Cinéma

Congrès FNCF 2021 - Investir pour l’exploitation de demain : oui, mais comment ?

Date de publication : 23/09/2021 - 08:21

Alors que les salles doivent plus que jamais se réinventer dans un contexte d’après-crise dont les contours restent encore flous, se pose crûment le problème de l’investissement, éditorial et humain, mais surtout financier. Si des solutions existent, d’autres restent sans doute à inventer, tant du côté des pouvoirs publics que du secteur bancaire.

"Nous voulons que les français puissent respirer le plus tôt possible" a déclaré le ministre de la Santé Olivier Véran dans l’édition du Parisien Dimanche du 19 septembre. En sera-t-il de même rapidement pour les salles de cinéma ? Après un été chaotique, les chiffres de début septembre donnent enfin de bonnes raisons d’espérer. Sur le plan sanitaire d’abord, avec une épidémie qui régresse quasiment partout, les taux d’incidence restant encore préoccupants dans les Bouches du Rhône, en Guyane, Guadeloupe et Martinique. Du côté de la fréquentation aussi les voyants repassent doucement au vert, avec l’arrivée en force de Boite noire dans le box office, Dune réalisant la semaine suivante le meilleur démarrage d’une année amputée de 4 mois et demi. Restent beaucoup d’interrogations à commencer par celles portant sur le comportement des spectateurs dits occasionnels. Dans un tel contexte, la réflexion sur la salle de demain est plus que jamais d’actualité. Sera-t-elle « plus proche du citoyen, donc plus verte, davantage tournée vers le centre-ville" comme s’est interrogé Richard Patry dans nos colonnes ? Signe des temps, la table ronde du Congrès qui s’est déroulée mercredi au CID de Deauville avait choisi comme thématique "Quels investissements et quels financements pour assurer l'avenir du cinéma en salle ?"

OFFRE DE FILMS ET ACCUEIL DU PUBLIC
"Pour faire revenir le public qui aurait pu partir, il nous faut des films" répond sans hésiter Jocelyn Bouyssy, directeur général de CGR cinémas. "Je suis peut-être optimiste, mais je suis persuadé que toutes les tranches de population vont revenir. Encore faut-il avoir des titres à leur proposer. Quand Top Gun 2 et Eiffel, sont décalés, c’est autant de spectateurs qui ne voient pas de bandes annonces et que l’on déshabitue. Le plus gros problème c’est la façon de traiter des films qui sortiraient en même temps sur des plateformes. Quant au piratage il a augmenté de 30%, c’est une catastrophe. Il est vraiment temps d’en parler". Au-delà de l’offre, se pose la question de l’accueil du public. "Nous réfléchissons constamment sur la façon de rendre une expérience dans nos cinémas différente et exceptionnelle par rapport à ce qu’on peut vivre chez soi. Cela passe par plein d’éléments en termes d’offre servicielle : la façon de réserver les tickets, le confort en salles, la pluralité des formats" résume Anne-Sophie Le Guiader, Country manager de Kinepolis France. Le développement des salles premium apparait comme un premier élément de réponse. « Nous avons créé la salle ICE, qui fait un carton, puisque beaucoup de pays nous contactent » reprend Jocelyn Bouyssy. "Je crois au premium mais il faut respecter les autres spectateurs, ne pas créer un cinéma à deux vitesses. L’avenir passe par un équilibre à trouver. Un effet pervers au premium c’est que les spectateurs viennent mieux, mais moins. Pour qu’ils viennent toujours autant je pense qu’il nous faut aussi rehausser le niveau des autres salles, par exemple en élargissant fauteuils et rangées".

NÉCESSITÉ SYSTÉMATIQUE DU CONFORT DE LA PROJECTION ET DES FAUTEUILS
Du côté de l’art et essai, la réflexion est engagée depuis longtemps. "Nous avons constaté que les cinémas ayant une identité architecturale très forte ont bien résisté à la crise" explique le président de l’Afcae, François Aymé. « Pour faire venir les spectateurs l’argument numéro 1, c’est une programmation variée. Mais ce qui suit directement après c’est le fait de passer une soirée sympathique, dans un lieu agréable et capable de propositions. Depuis deux décennies la profession a compris la nécessité systématique du confort de la projection et des fauteuils. A présent l’autre plus-value c’est l’ambiance, la relation au public". Christine Beauchemin-Flot, coprésidente du Scare et directrice du Select à Antony, appuie "Faire des animations, organiser des rencontres avec les équipes des films n’est pas une conviction nouvelle, mais c’est encore plus important aujourd’hui. Aujourd’hui un film ne fait pas que se consommer, il se découvre sous différents aspects et il faut entretenir ce désir". D’autant que comme, le souligne Lorraine Lambinet, directrice du cinéma Le Central à Puteaux, "l’échange avec le public ne se fait pas en caisse. Il a lieu lors des séances spéciales. C’est à ce moment-là que les spectateurs viennent nous voir, peuvent nous raconter leur lien par rapport à la salle". Et toute évènementialisation s’avère payante en termes d’entrées. "Il faut commencer à réfléchir sur d’autres façons de sortir certains films fragiles. Il vaut mieux faire une seule séance permettant d’accueillir 150 personnes que plusieurs séances clairsemées. J’ai organisé une avant-première du documentaire d’Amandine Gay, Une histoire à soi. Elle a réuni 180 personnes un dimanche", explique Eric Gouzannet, directeur de l’Arvor à Rennes.

