Cinéma

Annecy 2023 - AnimFrance s’inquiète d’une création française fragilisée

Date de publication : 15/06/2023 - 08:08

La présentation habituelle des enjeux et des grandes tendances du secteur par AnimFrance a été marquée par une prise de parole d’un représentant de l’Arcom et l’annonce de la signature d’un premier accord avec la plateforme ADN. Mais certains voyants sont en rouge sombre.

Avec le titre choisi pour sa conférence, "La création française fragilisée, comment rebondir ?" AnimFrance a donné le ton d’entrée de jeu. Beaucoup d’indicateurs sont au vert mais les mauvais chiffres de la production aidée inquiètent à juste titre.

Parmi les chiffres positifs, figurent ceux de l’emploi et de la prestation de service, ce qui prouve une reconnaissance sans précédent par le marché international, l’animation française étant toujours numéro 1 à l’export. Et les dépenses réalisées sur le territoire français bénéficiant du crédit d’impôt international ont été multipliées par sept depuis 2015, s’établissant à près de 200M€ en 2022.

Membre du collège de l’Arcom et président du groupe de travail Création et production audiovisuelles, cinématographiques et musicales, Antoine Boilley, a succédé à Samuel Kaminka. Dans un discours particulièrement laudateur, ce dernier a tenu à affirmer l’attachement de l’Arcom à l’animation française "l’une des pièces maîtresses et l’un des joyaux de notre exception culturelle". Il a notamment abordé la nécessaire intégration des plateformes étrangères au sein de l’écosystème, se disant notamment satisfait de l’avenant de la convention signé avec Prime Video en mars dernier. Il a également évoqué le fait que Netflix semblait prêt à aller plus loin dans sa contribution. Une allocution qui s’est terminée sur un appel "à un climat de travail et de dialogue résolument constructif, franc et inscrit dans la durée".

Revenant sur les chiffres de l’emploi, Stéphane Le Bars a rappelé que le nombre de salariés du secteur était passé à 9864 en 2022, ce qui représente une progression de 9% par rapport à 2021, la masse salariale étant de 268M€. En termes de parité la situation s’améliore. En 2010 le secteur comptait 31% de femmes. 10 points ont été gagnés depuis et la parité est à présent de mise dans les promotions d’étudiantes et d’étudiants sortant des écoles d’animation.
 
Croissance tirée par la production exécutive pour  les studios US
Le marché se stabilise depuis septembre 2022, un effet plateau s’étant installé qui est toujours de mise sur le premier trimestre 2023. La croissance a été tirée vers le haut par la production exécutive pour le compte de studios essentiellement américains. Les financements internationaux sont au plus haut. Le seuil historique de 150M€ a été atteint en 2021. L’animation représente en effet 40% des apports internationaux dans les programmes français mais 10% seulement en termes de volume de production, ce qui prouve son attractivité. Mais la courbe devrait être descendante en 2022, en raison du ralentissement du marché international. Une baisse de 5 points est d’ores et déjà manifeste dans la part de financement étranger des œuvres.

En termes de place sur différents marchés, la France est numéro 2 en termes d’approvisionnement des chaînes traditionnelles en Allemagne, en Italie et en Espagne. Elle se positionne derrière les États-Unis mais devant la production nationale. Et sur les plateformes de VàDA elle est le 4e pays le plus représenté derrière les États-Unis, le Japon et le Royaume Uni. Mais ce dernier pourrait devenir de plus en plus compétitif grâce à un nouveau crédit d’impôt, actuellement en cours de négociation.

Cependant les chiffres du CNC font apparaître sur l’année écoulée un recul de l’ordre de 38% du volume de la production aidée, soit 221 heures au lieu de 300 en moyenne. Un plus bas historique depuis 20 ans. Le fait est que le décret SMAD n’a eu aucun impact sur le volume de la production indépendante, puisqu’une seule série a été aidée par le FSP (Fond sélectif plateformes) en 2021, Karaté Mouton de Xilam pour Netflix et aucune en 2022. Et les plateformes ne sont pas seulement concernées puisque l’inclusion dans le système des chaînes Cabsat étrangères comme Disney Junior, Cartoon Network HBOMax ou Nickelodeon est aussi une nécessité.

Quant au conventionnement des plateformes américaines il est dans une phase de "remontada" difficile, partant d’une base définie par l’Arcom. En novembre dernier un accord a été signé avec Prime Video, permettant de faire passer l’investissement dans l’animation de 0% à 5% dont 85% EOF et 100% indépendant. Des discussions difficiles sont en cours avec Netflix, l’animation constituant le coeur du problème. "Une position inflexible qui étonne au vu de la place conséquente de l’animation sur la plateforme. Mais ils ne veulent faire bouger qu’à la marge le curseur actuel de 4,4% dévolu à l’animation", a souligné Stéphane Le Bars. "Nous souffrons clairement du fait que beaucoup de décisions sont prises depuis les États-Unis". Et si des discussions sont en cours avec Disney Channel et Disney junior, le groupe Disney refuse de rouvrir le dossier avant 2024, date de fin de conventionnement avec l’Arcom. Pour AnimFrance il est donc grand temps de faire un premier bilan du décret Smad afin qu’il puisse enfin produire du volume.
 
