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Cinéma

Congrès FNCF 2017 – Les pratiques du public et la Data au cœur de la table-ronde

Date de publication : 28/09/2017 - 08:25

La traditionnelle table-ronde de la grand-messe des exploitants, intitulée cette année "Public du Cinéma, publics des cinémas", a été l’occasion de faire le point sur les pratiques culturelles et cinématographiques des spectateurs français et européens, tout en abordant le sujet essentiel de la Big Data et de son partage entre les différents acteurs du secteur.

Après des échanges mouvementés la veille sur l’épineuse problématique de l’après-VPF, la FNCF avait choisi un sujet rassembleur pour son habituelle table-ronde, organisée ce mercredi 27 septembre à Deauville sous la modération d’Isabelle Giordano, directrice générale d'Unifrance : le public. "C’est une question essentielle, a souligné Richard Patry, président de la FNCF, qui a rappelé que "la connaissance du public est une activité en pleine expansion".

Avec l’idée, notamment, de "savoir où les spectateurs regardent des films quand ils ne sont pas chez nous". Le tout en sortant de l’Hexagone pour aller explorer les différentes initiatives menées à travers le monde – notamment Europe –, avec un focus tout particulier sur la Data. "C’est, aujourd’hui, l’enjeu de toutes les questions et interrogations".

Une fréquentation forte

En préambule, Benoît Danard, directeur des études, des statistiques et de la prospective du CNC, a détaillé les contours de la traditionnelle étude du Centre consacrée au public. Il a tout d’abord souligné l’extrême abondance de l'offre à disposition des spectateurs – "nous n’avons jamais eu autant de films" –, relevant, sur 2016, 14 569 titres disponibles en DVD/Blu Ray, 13 735 en VàD, 7 760 en salles (dont 716 inédits), 5 296 en VàDA et 2 480 à la télévision. "La salle est le lieu où nous consommons le plus de films", a toutefois pointé Benoit Danard.

Et ce dernier de se féliciter, en conséquence, de la situation actuelle. "Alors qu’il y a de plus en plus de moyens de voir des films, nous avons toujours une fréquentation supérieure à 200 millions d’entrées. Aller en salle reste une sortie collective. C’est très important, car cela ne rentre pas en concurrence avec le fait de regarder des films sur les autres supports". "En l’espace de 10-15 ans, nous sommes passés de 30 à 40 millions de spectateurs uniques, a poursuivi Cédric Aubry, président de la branche moyenne exploitation de la FNCF. Le parc de salles y est pour quelque chose".

Le public jeune en pleine mutation

Concernant le public jeune, interrogation récurrente des professionnels dans un écosystème numérique en pleine mutation, Benoit Danard a rappelé que "le cinéma reste une pratique particulièrement répandue chez les jeunes". Les 15-19 ans sont, à titre d'exemple, allés sept fois en salles en 2016. Force est de constater, cependant, que la part des jeunes spectateurs dans le public cinéma diminue fortement depuis plusieurs années. Avec une explication toute simple : "la part des seniors dans le public progresse. Sur les moins de 25 ans, la pénétration est relativement stable, mais elle a beaucoup augmenté chez les seniors".

Le tout est accompagné d’une mutation du rapport aux différents médias, Internet étant depuis quelque temps déjà la source d’information n°1 de ces classes d’âge, en particulier via les réseaux sociaux. "Ils font partie intégrante de la communication autour des films", a appuyé Benoît Danard.

La question du public jeune – et plus particulièrement de la façon de s’adresser à eux – a ensuite occupé une large part des échanges. "Les jeunes spectateurs ont certes une approche très orientée vers les nouvelles technologies, mais ils sont toujours là", a relevé Eva Letzgus, exploitante à Strasbourg et Dorlisheim. "Les jeunes viennent, mais n’y-a-t-il pas une concentration sur le même type de films", a questionné Guillaume Bachy, responsable du groupe jeune public de l’Afcae et directeur des Cinémas du Palais à Créteil. "Et sur le même type d’établissements", a appuyé Emmanuel Baron, directeur de la programmation de Véo.

