Cinéma

Congrès FNCF 2020 - Sécurité sanitaire dans les salles : rassurer sans décourager

Date de publication : 24/09/2020 - 08:25

Les mesures barrières sont rapidement devenues des acquis pour les exploitants et leurs équipes, tout en étant intégrées par les spectateurs. Mais investir dans des équipements pérennes afin de faire face, sur le long terme, à d’éventuelles nouvelles crises ne fait pas encore partie des priorités du secteur. Et la crise sanitaire se révèle aussi être vecteur d’accélération pour certaines tendances

 “Depuis le 22 juin, l’exploitation ne fait que s’adapter. Aux mesures sanitaires, au changement de calendrier des films, au mode de fréquentation du public en fonction des horaires. Le mot clé c’est : adaptation systématique”, résume Marie-Christine Désandré, présidente de Cinéo (groupement de cinémas privés et independants, représentant 520 écrans), et par ailleurs exploitante de deux sites à Châtellerault et Amboise. Le fait est que le “Guide de préconisations de sécurité sanitaire”, élaboré par la FNCF et validé le 3 juin par les pouvoirs publics, a subi un ajustement, dès la réouverture. Publié dans la nuit du 21 au 22 juin, un décret a rendu en effet le port du masque obligatoire, à partir de 11 ans, dans les espaces d’attente et de circulation, tandis que la distanciation physique (un fauteuil entre chaque spectateur ou chaque groupe de spectateurs) s’appliquait seulement dans les salles. Puis, à compter du 29 août, un nouveau décret a généralisé le port du masque à l’ensemble des espaces des cinémas, y compris pendant les projections, les mesures de distanciation physique étant maintenues uniquement dans les départements considérés comme des zones de circulation active du virus et classés en rouge. Au moment de notre bouclage, 53 départements étaient concernés, les préfets pouvant prendre des mesures de prévention et de restriction supplémentaires. Pour les exploitants, le défi est de rassurer les spectateurs, sans pour autant les décourager avec des mesures trop coercitives. “Il s’agit à la fois de prendre ces mesures très au sérieux tout en les appliquant sans que ce ne soit plus anxiogène que l’ambiance générale. Il est vital de dire que le cinéma n’est pas un lieu plus dangereux que n’importe quel autre. C’est un équilibre à trouver”, martèle le délégué général de la FNCF, Marc-Olivier Sebbag.

En Belgique, la généralisation du port du masque, imposée dès le 11 juillet, alors que les salles avaient seulement rouvert le 1er jour du mois, semble avoir eu un impact négatif immédiat sur la fréquentation. Le groupe Kinepolis a notamment annoncé fin août avoir “observé une grande différence entre la période où le masque n’était pas obligatoire et celle où il l’est”. Selon ses estimations, son chiffre d’affaires a ainsi baissé de 35 à 40%. Il est sans doute un peu tôt pour tirer de vraies conclusions, mais la situation semble différente en France. “À notre grande surprise, ce n’est pas vraiment un problème. Du moins, nous ne le percevons pas comme ça. Au contraire, c’est plutôt rassurant pour une partie du public”, souligne le président de l’Afcae, François Aymé. “C’est assez difficile à dire car nous sommes dans une période où la fréquentation est tellement basse que le port du masque dissuade peut-être certains spectateurs sans qu’on le sache, analyse Marie-Christine Désandré. Mais en même temps, au vu des retours d’expérience des différents exploitants, cela n’a pas constitué un point de blocage. Il y a sans doute eu des épiphénomènes de mécontentement, mais très réduits. D’une manière générale, le public de nos salles se montre coopératif et respectueux envers cette mesure. Et dans le contexte actuel de menace d’une seconde vague, je pense que l’obligation du port du masque est plus incitative qu’autre chose.” Mais au sein d’un circuit comme CGR, le constat est plus nuancé. “L’annonce du masque obligatoire a suscité pas mal de réactions de nos spectateurs. Certains sont rassurés, mais d’autres trouvent que c’est trop contraignant. C’est le plus compliqué pour nous aujourd’hui”, explique son directeur d’exploitation Richard Blandin.

