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6     ÉVÉNEMENT






               [Cinéma]





                             Le syndicat des Distributeurs indépendants réunis européens (DiRE), dont les adhérents
                           distribuent 40 films sélectionnés à Cannes parmi lesquels neuf sont en compétition, prend
                            la parole dans un climat politique qu’il estime défavorable pour le cinéma.    SARAH DROUHAUD
                                                        DiRE












                LES DISTRIBUTEURS INDÉPENDANTS


                  INTERPELLENT LE GOUVERNEMENT



               C                est au fond un appel au gouver-  EST PEUT-ÊTRE LE TEMPS             des mandats politiques, le long terme est la vie des artistes.
                            ’


                                                                                                    Nous accompagnons énormément de premiers films qui
                                nement que lancent Éric Lagesse
                                                             LE COURT TERME
                                                                                                    sont les talents de demain pour toute la filière. Si on ne
                                (Pyramide) et Carole Scotta (Haut
                                et Court), les coprésidents de
                                                                                                    nous laisse pas le temps, plus rien ne sera possible”, alerte
                                DiRE, rencontrés à Cannes. Début
                                                                                                    Éric Lagesse.
                                mai, pour la première fois, les  DES MANDATS POLITIQUES,
                                                                                                    Ce n’est pas le CNC qui est visé par DiRE : “Il a mis en
                                                          LE LONG TERME EST LA VIE
                                distributeurs n’ont pas été  invités
                                à la   traditionnelle réception rue
                                                                                                      projets. Même s’il peut y avoir des sujets de divergence,
                                                                                                    nous savons sa volonté de soutenir la filière indépendante.
                de Valois pour célébrer les films français en sélection  DES ARTISTES.    Éric Lagesse (Pyramide)  place un plan pour la distribution, porte beaucoup de
                    e
                au 72  Festival de Cannes. Pas plus que les producteurs                             Notre crainte porte plus sur la vision des politiques du
                  initialement d’ailleurs. Pour les coprésidents de DiRE, cet                         secteur qu’en termes de rentabilité, à côté des paillettes et
                épisode traduit un malaise plus profond : “Le Festival de   cannois pour constater le rôle que jouent les distributeurs   des stars une fois par an sur La Croisette. Mais derrière tout
                Cannes est l’endroit où nous sommes très présents – près   pour monter les films.”   ça, le gouvernement et les parlementaires doivent savoir
                de 75% des films des diverses sélections sont distribués par   Cette incompréhension se traduit dans les sujets d’actualité.   qu’il y a un travail.”
                nos membres – et où, pourtant, nous ne sommes pas mis   Sur le haut de la pile, la lutte contre le piratage, qui n’a pas   Pour continuer à exercer ce métier, DiRE a pour but  d’obtenir
                en avant par le ministère. Ce n’est pas une question d’ego   avancé. “Emmanuel Macron, il y a un an lors d’un dîner   un meilleur partage de la valeur, comme l’explique Carole
                mais cela reflète la non-prise en compte par le gouverne-  avant Cannes sur le cinéma, avait redit l’importance de la   Scotta : “Toutes les tensions se cristallisent sur la salle car
                ment de notre métier, de ses tenants et aboutissants : les   lutte contre le piratage. Or rien ne se passe, tout le secteur   nous sommes privés de nos recettes en amont, en raison
                distributeurs indépendants, et évidemment les producteurs,   demande des mesures, tout le monde perd de l’argent, y   du piratage et de la quasi-disparition du marché vidéo et de
                sont des acteurs essentiels de Cannes. Notre travail est vital   compris Bercy. Nous ne savons plus comment nous faire   la baisse des acquisitions télé. Nous recherchons donc un
