Télévision

Annecy 2021 - AnimFrance : la concentration des éditeurs privés et la protection de la production indépendante au cœur de ses défis

Date de publication : 16/06/2021 - 18:19

De retour en présentiel au Mifa, pour sa conférence annuelle, le syndicat des producteurs français et studios d’animation a balayé les nombreux défis auxquels doit faire face la filière à un moment charnière, entre l’importante réforme législative et réglementaire en cours et le rachat du groupe M6 par TF1 et l'entrée dans le financement des plateformes.

Félicitant en préambule l’équipe Citia d’avoir organisé la manifestation en présentiel, Philippe Alessandri (Watch Next Media), président d'AnimFrance, a ouvert cette conférence intitulée "L’animation française face à ses nouveaux défis", la période constituant "un moment charnière pour l’Animation française".
Le combat gagné du maintien de France 4

La filière doit d‘abord relever le défi de l’audiovisuel public. AnimFrance vient déjà de relever celui du maintien de France 4. Après l’annonce en 2018 par le précédent gouvernement de la suppression de la chaîne jeunesse du groupe public, "comme tous les bons scénarios" dixit Philippe Alessandri, celui-ci "s’est déroulé en trois actes". AnimFrance était "seule avec la SACD pour convaincre de préserver cette chaîne au nom de l’intérêt public". Puis 2e acte, "France Télévisions et des parlementaires nous ont rejoint". Jusqu’au 3e acte avec le confinement "qui a montré tout l’intérêt de France 4 en journée et donner la place au spectacle vivant en soirée". Il a remercié la SACD, France Télévisions et la Cofrad pour ce combat gagné. "Nous avons l’assurance d’une chaîne de plein exercice pour les enfants sans publicité, une victoire pour eux, pour France Télévisions et pour toute la création, d’animation en premier lieu et pour la captation de spectacle vivant" ajoutant que ce serait aussi peut être l’occasion de diffuser aussi des longs métrages en prime time et pourquoi pas d’animation.
France Télévisions demeure le principal partenaire de l’animation française avec 32M€ d’investissements dans l’animation (TV et cinéma). Pour les longs métrages d’animation, AnimFrance milite toujours pour une hausse des investissements par film qui sont de l’ordre de 500 000€, soit 5 à 7% des budgets contre 15% pour les films de fiction. Et pour l’animation en général, alors que "la nouvelle génération" aime ce genre et que "le service public a toujours été à la pointe de la création", le syndicat espère que France Télévisions puisse injecter des moyens supplémentaires pour continuer à innover, en le long métrage, dans l’animation ado-adultes, et l’animation tous publics en général, et mise, pour emmener France Télévisions sur ce chemin, sur le renouvellement de son accord professionnel en 2022.
 
Le rapprochement de TF1 et M6 sur fond de révision des relations éditeurs/producteurs

AnimFrance a enchaîné sur le défi à relever par rapport à la concentration dans les diffuseurs privés, l’arrivée des plateformes et la protection des producteurs indépendants. Avec le regroupement des groupes TF1 et M6, " si on comprend l’intérêt d’avoir un champion français de la diffusion, il y a un risque important du point de vue des producteurs" a résumé Samuel Kaminka (Samka Productions). La diversité des acteurs privés – TF1, M6, GUlli et Canal+, assurait "une diversité pour la création". Avec le rapprochement de TF1 avec M6 et donc Gulli – ils représentent au cumul aujourd’hui 21M€ d’investissements dans l’animation et 8000h de diffusion de programmes jeunesse-, les producteurs craignent pour leur avenir. "Cette fusion peut-être une belle opportunité ou un drame pour les indépendants. La richesse et diversité de la production indépendante est dans notre esprit du gagnant- gagnant avec les diffuseurs pour qu’ils aient la capacité de choisir les meilleurs projets au service de leur identité et de leur part de marché en échange on doit exister sereinement pour nous projeter à l’international. Or un géant qui aurait une vision différente des choses aurait vite fait de nous écraser sur son passage. Nous serons extrêmement vigilants au respect des accords professionnels, de la diversité des programmes et des entreprises de production". Depuis l’achat récent de Gulli par M6, le syndicat est d’ailleurs déjà dans une période de vigilance et d’observation sur les pratiques.
 
Et cette fusion intervient dans un contexte important au niveau législatif et réglementaire avec un projet de loi au parlement et un décret qui encadre les relations producteurs/diffuseurs sur la TNT en discussion sous l’égide du ministère de la Culture, a poursuivi Stéphane Le Bars, délégué général d’AnimFrance. Des discussions qui font état du bras de fer est " plus que jamais très vif" entre les diffuseurs historiques et la production indépendante. Au cœur du sujet figure la définition de la production indépendante. La production audiovisuelle a en effet été, mi-mai, "choquée et abasourdie" par la première proposition mise sur la table par le gouvernement pour réviser le Décret TNT, "totalement favorable aux éditeurs historiques". Le gouvernement avait alors proposé de fixer à 66% la part de l’obligation des chaînes dans la production indépendante, contre 75% dans le décret actuel (Et peut varier entre 70% et 90% dans des accords interprofessionnels). Et ce taux s’accompagnait d’une nouvelle définition de la production indépendante "extrêmement lâche" que le gouvernement avait proposée en écho aux modalités retenus dans le décret SMAD pour les plateformes américaines. Dans cette définition de la production indépendante pour le décret TNT révisé, deux facteurs communs au décret SMAD : l’absence de détention capitalistique direct ou indirect de l’éditeur par rapport au producteur et une durée des droits de 36 mois. Et la possibilité pour les éditeurs de détenir des parts de coproduction, d’avoir un droit à recettes et de détenir des mandats de distribution et des droits secondaires, conduisant à une remise en cause du droit de préemption pour les producteurs/distributeurs intégrés, et donc de garder leur mandat pour exploiter les programmes à l’international. Une position "violente pour l’animation française" qui attaque un modèle qui a fait de la France "un champion en matière d’exportation d’animation" : en 2020, l’exportation a dépassé les 100M€ pour la 3e année consécutive quand elle était de 50M€ en moyenne il y a 10 ans. "Des exportations qui sont le fruit du travail des producteurs/distributeurs intégrés ou des distributeurs indépendants"(96% de l’exportation contre 4% pour les filiales de chaînes).
 