ATTENTION PORTÉE À LA FLUIDITÉ DE CIRCULATION
Autre point crucial, celui de la gestion de la circulation du public, pour éviter les croisements. “Nous avons eu un mois pour rouvrir, ce qui nous a permis de nous préparer, remarque Richard Blandin. Beaucoup de nos multiplexes ont des sorties situées de plain-pied en bas de salle qui débouchent directement sur le parking. Comme les spectateurs rentrent par le haut, ça n’est vraiment pas très compliqué en termes d’organisation.” “La question de la gestion des flux est assez simple. On est habitués à le faire, appuie François Aymé. Cela passe par le fait de décaler le démarrage des séances et de les espacer à l’intérieur d’une même salle pour faire en sorte que le public ne stationne pas dans le hall.” Reste que la fluidité de la circulation est d’autant plus élevée que la fréquentation est pour le moment toujours réduite.
Quant à l’obligation dans les zones rouges d’un fauteuil de distance entre chaque spectateur isolé ou chaque groupe, elle pose des problèmes plus complexes qu’il n’y paraît. “On s’est tous dit que cela représentait environ une jauge à 70%. Mais en fait, cela se calcule au doigt mouillé”, raconte Isabelle Gibbal-Hardy (cf. entretien ci-contre). Avant le confinement, j’ai eu une salle magnifique avec Interstellar. Or un groupe de 40 étudiants est venu. Cela remonte aussitôt la jauge. Donc c’est très compliqué à anticiper et cela implique d’avoir plus de personnel le soir.” Censé faciliter les opérations dans un tel contexte, le placement par places numérotées, très minoritaire en France, ne semble pas avoir été la bonne réponse. “Paradoxalement, le système de placement au numéro a été désactivé depuis la réouverture par la plupart de nos clients”, constate Étienne Roux, directeur général délégué de Ciné Digital Service, présent depuis bientôt trois ans sur le marché de la billetterie avec Ciné Office. Car le fait d’affecter un fauteuil à un spectateur crée plus de croisements qu’autre chose. Sans numérotation, les gens commencent par s’installer naturellement au milieu puis s’écartent. Et en fin de compte, il y a peu de trous et cela reste limité. Mais si vous avez une place numérotée et que vous devez faire lever plusieurs personnes pour vous installer entre deux groupes, cela engendre plus d’interactions et augmente le risque de contact.”

RÉACTIVITÉ DES FOURNISSEURS DE SERVICES
De leur côté, les fournisseurs ont rapidement réagi, se posant, dès le début du confinement, la question de savoir comment accompagner au mieux le redémarrage de l’exploitation. Spécialisé dans la billetterie cinéma, Monnaie Services, qui équipe un peu plus de 800 établissements à travers la France, a développé des fonctions supplémentaires pour son logiciel EMS Ciné. Permettant des placements automatiques sur les plans de salles, il offre notamment la possibilité de condamner un fauteuil sur deux mais s’adapte également pour régler le problème de l’espacement nécessaire entre les groupes de spectateurs. Compatible tous canaux de vente, caisse, web et bornes, distance, mais aussi la recharge de cartes de fidélité ou d’abonnement directement en ligne. Tout cela était prévu mais a été accéléré.”