                pour le cinéma”, expose Éric Lagesse.     entendre. Comme distributeurs, nous sommes obligés de   meilleur partage de la valeur à travers le prix de référence des
                Dans cette période aux enjeux majeurs pour la filière en vue   payer, sur nos budgets de sorties, des entreprises pour lutter   cartes illimitées et les engagements de programmation. Sur
                du projet de loi sur l’audiovisuel, ils sont animés par un sen-  contre le piratage afin d’éviter que nos films ne soient sur le   ces sujets, le rapport de force n’est pas forcément équitable.”
                timent nouveau : “Les politiques ne prennent plus vraiment   Net avant même leur sortie. Or la chronologie des médias   Idem sur la promotion des films dans les salles, parisiennes
                en compte l’impact essentiel du cinéma dans la société   a été signée. Les mesures antipiratage étaient pourtant un   surtout, qui devrait, selon DiRE, être gratuite. “En outre,
                française en termes d’éducation en général, d’éducation à   préalable à la nouvelle chronologie. Pourquoi les politiques   on n’a pas encore complètement régulé l’après-numérique.
                l’image et de rayonnement du cinéma français à l’interna-  ne veulent pas s’emparer de ce sujet ? Cela irait pourtant   Alors même qu’on en ressent les effets depuis dix ans déjà.
                tional. Ils ont célébré Agnès Varda quand elle a un Oscar   simplement dans le sens de la loi.”   Il y a une régularisation des pratiques qu’il faut affiner. Et
                d’honneur. Elle qui avait justement bien  compris très tôt                          sur les engagements de programmation, pris en mai 2016
                l’importance de l’indépendance. Notre métier est de décou-  LA QUESTION DU PARTAGE DE LA VALEUR  à Cannes, trois ans après, il n’y a pas eu d’effets positifs
                vrir les talents d’aujourd’hui et de demain. Nous voulons   Autre sujet, les relations avec les diffuseurs. “En dehors   sur les films de la diversité. Il y a une grande possibilité
                simplement pouvoir continuer à l’exercer”, poursuit-il. Et   d’Arte, nous aimerions que le service public joue son rôle   d’amélioration dans la génération suivante qui est en train
                Carole Scotta d’enchaîner : “Ils nous perçoivent aujourd’hui   dans la diffusion du jeune cinéma contemporain. La dispa-  de se négocier. De plus, la mise en place du bordereau à la
                presque plus que comme des gens qui se plaignent tout   rition de France 4, qui était encore le seul lieu de visibilité   séance serait déjà une avancée.”
                le temps des difficultés à diffuser nos films et pas assez   pour lui, est dramatique de ce point de vue. À un moment,   Quant à la future loi audiovisuelle, DiRE rappelle qu’ils
                comme des acteurs qui participent à la découverte de   il n’y a pas que la rentabilité. Pense-t-on à l’impact sur le   ne sont que 15 et n’ont pas la puissance de lobbying des
                talents et au financement des œuvres, très en amont des   public et à l’éducation ? Récemment, l’Autorité de la concur-  groupes TV : “Les pouvoirs publics sont dans une logique
                films. Nous nous concentrons souvent sur l’aval en raison   rence a rendu un rapport favorable aux chaînes de télévision   de mise en avant des séries. Les spectateurs sont de moins
                des problèmes connus de la diffusion des œuvres mais   sans tenir compte de la création. Et le ministre de la Culture   en moins habitués à voir un film : une histoire avec une fin
                notre travail n’est pas que ça. Il suffit d’aller sur le marché   n’a pas réagi. Tout ça ne va pas dans le sens du cinéma.   en 1h30-2h. C’est une autre façon de vivre une histoire.”
                                                          Nous sentons monter une petite musique sur le thème qu’il
                                                          coûterait trop cher, qu’il n’est pas assez rentable et qu’on
                                                          ne va pas continuer à donner autant d’argent public pour
                                                          l’accompagner. D’abord, l’argent public est plafonné dans
                                                          les projets. Et surtout, la rentabilité n’a jamais été un moteur
                                                          pour l’art. Nos métiers sont des métiers artistiques. Il peut
                                                          devenir rentable, mais à long terme. Si on raisonne à court
                                                          terme, on tue toute forme d’art. Le court terme est le temps


                18 mai 2019
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