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                Quinzaine des réalisateurs                                Quinzaine des réalisateurs
                HALTE                                                     LES PARTICULES


                DYSTOPIE D’ASIE
                En 20 ans, le cinéaste philippin Lavrente Indico Diaz, dit Lav Diaz, a réalisé 12 films,
                certains comme Melancholia, d’une durée de 8 heures, remportant le grand prix
                Orizzonti de la Mostra de Venise en 2008. En 2013, il présente à Un certain regard
                Norte,­la­fin­de­l’histoire. Quand on lui pose des questions sur la durée de ses
                œuvres, le cinéaste répond qu’ils “sont gouvernés par l’espace et la nature, et non
                par le temps”. Il est naturellement devenu l’emblème de la résistance contre le                                             © LES FILMS DU POISSON-BANDE À PART, LES FILMS DU LOSANGE
                régime autoritaire du président Rodrigo Duterte. Halte, qui dure 4 h 39, se présente
                comme une immersion dans une Asie du Sud-Est de 2034, “plongée littéralement
                dans le noir suite à des éruptions volcaniques massives dans la mer de Célèbes”.
                Il raconte avoir eu l’idée de son film en écoutant un vieil homme qui discourait
                devant un petit groupe attentif. “Puis la foule s’est dispersée, et lui, très calme,
                assis sur un rocher, regardait l’océan. J’ai essayé d’établir le contact en lui disant
                bonjour. Il m’a demandé, non pas ‘qui’, mais ‘Qu’êtes-vous ?’ J’ai répondu ‘je suis   TEEN MOVIE FANTASTIQUE
                cinéaste’. Sa question suivante fusa aussitôt : ‘Que peut le cinéma ?’ J’étais pétri-  S’inscrivant, selon Blaise Harrison, dans la continuité de ses précédents documentaires, où réel
                fié. Nous sommes allés boire des bières et nous lamenter sur l’état du monde. Il   et fiction se côtoient et se nourrissent mutuellement, Les­particules est “un film dans lequel j’ai eu
                demeurait optimiste. Je lui ai parlé du film que je m’apprêtais à tourner, un mélange   envie de raconter l’adolescence, son énergie, ses doutes et ses inquiétudes, ses questionnements
                de science-fiction et d’horreur à propos de la mort d’un dictateur, de la mort de la   parfois métaphysiques et existentiels”. De son enfance dans le pays de Gex, le cinéaste a gardé
                moralité et de la vérité. Ses derniers mots avant d’être englouti par l’obscurité : ‘Ne   des souvenirs particuliers. “C’est un lieu en apparence banal et ordinaire, situé entre la grande
                fais pas confiance à ce que tu connais’.”     Patrice Carré  métropole genevoise et la nature sauvage du Haut-Jura, mais sous lequel se cache un monstre de
                                                                          technologie, le LHC du Cern, où les conditions d’énergie du Big Bang sont recréées pour tenter de
                                                                          percer certains des plus grands mystères de l’univers. Mettre en relation ce qui se joue à la surface
                                                                          dans ma bande d’ados et en sous-sol dans l’accélérateur était la porte d’entrée pour raconter, par
                                                                          le biais d’un fantastique plausible, l’inquiétude de mon personnage face à un monde qu’il voit se
                                                                          transformer et dans lequel il n’arrive plus à trouver sa place.” Les­particules est produit par Estelle
                                                                          Fialon, productrice associée aux Films du Poisson, qui avait accompagné les deux précédents
                                                                          documentaires de Blaise Harrison. Ce dernier a proposé aux Suisses de Bande à Part de rejoindre
                                                                          la production. “La nature même du projet permettait une coproduction franco-suisse. Et bien que
                                                                          n’habitant plus en Suisse, mais étant toujours en contact avec Lionel Baier qui, en plus d’être
                                                                          réalisateur et producteur, est mon ancien (et toujours actuel) directeur du département cinéma de
                                                                          l’Ecal où j’ai étudié, lui proposer de coproduire ce film était donc pour moi une évidence.”    P. C.
               © SINE OLIVIA PILIPINAS, ARP SÉLECTION                     Semaine de la Critique - Clôture


                                                                          SÉJOUR DANS






                Quinzaine des réalisateurs                                LES MONTS FUCHUN
                WOUNDS



                VERTIGES DE L’AMOUR
                Deuxième long de Babak Anvari, réalisateur d’Under­the­­Shadow,
                très remarqué au sein de la communauté des amateurs de films
                de genre pour sa façon d’introduire une dimension fantastique
                dans un cadre contemporain très ancré dans le réel, Wounds
                déroule  son  action  à  La  Nouvelle-Orléans.  Tout  part  d’un
                  téléphone portable perdu suite à une violente bagarre, dans le
                bar où travaille Will, l’un des deux personnages principaux. Il                                                             © DADI FILM, ARP SÉLECTION
                commence alors à recevoir des SMS et des appels inquiétants
                sur ce téléphone. Un véritable film d’horreur “doté d’un aspect
                intime, avec le suivi de l’explosion progressive d’un couple liée
                aux nouvelles technologies et au vertige cauchemardesque de la   LES QUATRE SAISONS
                jalousie qu’elles peuvent provoquer”, résume le délégué général   Le point de départ de­Séjour­dans­les­monts­Fuchun se situe dans un rouleau horizontal peint vers
                de la Quinzaine, Paolo Moretti.          P. C.            1350 par l’artiste chinois Huang Gongwang. L’un des plus grands chefs-d’œuvre de cette époque,
                                                                          qui a subi de nombreux dommages en traversant le temps. Originaire de la région représentée par
                                                                          le peintre, marqué par les transformations irréversibles récemment subies par les villes et parfois
                                                                          les paysages, Gu Xiaogang a voulu raconter le destin d’une famille chinoise à la manière d’une
                                                                          peinture traditionnelle, au rythme des saisons. “Le tournage de notre film a pris deux ans. Au début,
                                                                          nous n’avons pas pu trouver de société de production. Tout le monde doutait d’un tournage se
                                                                          déroulant durant quatre saisons entières, surtout avec un réalisateur débutant.” Il emprunte à des
                                                                          amis, lance des campagnes de crowfunding, s’adressant même aux services sociaux. “Lors de la
                                                                          deuxième année, j’ai rencontré Factory Gate Films, qui m’a aidé à rembourser ma dette et qui est
                                                                          ainsi devenue notre société de production déléguée.” Pour ses comédiens, il choisit “des gens du
                                                                          pays aussi ordinaires que possible. Ce sont ma famille, mes amis et des personnes que j’ai trouvées
                                                                          et repérées localement. Je crois que chaque kilomètre de paysage et chaque personnage peut avoir
                                                                          sa dignité si on lui laisse le temps de s’exprimer à l’écran”. En dépit de ces difficultés, Gu Xiaogang
                                                                          n’entend pas en rester là. “C’est un premier volet. Dès l’introduction, j’ai glissé un indice secret : le
               © MICHELE K. SHORT                                         effet un transfert géographique le long du fleuve Yangzi, le déploiement d’une nouvelle ville. En fin
                                                                          fleuve du printemps rejoint la mer de Chine orientale à Qiantang. Les autres films raconteront en
                                                                          de compte, ce mode de narration est très proche de celui d’une peinture à rouleau. On les déroulait
                                                                                                                                         P. C.
                                                                          lentement de droite à gauche pour découvrir les images. Un peu comme au cinéma.”
                                                                                                                                    22 mai 2019
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