Signature d'accords
Important motif de satisfaction, la signature d’accords interprofessionnels structurants avec les groupes TF1 et M6. Par ailleurs un accord avec Amazon a permis de corriger les torts du conventionnement qui avait été accordé à la plateforme. Enfin un accord a été signé le 13 juin avec la plateforme ADN. Reste à présent deux importantes signatures à venir.  L’accord avec Canal+, sur lequel les discussions sont au point mort et celui avec France Télévisions qui devait intervenir fin 2022 mais qui sera évidemment retardé, le COM du groupe public ayant été repoussé d’une année. C’est une négociation capitale pour la filière, France Télévisions étant son premier partenaire avec 32 M€ d’investissement en 2022. Si l’accord est respecté à la lettre, le plancher de 32 M€ est en fait devenu un plafond depuis 4 ans. Parmi les ambitions du futur accord figure notamment une consolidation des investissements avec un meilleur accompagnement du long métrage d’animation pour arriver à des participations de 1 M€ par budget au lieu des 650 K€ à 750 K€ actuels.

Si 13 films d’animation ont été agréés en 2022, dont six films d’initiative française, ce qui représente un record, le nombre de FIF reste stable soit 5 à 7 par an depuis six ans. Leur devis moyen est de 14,47 M€ en 2022, contre 7,44 M€ en 2021, le budget faramineux de Miraculous, le film de ZagToon, soit 80 M€, venant fausser cette moyenne. C’est en effet le film le plus cher de 2022 et le 4e film d’animation français le plus cher de l’histoire. Mais en réalité le devis médian des FIF continue à descendre, s’établissant à présent à 5,74 M€.

Parmi les effets ricochets des bons chiffres de la production exécutive figure la hausse du coût horaire de l’animation française, supérieur à celui de la fiction depuis 2021. En cause la relocalisation, une augmentation des exigences qualitatives, ainsi qu’une pression sur les salaires exercée par les studios américains dans le cadre de la production exécutive.

Initié depuis quelques temps, un accord interprofessionnel spécifique au secteur de l’animation devrait être signé avec les auteurs, afin d’encadrer les relations avec les producteurs. Administratrice d’AnimFrance, Katell France a rappelé qu’il y avait eu un précédent avec l’accord transparence de 2017. Ce nouvel accord concerne trois catégories d’auteurs : littéraires, graphiques et réalisateurs. Les discussions sont menées entre l’AGrAF, la Guilde Française des scénaristes, U2R et la SACD, AnimFrance et le SPI.

Certains points ont été calqués sur l’accord signé pour la fiction, notamment la prime d’inédit à 30% et une rémunération complémentaire après amortissement du coût de l’œuvre. Différentes définitions ont été mises au point : bible littéraire, graphique et de réalisation. Même chose pour un glossaire définissant les différentes étapes d'écriture et les formats de textes par étape, avec L4établissement d’un nombre maximum de versions. Et afin de structurer les conditions financière avec les scénaristes ont été définis différents minimas en fonction des formats, avec une bonification financière pour les épisodes de développement. Par ailleurs un échéancier de paiement sera établi contractuellement ainsi que des modalités financières en cas d'abandon de texte ou de substitution d’un auteur.
 
Calcul carbone
Autre administratrice du syndicat, Hanna Mouchez est venue présenter les travaux en cours sur le calculateur carbone propre à l’animation. Si l’éco-conditionnalité des aides du CNC, devient la règle pour la fiction et le documentaire qui doivent à présent fournir des bilans carbone, ce n’est pas encore d’actualité avant 2024 pour l’animation. Deux calculateurs carbone ont été homologués par le CNC le 9 mars dernier, CarbonClap, celui d’Écoprod et Seco2 de la société Secoya. De son côté AnimFrance a commencé dès 2021 à développer un outil propre à l’animation. Baptisé pour le moment Carbulator, il est piloté par plusieurs directeurs techniques. Plusieurs studios ont pu s’emparer d’une version test depuis la rentrée et le béta-tester, ce qui a permis de l’améliorer. Une V2 est au point, l’enjeu actuel étant de finaliser l’outil pour une version définitive destinée à être homologuée dès la fin 2023. Il sera interfacé avec le CarbonClap d’Écoprod.

Par ailleurs Ecoprod et Cartouch' Verte ont dévoilé lundi un guide de l'animation écoresponsable, disponible gratuitement. Il est constitué d’une soixantaine de fiches déclinables en 150 actions concrètes, ayant pour vocation de s'enrichir d'exemples concrets et des données récoltées par le Carbulator.

Patrice Carré
© crédit photo : Patrice Carré


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