoire et soudain nous contraignant à des délais d’organisation extrêmement courts, mais aussi en termes d’information et de communication auprès du public et de nos équipes. Les contrôles de police ont par ailleurs contribué à donner une image particulière du traitement subi par les cinémas. Tout cela a engendré une vague d’incompréhension, accompagnée de réactions parfois très contestataires, vis à vis desquelles les salles et leurs personnels ont dû faire preuve de patience et pédagogie. Cet effet négatif, entraînant une baisse immédiate et importante des entrées, s’est néanmoins estompé par la suite. Nos spectateurs ont petit à petit pris la mesure des enjeux qui étaient les nôtres, acceptant progressivement cette contrainte comme ils l’ont fait dans les autres lieux nécessitant ce pass : restaurants, musées, salles de spectacle…
 
Bruno Le Maire a annoncé fin août la mise en place prochaine d’un nouveau dispositif d’aide en faveur de la filière cinéma. Qu’attendez-vous de la part des pouvoirs publics, qui pourraient détailler ce dispositif au Congrès ?
C.B-F. : L’annonce d’un nouveau dispositif d’aides a été saluée unanimement et très favorablement, et s’avère nécessaire pour accompagner les premiers signes encourageants et positifs de reprise que nous percevons. Et ce afin de conforter et soulager les problèmes de trésorerie auxquels certaines salles sont confrontées, tout en atténuant aussi le manque à gagner. Ces aides sectorielles confirment également – à l’instar des précédentes – que nos autorités de tutelle ont, comme nous, pris conscience de leur nécessité dans cette période encore délicate et fragile. C’est également une façon, de la part du gouvernement, de reconnaître – et quelque part réparer – une injustice qui a frappé tout particulièrement notre secteur durant cette période estivale.
S.L. : Les cinémas ont perdu beaucoup d'argent durant l'été. Les graphiques de fréquentation sont à cet égard flagrants, et Bruno Le Maire les a vus. Nous attendons donc une compensation de ces presque 50 M€ de pertes (telles qu’estimées par la FNCF, Ndlr), avec une orientation qui nécessiterait une implication des salles sur des projets favorisant leur avenir, en investissement pur ou sur la mise en place de schémas évolutifs.
 
Lors de votre dernière assemblée générale, organisée pour la première fois dans le cadre du Congrès, vous aviez évoqué "la peur économique de devoir mettre la clé sous le paillasson" dans votre rapport moral. Un an plus tard, qu’en est-il ?
S.L. : Les différentes aides accordées à l'ensemble du secteur, l'attention sur les salles les plus fragiles et les circuits itinérants, la suppression de la TSA et les différents types d'emprunts favorables ont en partie réduit cette crainte de fermeture. Mais attention, c'est lorsque les salles seront à nouveau dans l'obligation de rembourser les emprunts cumulés – c'est-à-dire dans peu de temps – que la fragilité de notre secteur va de nouveau apparaitre, dans un marché qui pour l'heure n'a pas repris de surcroit.
C.B-F. : Cette peur et menace économiques pour la survie de nos salles étaient légitimes au regard du caractère inédit et sans précédent de la situation que nous traversions et subissions, sans d’ailleurs présager alors que le pire était encore à venir… Aujourd’hui, les réalités et situations économiques sont très différentes selon le type d’exploitation et leur taille, leur implantation géographique et l’éventuelle situation de concurrence. Le pire n’est heureusement pas arrivé : aucune fermeture n’est à déplorer. A ce titre, nous ne pouvons que saluer la réactivité et le soutien du CNC – tout en s’interrogeant sur sa propre situation financière – ainsi que le travail mené par la FNCF, afin qu’aucune salle ne connaisse de destin funeste. Ceci étant dit, certains établissements, notamment privés, font part de leurs craintes et de difficultés, avec par exemple des emprunts conséquents ou les remboursements à venir des PGE.
 
Cette assemblée générale avait également été l’occasion pour plusieurs de vos membres d’exprimer leurs inquiétudes sur la place des circuits, avec en particulier la crainte d’une montée en puissance des rachats d’indépendants dans les grandes villes. Comment cette problématique a-t-elle depuis évolué ?
S.L. : Depuis un an, cette inquiétude a été mise à l'étouffée devant l'immédiateté des fermetures de salles consécutives à la pandémie, et parce que les circuits eux-mêmes ont été assez fortement touchés par cette crise. On peut néanmoins aujourd'hui imaginer que rester indépendant dans un tel contexte est un combat usant, et que vendre au plus offrant devienne un soulagement. Avec le Scare, nous allons suivre de près cette problématique.
 
L’été dernier, faute d’une offre grand public suffisante, les films art et essai avaient bénéficié de sorties beaucoup plus larges qu’à l’accoutumée, au bénéfice des salles généralistes et en particulier des circuits, les cinémas classés ayant alors dû selon vos mots Stéphane "partager" ces films. Qu’en a-t-il été cette année ?
C.B-.F : Nos inquiétudes persistent. Le nombre de films art et essai s’est avéré d’une grande richesse, proposant aux cinémas et aux spectateurs une très belle vitrine de la diversité. Mais l’exposition – ou devrais-je dire la surexposition – de ces films a malheureusement eu des effets pervers. Certains, trop injustement, se sont trouvés noyés au milieu d’autres et ont ainsi connu des fortunes diverses. Surtout, ils n’ont pas suffisamment eu la chance de rencontrer leur public. Si la plupart de ces titres correspondaient naturellement à la ligne éditoriale de nos salles art et essai, ils étaient parfois "donnés en pâture" à certains circuits moins familiers de ce type de programmation… Et que dire de certains films art et essai attendus dans nos établissements qui, finalement, ont trouvé refuge et maigre consolation ailleurs… Cette situation conjoncturelle – en espérant qu’elle n’entraîne pas des habitudes ou tentations pérennes – a mis à mal l’identité de nos établissements, brouillant aussi la perception des spectateurs et diluant les entrées de ces films partagés parfois sur un trop grand nombre de copies. Dans ces conditions, qu’adviendra-t-il du classement des salles art et essai ? Certaines bénéficieront très probablement d’un effet d’aubaine, en se trouvant classées, alors qu’à l’inverse les cinémas les plus exigeants seront pénalisés. Il faut qu’une véritable réflexion soit menée rapidement afin de mesurer, et le cas échéant ajuster, des anomalies par ailleurs déjà liées à la précédente et dernière réforme, mais aussi que l’aide à la programmation difficile soit étendue et, surtout, que l’enveloppe art et essai soit à la hauteur de ces nouveaux enjeux.

Propos recueillis par Kevin Bertrand
© crédit photo : Julien Lienard pour Le film français/Martin Lagardère, Contour by Getty Images pour Le film français


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