La data en question

Pour aborder la thématique, large, des communautés de spectateurs, la table-ronde s’est ensuite oienté vers l’angle de la data. Dans ce cadre, Isabelle Giordano a invité Sarah Lewthwaite et Olivier Reunaud Guerrini, respectivement vice-présidente directrice exécutive et responsable de compte pour l’EMEA de Movio. La société commercialise des solutions logicielles facilitant l’analyse et l’exploitation marketing des données personnelles, à destination des professionnels du cinéma – producteurs, distributeurs et exploitants.

Selon ses représentants à Deauville, la société couvre 29% du marché mondial et traite la data de plus de 39 millions de spectateurs de par le globe. Sarah Lewthwaite a présenter plusieurs cas concrets où le traitement et l’utilisation de data ont été pertinents pour la production, la distribution et l’exploitation de films. L’occasion de souligner, par exemple, que plus de 27% des spectateurs du dernier Star Wars ont plus de 50 ans, une cible qui, contrairement aux idées préconçues, peut être mobilisée pour certains blockbusters. De même, les logiciels de Movio ont permis au distributeur de Sausage Party d’affûter sa stratégie affinitaire en ciblant des publics de films pourtant hors comparaison en termes de genre ou de sujet.

"L’historique des données personnelles des spectateurs améliore le ciblage de chaque nouvelles sorties", explique la dirigeante. "L’enjeu est de diffuser le bon message à la bonne personne, par le bon canal et au bon moment. La data demeure le meilleur moyen, et parfois le seul et unique, pour mesurer l’efficacité de ses actions et d’affiner sa stratégie."

De la nécessité du partage

"Nous avons toujours collecté de la data sur nos spectateurs", témoigne David Baudry en réaction. "Après tout, selon les études, 75% des spectateurs fréquentent le même cinéma. Avant, nous le faisions dans le hall, en leur parlant avant ou après une séance. Aujourd’hui, les évolutions techniques permettent de le faire à plus grande échelle."

"Les salles de la petite exploitation ont moins besoin de ce type d’outils, car la proximité avec le spectateur se fait plus naturellement", juge pour sa part Emmanuel Baron, qui juge toutefois ce type de solutions "formidable pour la multiprogrammation".

Dans la salle, Frédéric Monnereau, directeur marketing studio et home-vidéo de Disney France, a tenu a insisté sur la nécessité du partage de données, "gratuit", entre exploitant et distributeur. "Si nous connaissons mieux le spectateurs ensemble, nous pourront adapter nos campagnes."

Interrogé sur le cas particulier de la France, Olivier Reunaud Guerrini a témoigné que l’Hexagone avait "du retard. Le Big Data continue à faire peur". "Il faut rester vigilant afin de ne pas se retrouver avec une exploitation à deux vitesses : les salles qui pourront partager leur data avec les distributeurs, et celles qui n’en auront pas les moyens", a réagi pour sa part Guillaume Bachy.

Toujours dans la sphère digitale, et autour des données personnelles, Julien Marcel, CEO de Webedia Movies Pro, s’est livré à un exposé pertinent sur la question de la coopération interprofessionnelle et du partage de la data. "La particularité du digital est que nous sommes dans une économie de la collaboration", a témoigné le dirigeant. "Les données n’ont de valeur que si elles sont donc partagées. Chacun de nous a une partie de l’information. Ça ne marche que si nous partageons."

La révolution du e-billet

Le dirigeant a ensuite abordé les enjeux importants qui reposent sur le développement de la billetterie dématérialisée en termes de connaissance du public. Une pratique qui ne concerne pour l’instant que 15% à 25% des entrées, mais qui représente une opportunité industrielle pertinente en terme de data mining, tout en apportant un lot d’interrogations et de problématiques.

"Nous sommes à l’aube de la révolution du e-ticketing. D’un coup, nous savons qui achète le billet et comment le recontacter. Mais quel sera le modèle économique de cette transition ? Et surtout, quel sera le modèle de partage de données ? Enfin, comment maintenir un contact privilégié avec le client à l’ère du e-billet ?", a résumé Julien Marcel, qui a  toutefois tenu à relativiser : "Le but du cinéma est-il de détecter ce que veut le spectateur ? A trop cibler, on risquerait d’enfermer le spectateur dans une cage. Il est nécessaire également de s’assurer comment garder le goût de la découverte."