Une accélération qui est sans nul doute l’un des marqueurs de la crise sanitaire. “Nous n’avons pas développé de nouvelles technologies mais les maintenances à distance se sont intensifiées, permettant de régler au moins 80% des cas”, constate le directeur général de Cinemeccanica France, Patrick Muller. La société a également directement envoyé à certains de ses clients des pièces simples à changer, comme des cartes électroniques, un opérateur prenant ensuite la main pour les derniers réglages. De son côté, CinemaNext Espagne a déjà développé un concept de cabines de projection automatiques, permettant d’assurer une maintenance minimum de suivi et même de rallumage, en jouant sur les circuits électriques, sans que personne ne soit présent dans le cinéma. “La centaine de salles que nous avons déjà équipées en France a pu se dispenser d’envoyer des techniciens sur place pendant le confinement sans qu’il n’y ait aucun problème lors du redémarrage”, précise Maxime Rigaud, directeur général de CinémaNext France. La période d’arrêt de l’activité a également permis à Sonis d’accélérer le développement de sa plateforme de transfert dématérialisé dans les salles. Baptisée Hyphen, elle a été officiellement lancée à Deauville, les salles Pathé-Gaumont étant déjà en cours ,de rattachement au réseau.
Globalement, chaque fournisseur est à présent à même de fournir des réponses durables au problème sanitaire, à commencer par les fabricants de fauteuils. Quinette-Gallay propose notamment des housses de fauteuils dotées d’un tissu développé par le fabricant français Serge Ferrari et capable de détruire la charge virale des coronavirus.

Quant au fabricant de lampe Osram, il a présenté, durant le Congrès, Airzing, un luminaire UV-C permettant de désinfecter l’air et les surfaces. Utilisé depuis des décennies en milieu hospitalier, le dispositif est assorti d’un détecteur de présence permettant une coupure automatique, une exposition prolongée pouvant s’avérer cancérigène. D’autres partenaires habituels des salles ont également élargi leur offre pour l’occasion. CinemaNext a ainsi proposé des kits “stopcovid” comprenant notamment un procédé de désinfection des salles à base d’acide hypochloreux, solution retenue pour les Apple Stores, tandis que ADDE a commercialisé une solution de traitement de l’air passant par un autre type de lampes à UV-C, développées par Imperial Lighting. Mais si les demandes de renseignements ont été nombreuses, les demandes de devis ont très peu suivi et les commandes encore moins. Outre le fait que leur trésorerie soit dans le rouge foncé, les exploitants ne semblent pas prêts à investir sur le long terme, du moins pour le moment. “Nous en sommes au tout début de la réflexion, remarque François Aymé. Peut-être est-ce une erreur et qu’il faudrait anticiper plus dès à présent.” D’autres exploitants ont des avis plus marqués. “Avant toute chose, j’attendrai qu’un protocole clair et défini, comme celui publié par la FNCF, soit mis au point, afin que toutes les salles puissent s’appuyer sur un support écrit et commun”, tranche Guillaume Bachy, directeur des cinémas du Palais à Créteil. “Aujourd’hui, le plus efficace est de nettoyer et renouveler l’air. Je ne vois donc pas l’intérêt d’aller acheter du matériel assez cher. Du gel hydroalcoolique, des lingettes, un bon vieux nettoyeur vapeur et de l’huile de coude sont très efficaces contre le virus”, appuie Régis Faure (Le Majestic de Digoin et le Danton à Gueugnon).

LES SALLES PREMIUM, UNE SOLUTION FACE À LA CRISE SANITAIRE ?
Dans un avenir proche, la bascule vers des environnements premium pourrait constituer un autre élément de réponse, comme en témoigne Ōma Cinéma (cf. encadré ci-contre), imaginé pourtant bien avant la pandémie. Et CinemaNext commence à déployer son concept Sphera. “Partout en Europe, dès qu’un cinéma qui avait 1 500 fauteuils en divise le nombre par deux, il gagne de l’argent. Car la règle de base est le taux d’occupation et pas forcément le nombre de fauteuils d’un site. Et dans les salles premium, les distances entre chaque rangée respectent largement les règles de distanciation. Il est vital de continuer à faire sortir les gens en les mettant en confiance”, conclut Maxime Rigaud.

Patrice Carré
© crédit photo : Shutterstock Melinda Magy


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