Cinéma

RE>CONNEXT 2021 - "Borderline", la série documentaire qui explore les frontières européennes

Date de publication : 04/10/2021 - 08:41

Elle a été écrite par son producteur, Frederik Nikolai pour Off World, qui en raconte les différentes étapes.

Disponible en visionnage sur la plateforme de RE>CONNEXT la série Borderline regroupe six documentaires de création, chacun se concentrant "sur une frontière caractéristique qui entoure ou divise le continent européen". Son principe est de "suivre les traces des personnes qui interagissent avec ces frontières au quotidien". Les six épisodes ont été réalisés par Anna Savchenko, Annabel Verbeke, Vytautas Puidokas, Tiha K. Gudac, Isabella Rinaldi et Georg Götmark.

Ce projet est porté par Off World société de production indépendante basée à Bruxelles, fondée par Eric Goossens qu’il codirige avec Frederik Nicolai. Ce dernier, qui est également l’auteur de la série, nous présente sa société et raconte la genèse et la production de Borderline.

Pouvez-vous nous présenter votre entreprise ?
Off World est une société de production basée à Bruxelles qui se concentre sur le film documentaire créatif et de pointe. Nous produisons et coproduisons à l'échelle internationale. Les films de notre ligne éditoriale doivent jaillir de la passion et de la créativité de l'auteur du documentaire, offrant un regard contemporain et décalé sur le monde. Les documentaires doivent raconter des histoires qui combattent les tabous et les stigmates, créer de nouvelles perspectives, opinions, points de vue critiques, fournir une vision du monde plus large et plus critique, nécessaire dans notre société souvent unidimensionnelle et évolutive. Créer et produire un film documentaire n'est pas seulement une profession. C'est une passion, une mission fondée sur l'envie constante de dévoiler les dynamiques latentes et les aspects inconnus de notre société. Quelques exemples : Red Star Line (série documentaire, plus de 10 diffuseurs dans le monde), El Color Del Camaleon (plus de 10 prix, plus de 50 sélections dans des festivals), Archibelge (l'un des documentaires belges les plus vus), et aujourd'hui Borderline, qui est peut-être mon projet le plus ambitieux et le plus réussi.

Comment présentez-vous Borderline en quelques mots ?
Borderline est une collection de six films documentaires créatifs réalisés par des cinéastes européens. Chaque film se concentre sur une frontière proéminente et caractéristique qui entoure ou divise le continent européen et qui reflète des aspects et tendances importants de notre société européenne. Nous voulons étudier le concept des frontières au sein et autour de l'Union européenne en suivant les traces des personnes qui font face à ces frontières quotidiennement, et comment elles se définissent elles-mêmes et l'autre.

Vous en êtes l’auteur.  Comment l'idée est-elle née ?
J'ai écrit ce projet en 2017 en effet. Je faisais des recherches sur un autre projet en Estonie et je me suis retrouvé à Narva-Jöesuu, une ancienne station thermale en bord de mer près de la frontière russe, exclusivement visitée par des personnes parlant russe. J'ai fait une promenade sur la plage en direction de la frontière, qui s'est avérée n'être qu'une petite rivière dans laquelle on peut parfaitement patauger. De l'autre côté, il y avait aussi des gens qui s'amusaient sur la plage, mais j’étais dans l’incapacité de les rejoindre. La rivière en elle-même n'était pas le problème, mais un grand panneau indiquait que si je passais l'UE, la patrouille frontalière russe était autorisée à m'arrêter. C'était en fait l'une des premières fois de ma vie que je rencontrais une frontière dure et impossible à passer, et cela m'a fait beaucoup réfléchir.
Né en 1977 en Europe occidentale, je n'avais jamais connu de frontières strictes. La seule chose qui ressemblait de près ou de loin à un phénomène de cette nature est un souvenir de vacances d'enfance où j'ai fait la queue pendant peu de temps à un poste frontière, où notre voiture et tous nos documents ont été systématiquement contrôlés. Je me souviens de douaniers indolents, qui exerçaient leurs fonctions plutôt symboliques aux postes frontières, et qui faisaient signe aux voitures remplies de vacanciers de poursuivre leur route.
Ce sentiment de liberté était le résultat d'une époque prospère. Nous avions appris de notre passé. Nous n'avions tout simplement plus besoin de frontières. En repensant au sentiment de confort de cette époque, j'éprouve aujourd'hui un sentiment de naïveté. Il semble qu'il n'y ait plus beaucoup d'espace pour comprendre, plus de possibilités de discussion, juste le choix entre le noir et le blanc.
La frontière semble être l'arène parfaite pour remettre en question notre société actuelle. Les frontières offrent-elles une réelle protection, ou plutôt un faux sentiment de sécurité ? Qu'est-ce qui est gardé à l'intérieur et à l'extérieur ? Et quelles sont les interactions entre les parties séparées ? Comment se regardent-elles et comment définissent-elles le passé, le présent et l'avenir ? Des questions pertinentes qui nous invitent à réfléchir sur notre identité et notre position dans l'histoire du monde.