DÉVELOPPER DES ACTIVITÉS INNOVANTES
Certains établissements poussent la logique très loin, comme le Café des Images à Hérouville-Saint-Clair (photo à gauche). Elise Mignot, sa directrice-programmatrice le définit comme un lieu de vie hybride "qui tente de mettre en œuvre, par des expérimentations multiples, ce que pourrait être la salle de demain". Outre une décoration très identifiée de ses trois salles, le Café des images, conçu dès l’origine par ses architectes comme un bâtiment traversant, accueille annuellement 350 évènements dont 220 purement cinématographiques. "Nous faisons des concerts une fois par mois. Nous accueillons aussi des associations qui organisent des actions dans notre lieu. Cela peut déboucher sur des ateliers couture, un marché aux légumes ou des soirées jeux. Je ne raisonne plus seulement en termes d’entrées mais aussi d’usagers du lieu. En 2019 nous avons accueillis 120 000 spectateurs et 140 000 usagers. Car à un moment ces usagers vont suivre une dynamique et aller en salles". Mais de telles politiques supposent des investissements humains et donc financiers. "La gestion des ressources humaines, est LA question pour relancer la salle, afin qu’elle soit constamment innovante" confirme Elise Mignot. "Dans l’art et essai, au regard de notre niveau d’engagement dans le développement d’activités innovantes et d’animations, au vu de de l’intensité de ce que nous proposons, nous sommes tous en sous-effectifs, quelle que soit l’ampleur des équipes et des budgets".

TROUVER D’AUTRES SOURCES DE FINANCEMENT
L’intervention du CNC pour cofinancer des postes de médiateurs culturels aux côtés des régions va dans le bon sens, mais la piste mérite d’être creusée. "Les conventions entre le CNC et les régions comprennent beaucoup d’actions pour accompagner la création, la production et l'accueil de tournages, via notamment le mécanisme du 1 € pour 2 €. Mais il existe très peu de dispositifs pour les salles". remarque le président de la FNCF, Richard Patry. "Quelques régions ont mis en place des aides, mais elles sont dues à l’initiative seule de la collectivité. Par ailleurs les salles c’est aussi de l’économie, de l’aménagement urbain ou encore du développement durable. En dehors de la sphère cinématographique, il y a sans doute des sources de financement que nous n’allons pas suffisamment chercher". D’autant que l’exploitation représente de plus en plus un enjeu territorial. C’est le cas pour le cinéma Arvor. Il a quitté le centre historique de Rennes qu’il occupait depuis 1983, pour s’installer dans un bâtiment flambant neuf, passant de deux à cinq salles. "Pour la ville c’était l’occasion d’élargir un peu son centre en créant un point fort autour de la nouvelle gare et du quartier Euro Rennes" confirme Eric Gouzannet. Les exemples ne manquent pas. Ce n’est pas un hasard si début septembre, une enquête du journal Le Monde s’intéressait aux "nouveaux écrans, ouverts dans les villes de moins de 50 000 habitants" et conçus comme autant "de lieux de vie". "Accompagner ce maillage du territoire est vital dans une société en recomposition comme la nôtre" rebondit Richard Patry. Reste aussi à financer le renouvellement du matériel. Si le parc français a entamé le processus depuis quelques années, la crise sanitaire est passée par là, asséchant les trésoreries. On n’en parle plus guère. C’était une problématique d’avant confinement qui portait surtout sur les projecteurs. Ils ont à présent 8 où 9 ans et s’affaiblissent. Comment on fait ?" interroge Stéphane Libs, coprésident du Scare et gérant des cinémas Star de Strasbourg. "Il faut ouvrir dès à présent la discussion, surtout si on entre dans une nouvelle période de stabilité. Certes les salles ont été aidées, mais certaines ont dû continuer à payer des loyers alors qu’elles étaient fermées".

QU’ATTENDRE DES ORGANISMES BANCAIRES ET DES ÉTABLISSEMENTS DE CRÉDITS ?
A présent, tous les regards se tournent vers les organismes bancaires et les établissements de crédits, en quête de solutions. "Nous recommençons tout juste à recevoir des demandes de crédits sur des nouveaux projets qui avaient pour des raisons évidentes avancé plus lentement ces derniers mois. Je suis optimiste sur l’évolution de la fréquentation compte tenu de l’attente forte des spectateurs privés de salles pendant de longs mois. En revanche, il est encore trop tôt pour avoir une vision claire des années à venir. Les prochains mois de 2021 seront donc très importants" explique Jean-Baptiste Souchier, Pdg de Cofiloisirs. L’établissement est revenu en 2016 au financement de l’exploitation indépendante, qui fut au départ son métier historique. "Sur le périmètre de la création de salles, qui représente 90% de notre activité dans l’exploitation, il conviendra de lever cette incertitude sur la fréquentation rapidement. Pour les besoins de réinvestissement ou de rénovation des cinémas déjà existants, s’ajoute le paramètre nouveau de l’endettement lié à la crise (PGE par exemple) et du poids de ces remboursements sur les années à venir. Cela reste une étude sur-mesure de chaque projet". Du côté de BNP Paribas on se veut rassurant. "Le point fort de l’exploitation française est sa diversité. Elle agrège des groupes européens et régionaux, des salles d’art et essai, des cinémas de quartier et reste avant tout un lieu culturel de proximité. En France, la production est structurée autour d’un écosystème complet que le gouvernement a eu raison d’aider à surmonter cette crise. C’est une industrie rentable, qui génère de l’emploi et fonctionne au sein d’un système vertueux. C’est la raison pour laquelle nous sommes présents aux côtés du cinéma, depuis le début de cette crise, et plus particulièrement auprès de nos clients exploitants. Et nous continuerons à être un des acteurs clés du secteur, à en financer les investissements et plus particulièrement la transition énergétique et technologique des salles de demain" assure Henri de Roquemaurel", directeur du pôle Images et Médias de BNP Paribas.

Patrice Carré
© crédit photo : Photo 1 Murielle Ancillon - Photo 2 Pathé


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