"Si on devait aboutir à ce taux de 66% appliqué à l’ensemble des chaînes françaises, ce serait une perte pour l’ensemble de la production audiovisuelle indépendante chiffrée à 160M€" a ajouté Philippe Alessandri, soulignant qu’il y a deux types d’acteurs : "les éditeurs et créateurs de contenus", avec les premiers qui vivent des recettes d’abonnement et/ou de la publicité, et les seconds de l’exploitation de leurs droits sur les œuvres qu’ils ont créées. "Quand les premiers réclament de participer au business model des producteurs, le système ne tient plus, les seconds n’ayant plus les moyens d’investir dans la recherche et développement, donc dans les nouveaux programmes. La distribution est une activité de diversification pour les éditeurs, pour les producteurs c’est le cœur de leur activité, une muraille doit être établie entre les deux. La réglementation ne les empêche pas d’être producteurs mais il faut faire attention à ne pas empiéter sur le modèle des indépendants" a renchéri Stéphane Le Bars.
Toutefois, une deuxième mouture du projet de décret TNT révisé transmise cette semaine aux professionnels, dans laquelle le gouvernement a permis aux producteurs de "remonter une partie du chemin" : des évolutions sont proposées notamment sur les mandats pour les œuvres financées à moins de 60% par les éditeurs. La production d’animation a été entendue sur le contrôle des mandats de distribution pour couvrir les gaps de financement. Mais le syndicat reste inquiet de l’attaque frontale sur la définition de la production indépendante, et la remise en cause du producteur délégué, un sujet "qui touche l’ensemble de la filière audiovisuelle".

Autre défi pour AnimFrance, celui de la croissance avec l’éternel sujet du plafond de verre de 300h d’animation française, qui pourrait être enfin percé grâce aux opportunités qui se profilent avec la transposition de la directive SMA et le décret SMAD, pour amener les plateformes à investir dans l’animation. Un texte, dont le syndicat a rappelé les principaux points, dont la publication est attendue dans les prochains jours pour une mise en œuvre début juillet. Ces plateformes ne pourront pas détenir de parts de coproduction, de droits à recettes ou droist secondaires dans la part indépendante de leur obligation (66% dans l’audiovisuel). Une clause de diversité permettra au CSA d’assurer la diversité par genre d’œuvre a rappelé AnimFrance, satisfait du texte. Deux points restent à régler : la possibilité pour les productions indépendantes des producteurs délégués français de pouvoir bénéficier du soutien audiovisuel et du crédit d’impôt audiovisuel.
 
Discussion en pour encadrer les pratiques contractuelles et les rémunérations des auteurs

Le syndicat a poursuivi sur le défi des talents. Katell France (Studio 100 Animation) a évoqué le chantier en cours, dans le cadre de la transposition de la directive Droit d’auteurs. AnimFrance souhaite construire un partenariat avec les auteurs d’ici la fin de l’année, pour aboutir à un accord interprofessionnel sur les pratiques contractuelles et les rémunérations. AnimFrance négocie avec la Guilde des scénaristes, l’Afraf, l’U2R, pour des discussions qu’accompagne le SPI. Sont en route un glossaire, avec la définition de la bible littéraire et graphique notamment et des étapes d’écriture, et vont suivre la bible de réalisation, la direction d’écriture et les rémunérations.
AnimFrance soutient par ailleurs l’initiative de la Cité européenne des scénaristes, soutenue par France Télévisions, le CNC, région Ile de France, avec Mediawan et TF1. AnimFrance et le Reca a mis en place une plateforme AnimConnect pour mettre en lien les étudiants et les studios. Enphase de test, elle sera lancée en septembre. L’objectif est ensuite de l’ouvrir aux premiers emplois et à terme construire une plateforme d’emploi pour tous les salariés et les artistes de l’animation avec les producteurs, les studios et les entreprises d’effets visuels.
 
Enfin, AnimFrance a consacré la dernière partie de sa conférence aux défis citoyens, nombreux. Le syndicat s’est engagé sur la 2e saison de la charte alimentaire, et a rappelé les initiatives menées avec des studios d’animation français pour diffuser des pastilles promouvant les gestes barrières auprès des plus jeunes. Corinne Kouper est venue faire un point sur le travail des Femmes s’animent (LFA) et sur les évolutions en faveur de la parité. LFA s’est notamment associé au Collectif 5050 pour le référencement des professionnelles de l’animation au sein de la Bible 50/50, et travaille à la mise en place d’un vrai indicateur de la parité dans les entreprises. Enfin, AnimFrance ouvre un chantier sur l’impact environnemental. Si de multiples initiatives individuelles ont déjà été prises par des entreprises de la filière, AnimFrance travaille entre autres à la consolidation d’un calculateur d’impact carbone dans ce secteur, à définir une norme sectorielle, à partager les bonnes pratiques pour améliorer l’impact individuel et collectif pour ensuite les partager au niveau européen.

Sarah Drouhaud
© crédit photo :


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