Selon quelle logique les territoires ont-ils été choisis ? 
Le projet a débuté à Bruxelles, mais j'ai toujours cherché à adopter une approche durable et à travailler avec des personnes qui connaissent de l'intérieur une situation frontalière spécifique. Je voulais des films qui seraient toujours d'actualité dans dix ans et qui pourraient également s'adresser à la population locale, et pas seulement des portraits exotiques des périphéries de l'Europe. Je voulais des films qui soient universels et pertinents pour les régions représentées elles-mêmes, en jetant une lumière nouvelle sur l'actualité de leur frontière locale. Cela ne pouvait être possible qu'en faisant appel à des talents locaux (producteurs, réalisateurs, équipe).
Afin de définir le contexte final de chaque film, différentes dynamiques ont été mises en œuvre : dans certains cas, nous avons trouvé un sujet que nous voulions absolument raconter, et nous avons commencé à chercher des partenaires locaux. Dans d'autres cas, nous sommes partis de réalisateurs avec lesquels nous voulions absolument travailler.
Les 6 régions et les équipes créatives ont été définies en relativement peu de temps, mais ensuite, nous avons investi beaucoup de temps dans le développement de chaque scénario. J'ai visité les lieux de tournage, écrit et développé chaque scénario avec les réalisateurs et, dans certains cas, j'ai même participé au tournage.

Comment avez-vous été amené à travailler avec Anna Savchenko et les autres réalisateurs ?
Anna Savchenko a déjà participé aux premières recherches. Née au Belarus, elle travaillait et étudiait en Europe. Je connais Anna grâce à DocNomads, où j'enseigne également. DocNomads est un programme de maîtrise en réalisation de documentaires organisé par trois écoles de cinéma européennes (SZFE en Hongrie, Lusofona à Lisbonne et Sint-Lukas à Bruxelles). Ces dernières années, j'ai beaucoup travaillé avec de talentueux anciens de DocNomads dans de nombreuses productions et dans de nombreux domaines (montage, production, réalisation...). La réalisatrice de l'épisode 6 Liberland, Isabella Rinaldi, est également une ancienne de DocNomads. Pour les autres films, nous avons choisi de travailler avec des cinéastes ayant des affinités avec les régions frontalières spécifiques. Vytautas Puidokas, je l'ai rencontré lors de mon voyage de recherche dans la région de Kaliningrad. Il a adoré l'idée et il a tout de suite été clair qu'il avait le talent nécessaire pour réaliser cet épisode. La bande-annonce faite en développement a été très coûteuse, mais très convaincante vis-à-vis de nouveaux partenaires. Pour l'épisode Radji sur le peuple Sami en Scandinavie du Nord, le réalisateur suédois Georg Götmark m'a présenté le cinéaste Sami John Utsi. Et le réalisateur croate Tiha Gudac a également été impliqué dans une phase de développement très précoce et a réalisé une belle bande-annonce pour l'épisode The Wire. Cela a été en fait le début de cette aventure qui a convaincu les premiers partenaires financiers. Enfin, le talent belge Annabel Verbeke a réalisé le film sur l'Irlande du Nord. Ce ne correspond pas sa à nationalité, mais sa vision et son style méritaient absolument une place dans ce projet.

