Cinéma

Cannes 2017 : entretien avec Thierry de Peretti, réalisateur de "Une vie violente"

Date de publication : 22/05/2017 - 08:15

Le cinéaste qui était à la Quinzaine en 2013 avec Les Apaches. Il revient présenter son deuxième film dans le cadre d'une séance spéciale, à la Semaine de la critique.

Comment vous est venue cette idée de personnage ? 
Le personnage est librement inspiré du parcours atypique, météoritaire, tragique, de Nicolas Montigny, jeune militant nationaliste assassiné à Bastia en 2001. Nous avions le même âge. Je ne l’ai pas connu, même si nous avions des amis en commun. 

Comment avez vous construit le scénario ?
Dans un premier temps, le scénario, écrit avec Guillaume Bréaud, était construit comme un western mutique et assez minimal. Le récit se concentrait sur les derniers jours de ce jeune militant banni, qui revient en Corse alors qu’il y est menacé. Très vite, le film s’est ouvert à un flashback ou deux. Et puis le passé a tout dévoré et c’est devenu le corps du film.
Même si le film mélange mes propres souvenirs, comme ceux de beaucoup de gens de ma génération en Corse, il est le fruit d’un long et permanent travail de recherche. Il mêle de manière fragmentaire et anarchique, rumeurs, légendes urbaines, souvenirs altérés, et l’Histoire contemporaine de la Corse.
Cette histoire à travers ce personnage de Stéphane me fait accéder à quelques cercles de la société insulaire. Il me permet surtout de me rappeler cette époque de grande confusion politique et de grande violence, dont les souvenirs sont toujours très douloureux.
 
La Corse, un des territoires les moins filmés et pourtant l'un des plus romanesques, me disiez-vous en 2013. La même envie sous-tend Une vie violente ?
Oui, bien sur. Même si les enjeux narratifs et politiques sont différents ici. Les Apaches explorait le contemporain le plus immédiat. Circonscrit à l’extrême Sud de l’île, au cœur de l’été, à travers une partie de sa jeunesse, on voyait comment les questions sociales minaient, intoxiquaient l’imaginaire et les rapports. Une vie violente, même s’il puise aussi sa source dans des événements réels, explore un territoire plus mental, plus historique. Il parle de ce qui dans le passé hante le présent.
 
Ce fut un projet long à monter ?
Entre le début de l’écriture, fin 2013, et le début du tournage, fin 2015, deux ans se sont écoulés. Ce n’est pas si long. Deux ans d’écriture, quelques semaines pour constituer le financement, une préparation qui court sur plusieurs mois, huit semaines de tournage en trois temps. Et puis neuf mois de montage.
 
Comment avez-vous rencontré votre producteur, Frédéric Jouve ? Le processus a été aussi long que pour Les Apaches ?
Tout a été beaucoup plus vite. Le projet a eu beaucoup de chance, il a suscité du désir, de l’enthousiasme rapidement. Avec Frédéric, nous nous sommes rencontrés fin 2013, pour parler de la genèse de projet. Il y a cru tout de suite, avec beaucoup de conviction. Il a immédiatement perçu l’urgence qu’il y avait pour moi à filmer cette histoire et a senti, encore mieux que moi, jusqu’où le film pouvait aller.
Son engagement de producteur, tout au long du processus, a été sans faille. C’est une rencontre professionnelle et humaine importante dans mon parcours. Et nous sommes des sudistes tous les deux, donc ça marche bien ensemble. Par ailleurs, Stanley White, le collectif de production Corse auquel j’appartiens, est partie prenante dans toutes les étapes de la fabrication du film, et ce dès l’origine (c’est particulièrement déterminant lors des workshops, matrices du projet). Jean-Etienne Brat en est le jeune producteur, En plus d’être un ami, il a été un de mes collaborateurs les plus investi. Le film lui doit énormément. Delphine Leoni, qui est une des membres de Stanley White était aussi à ses côtés sur Une Vie violente. Avec Eric Lagesse et Roxane Arnold de Pyramide, après Les Apaches, on avait envie de continuer ensemble c’était clair.
Nous avons eu l’Avance sur recettes du CNC, déterminante pour un film comme celui-ci, du premier coup. Ensuite, Canal+ et Arte ont adhéré au film. Une vie violente est un film sans vedette et plutôt très noir, l’engament de partenaires est d’autant plus précieux sachant cela. C’est le cœur même du projet qui a suscité l’engouement. Enfin, bien sur, très engagée aussi dès l’origine du projet, la Collectivité territoriale de Corse - à travers Jean-François Vincenti et Yolaine Lacolange - qui est mon premier et plus ancien partenaire.
 
Comment avez vous composé votre casting ?
Le casting a été mené par Julie Allione. Il a duré un an. Il y avait énormément de rôles, et donc une cohérence romanesque à trouver. Au-delà des questions d’authenticité qui est un concept que je ne comprend pas, nous cherchions des acteurs - professionnels ou non, ça ne fait pas de différence - capables de jouer ce qu’il y a à jouer, c’est à dire de comprendre la complexité et l’intensité des enjeux et prêts à prendre la parole.
 
Vous aviez des envies de mise en scène, des besoins précis ?
J’avais l’envie de raconter en très peu de plans. Avec Claire Mathon, qui fait la photographie, on voulait que le film soit minimal et ample, tout en restant très direct. Il fallait épouser les différents régimes, les différents états que traversent le récit et le personnage, sentir à quel point les enjeux se décalent. Et aussi, le cadre offre une précision en contradiction avec les effets de réel, la vie, tout ce qu’il y aurait d’imprévu qu’allait rendre le travail des acteurs.
Je voulais que le film soit physique, mais surtout pas tremblé. Et puis qu’on perçoive bien les durées de chacun des mouvements du film. De manière à ce que la brutalité et l’absurdité soient perceptibles dans toutes leurs dimensions. Je connais les lieux très bien, avant même de commencer à écrire, Bastia et la Balagne où le tournage s’est déroulé en grande partie. J’appartiens à ces lieux.
 
Le tournage s'est déroulé en deux étapes. Fin décembre 2015 et ensuite durant l'été 2016. N'est ce pas difficile de reprendre après un tel arrêt ?
Non, pas difficile. Il s’agit de tout un processus qui est comme ça. C’est un peu d’obsession ou d’utopie pour moi, que rien ne commence et que rien ne s’arrête, que tout soit dans un tout, un seul mouvement. Le travail des acteurs avec la caméra commence dès le début de l’écriture, on fait des allers-retours sans cesse, jusqu’au tournage. Je dirais que le processus que je tente de mettre en place s’approche de ce qu’on appelle en théâtre ou en danse, une écriture de plateau. Et puis on a tourné encore de nouvelles scènes cet hiver. Pas de retakes, mais d’autres scènes que le montage réclamait. Pas de séparation donc, parce que je déteste les séparations.
 
Cette sélection à la Semaine a une signification particulière pour vous ?
C’est la deuxième fois que je présenterais un film à Cannes, et que j’y viens avec un film dont la Corse est le territoire physique et intérieur et le personnage principal. La deuxième fois aussi que j’y viens accompagné d’une compagnie d’acteurs jeunes et neufs. C’est le film le plus personnel que j’ai jamais fait. La Semaine de la critique montre chaque année les gestes de cinéma d’aujourd’hui. Être là, c’est très important pour moi.
 

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Elise Pinelli


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