Cinéma

Antoine Leclerc (Carrefour des Festivals) : "L’enjeu collectif est évident"

Date de publication : 20/04/2020 - 10:39

En complément à notre entretien paru dans LFF n° 3907 du 17 avril, retour avec le délégué général de Carrefour des Festivals, qui regroupe plus d’une cinquantaine de manifestations cinéma, sur les conséquences futures de l’état d’urgence et les expériences digitales menées par plusieurs organisateurs d'évènements.

A long terme, à quelles conséquences à cette période de crise les festivals pourraient-ils être confrontés ?
Parmi les autres phénomènes qui nous questionnent, il y a les risques d’un effet d’accumulation à l’automne, nourri par les reports de festivals de cinéma mais aussi de l’ensemble des propositions culturelles, voire également d’autres rendez-vous comme les salons. Nous craignons un manque de capacité à faire exister tous ces évènements sur une même période, au regard de la disponibilité du public mais aussi des lieux.
Au-delà, si les festivals sont souvent leurs navires amiraux, les organisations et associations organisatrices maintiennent aussi une activité tout au long de l’année, qui forme d’ailleurs souvent le prolongement des manifestations. Pour prendre l’exemple de trois d’entre elles qui ont échappé à la tempête, tels que Premiers Plans d’Angers, le Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand ou encore Travelling à Rennes : leurs actions prolongées sont, ce trimestre-ci, déjà largement impactées.
Cela concerne bien sûr des rendez-vous publics, notamment des décentralisations, mais surtout tout le travail d’éducation à l’image auprès des scolaires. Sur ce plan, les dispositifs nationaux concernés sont évidemment à l’arrêt. Quand bien même les écoles ouvriraient de nouveau après le 11 mai, nous savons déjà que la priorité ne sera pas d’envoyer les élèves au cinéma. Mais nous nous inquiétons aussi sur le moyen terme, ou comment les choses se présenteront durant l’année scolaire 2020/2021. Car nous touchons là des sujets de fond, de transmission et de découverte des œuvres.

Avez-vous des pistes de réflexion sur les éventuelles solutions à mettre en place pour soutenir les manifestations de cinéma ?
Les deux urgences préalables furent évidemment les mesures d’accompagnement sociales, qui se précisent au fur et à mesure, et les soutiens du régime général. Ensuite, on entend des appels à des fonds d’urgence pour le secteur culturel en général, et nous sommes attentifs à la place accordée aux manifestations culturelles. Il y aura ensuite un travail d’évaluation au cas par cas pour essayer d’éviter que des festivals disparaissent tout simplement à l’issue de cette année. Nous espérons aussi voir ces initiatives d’urgence se décliner à l’échelles des collectivités territoriales.

Certaines manifestations sont très liées à leurs lieux de diffusion, majoritairement des cinémas. Vous devez sûrement être très attentifs à l’impact de la crise sur le parc de salles…
Bien sûr. Nous échangeons énormément avec l’exploitation, et ces échanges peuvent témoigner de nos incertitudes et inquiétudes partagées. Nous sommes organiquement liés. De même l’ensemble de la chaîne est concerné, aussi bien les installateurs, les distributeurs, les vendeurs… la survie de tout l’écosystème joue sur la capacité des organisateurs et programmateurs de festivals à poursuivre leur travail. L’enjeu collectif est évident.

Dans ce contexte, plusieurs initiatives de dématérialisation des festivals ont vu le jour, quel est le premier bilan de celles-ci, quels enseignements en tirer ?
Il est intéressant de constater comment chaque manifestation, selon ses spécificités, et notamment le fait qu’elle intègre ou non des rendez-vous professionnels, s’est approprié la solution digitale. En s’appuyant parfois sur des partenariats préexistants avec des plateformes comme Tënk, Cinando ou encore Festivalscope. Là où certains festivals ont mis en ligne leur compétition officielle, d’autres ont fait le choix de ne dématérialiser que certaines sections en conservant l’espoir d’un report physique de tout ou partie de la compétition plus tard dans l’année.
Cet intérêt suit une tendance à la multiplication des propositions digitales à destination des professionnels du cinéma, ce qui interroge sur leur disponibilité et leur capacité à digérer cela. Mais les signaux sont plutôt encourageants quant à la pertinence de ces dispositifs. Avec toutefois le pressentiment que cela ne remplace pas le visionnement en salle, l’échange en vis-à-vis et la rencontre. Certes, sur les volets professionnels, cette solution est intéressante mais tient plus du palliatif "à défaut" que de la substitution réelle. Reste ensuite la question de la découverte des œuvres par une audience en salle : une expérience qui, elle, ne peut être remplacée.
Certaines de ces expériences, pour la plupart improvisées face aux circonstances, seront peut-être pérennisées d’une manière ou d’une autre. Il est clairement trop tôt pour tirer un premier bilan, mais il sera effectivement passionnant d’avoir des retours tangibles.

Cette crise sanitaire ne risque-t-elle pas de provoquer, à termes, un changement de modèle, notamment pour tout ce qui est protocole et réglementation sanitaire, qui peuvent bouleverser structurellement, en profondeur, l’organisation des manifestations publiques tels qu’on les connaît ?
Cela fait en effet partie des incertitudes les plus importantes. On ne sait évidemment pas, et notamment pour les festivals programmés après le 15 juillet, les conditions sanitaires et règlementaires qui devront être appliquées. Parmi les hypothèses, peut-être nous dirigeons-nous vers une phase intermédiaire de plafonnement du public ? Ou des protocoles de désinfection régulière des salles, mais à quel rythme et selon quel budget ? Aussi, quand bien même le confinement est terminé et les salles sont rouvertes, il peut rester des contraintes qui peuvent impacter durablement la capacité d’une manifestation à fédérer le plus grand nombre.
A ce stade, bien sûr, nous n’avons aucun élément de réponse. Mais sur le long terme, nous restons assez confiants. Les festivals qui ont dû annuler leur édition ont ainsi reçu de nombreux messages de soutien, de partenaires et professionnels mais aussi de la part du public, nombreux et frustré. Ce qui témoigne d’un attachement qui, on l’espère, se vérifiera plus tard.

Propos recueillis par Sylvain Devarieux
© crédit photo : Patrice Terraz


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