N'est-il pas difficile de filmer dans une zone frontalière ?
Si, c'est difficile. Les histoires que nous racontons et nos points de vue critiques ne cadrent pas vraiment avec les politiques publiques de nombreux pays. Tous les réalisateurs et directeurs de production ont fait de gros efforts pour pouvoir filmer et traverser les frontières. Parfois, deux équipes différentes travaillaient en même temps, une de chaque côté de la frontière, de sorte que le matériel de caméra ne devait pas traverser. Le réalisateur Tiha Gudac a été retenu par la police presque tous les jours, mais il n'était pas si facile à intimider.
A chaque fois, nous définissions la bonne stratégie pour pouvoir travailler aussi librement que possible. Sans la participation des équipes locales, cela n'aurait jamais été possible.
Mais tout cela se passait avant la pandémie. L'année 2020 a été extrêmement difficile pour les cinéastes et réaliser une série sur les frontières à une époque où toutes les frontières étaient fermées relevait presque de la mission impossible. Par exemple, le début de la production de Four Seasons in a day, l'épisode sur l'Irlande du Nord, était prévu en mars 2020, après 2 ans d'intenses préparatifs. Nous bien sûr avons dû annuler ce voyage.
Au final, nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir tourner l'ensemble du film en 4 semaines durant l'été 2020, entre deux confinements.

Comment cette série a-t-elle été produite ?
Borderline n'est pas un projet bon marché à financer depuis un petit pays comme la Belgique. J'ai toujours voulu impliquer des coproducteurs européens pour réaliser conjointement cette série. Non seulement pour le financement - l'implication créative des partenaires est très importante - mais aussi pour élargir les possibilités de distribution. J'ai toujours été convaincu que les personnes vivant dans les régions frontalières étaient également notre public cible, ainsi que les jeunes générations qui exploitent la liberté et la diversité du continent européen en voyageant à bas prix et en surfant depuis leur le canapé.

Quels ont été les financements?
Laissez-moi vous dire qu'il est extrêmement difficile de financer de tels projets de documentaires créatifs. Le long voyage que mes partenaires et moi-même avons fait pour trouver l'argent est un film en soi. Nous avons essuyé de nombreux refus, des engagements oraux de diffuseurs qui n'existaient plus après un certain temps, et la plupart des réponses positives étaient des montants plutôt limités. Au final, notre équipe, composée de 6 producteurs au total, a réussi à convaincre 6 diffuseurs, 5 fonds publics (Flanders Audiovisual Fund, Norwegian Film Institute, Lithuanian Film Center, Croatian Audiovisual Center, Swedish Film Institute), et 7 fonds régionaux qui se sont tous engagés sur un ou plusieurs épisodes. Notre plus grand soutien a été Creative Europe, qui nous a accordé un financement pour le développement et la distribution télévisée. Grâce à cela, nous avons également pu investir dans la production d'impact.

Des difficultés particulières de financement ?
Nous avons connu des hauts et des bas, et il nous a fallu beaucoup de temps pour financer le projet. Beaucoup de gens ne comprenaient pas l'idée d'une collection de six films qui fonctionnerait à la fois comme une série et comme six films individuels. Je suis sûr que de nombreux décideurs se sont dit : "Le revoilà avec son projet aride". Maintenant que tout est terminé, que la série et les films individuels sont distribués, tout le monde comprend le concept.
Mais avec ce genre de projets, il faut persister. J'ai souvent pensé à abandonner, tout comme de nombreux producteurs et réalisateurs, je suppose. En regardant en arrière aujourd'hui, les défis des jours difficiles semblent presque oubliés, mais j'ai dû faire face à de nombreuses nuits blanches.

Qu'attendez-vous de cette édition de RE>CONNEXT ?
RE>CONNEXT est une très belle occasion pour présenter le projet à l'industrie. L'année dernière, nous étions encore en phase de production et nous avons présenté des travaux en cours. Le projet a suscité beaucoup d'intérêt et je pense qu'il a beaucoup aidé la carrière de nos films. Les films de la collection ont été sélectionnés par des festivals importants, ont remporté des prix et sont vendus, je suis donc très heureux.

D'autres projets en cours ?
En ce moment, je travaille sur une nouvelle série avec Annabel Verbeke (ep3 Four Seasons in a Day) et 6 réalisateurs non-européens intitulée T(w)o Work, sur la lutte et les défis auxquels sont confrontés les migrants en Belgique lorsqu'ils cherchent un emploi. Ce projet sera diffusé début 2021. Parallèlement, je développe le nouveau film de la réalisatrice Olga Lucovnicova, lauréate du prix Berlinale, Last letters From my Grandmother. Ce projet est actuellement développé à l'atelier Ex Oriente et nous le présentons également ici à RE>CONNEXT.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo :


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