Le cas espagnol

Dernier grand témoin invité à cette table ronde, Jaime Tarrazon, Pdg du circuit espagnol Area Catalabia d’Exhibidio et membre de la FECE, équivalent ibérique de la FNCF, est venu témoigné du cas particulier de l’Espagne. Un marché qui a perdu près de la moitié de sa fréquentation entre 2004 et 2013, et qui remonte désormais la pente grâce à une série de décisions stratégiques, pour certaines innovantes.

L’Espagne, qui comptait plus de 143,9 millions d’entrées annuelles en 2004, est tombé à 78,7 millions neuf ans plus tard. Une chute impressionnante due à la convergence de trois phénomènes : une crise économique majeure, un manque de soutien des pouvoirs publics qui a abouti à une augmentation de 13 points de la TVA (de 8% à 21% sur le billet), et le piratage, "très important" outre-Pyrénées – "nous avons perdu une génération entière de spectateurs avec le piratage".

La crise financière, surtout, a entraîné une chute des entrées chez les classes populaires, soit les 70% du public qui forme 30% des entrées annuelles. "Le défi pour les salles fut de ne pas le perdre définitivement. S’en est donc suivi une guerre des prix entre exploitants, qui a finalement détruit la valeur".

Cette réduction radicale du marché a bien entendu engendré un phénomène important de fermetures d’établissements. Avec 1 126 salles en 2004, le territoire n’en comptait plus que 721 en 2016. Le maillage en souffre bien entendu : 38% de la population espagnole vit dans une municipalité dans cinéma. En outre, ce contexte négatif a entraîné une chute structurelle de la capitalisation des sociétés ibériques d’exploitation, dont nombre d’entre elles furent investies par des capitaux étrangers.

Rebâtir son public

Pour inverser la tendance, la filière espagnole s’est reposée sur une séries de mesures attractives afin de rebâtir son public. Tout d’abord l’évènementiel, en transformant la Fiesta del Ciné, créée en 2009 suivant "le modèle à suivre" français de Fête du Cinéma, et organisée deux fois l’an – printemps et automne. Pour l’édition 2013, la fédération a mis en place l’accréditation Web des spectateurs, qui a permis de former une base de données comptant aujourd’hui 5,1 millions de clients enregistrées. Une mine d’or en guise d’outil de mobilisation du public pour les exploitants espagnols.

Ensuite l’offre. Le cinéma espagnol sort de trois années fastes soutenues par les résultats exceptionnels de grosses productions nationales, en tête du BO local en 2014, 2015 et 2016. Enfin, le dernier levier demeure de se rapprocher des pouvoirs publics afin de s’adjoindre un soutien politique. La baisse de la TVA demeurant "un défi pendant". Les choses paraissent en bonne voie, le gouvernement ayant annoncé réfléchir à un rabaissement de 10 points de la TVA au 1er janvier prochain.

"Nous sommes malheureusement l’expemple de ce qui peut arriver quand nous n’avons aucun soutien politique", a conclu Jaime Tarrazon. "Cet exemple souligne la nécessité d’avoir une profession unie avant tout", a complété Eva Letzgus.

"Connaître et suivre de façon très régulière le public, notamment avec la fameuse data, est capital", a résumé Richard Patry en conclusion. "Jaime nous l’a bien montré, nous ne sommes pas à l’abri de connaître un cycle destructeur pour la diffusion du cinéma en salle." Et le président de la FNCF de cité plusieurs "défis" à affronter pour "maintenir notre niveau de fréquentation" : "Mieux connaître notre public, maintenir une fenêtre d’exclusivité à 4 mois, lutter plus efficacement contre le piratage, obtenir des pouvoirs publics des conditions fiscales et règlementaires favorables et offrir ce qu’aucun autre diffuseur ne peut offrir : l’émotion collective, la convivialité, l’expérience unique de l’œuvre sur grand écran."

Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
© crédit photo : S.De.


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