Cinéma

Congrès FNCF 2023 – L’exploitation entre résilience et optimisation du modèle

Date de publication : 20/09/2023 - 08:01

Premier rendez-vous éditorial de la 78e édition de la grand-messe de l'exploitation française, le Forum de discussion du Congrès de la FNCF a comme de coutume été l'occasion pour les représentants des trois branches du secteur d'exposer les dossiers à leur sens essentiels, hausse exponentielle des charges, réforme de l'art et essai, transition écologique et engagements de programmation en tête, tout en organisant plusieurs prises de parole autour du Pass Culture, de l'accessibilité ou encore des questions sociales.

"Le contexte de la fréquentation est bien meilleur cette année que l’an dernier, prouvant une fois de plus l’amour de nos concitoyennes et concitoyens pour le cinéma en salle, et la capacité des salles et de films de retrouver globalement leur niveau de fréquentation d’avant-crise". C’est par ces mots que Richard Patry, président de la Fédération nationale des cinémas français, a ouvert son discours introductif au Forum de discussions, tenu ce mardi 19 septembre à Deauville.

Une ambiance pour le moins studieuse régnait en effet dans le Grand Auditorium du CID pour cette 78e grand-messe des exploitants français. Un rendez-vous attendu, notamment à l’aune d’un contexte chargé en actualités comme en enseignements pour la filière cinéma, et en particulier pour sa branche d’exploitation. En effet, entre les différents rapports du premier semestre (Lasserre, Bacchi...), appelant à plusieurs réformes en profondeur de domaine cruciaux pour le secteur, un regain de fréquentation désormais affirmé après un été prolifique, mais également un besoin de se moderniser et s’adapter aux problématiques écologiques dans une période post-Covid peu favorable où cohabient pêle-mêle inflation croissante, augmentation des charges, endettement grandissant et trésoreries - parfois très - fragilisées, le secteur alterne entre motifs de statisfaction et inquiétudes profondes.

"Je n’ignore pas les difficultés que beaucoup peuvent connaître, mais nous avons démontré collectivement notre capacité à nous relever, et la résilience de notre modèle national", a ainsi poursuivi Richard Patry. "Confiance, résilience, vigilance, sont donc les mots qui vont guider l’action de la fédération dans les prochains moins. J’ajouterai également l’optimisation. Notre monde, nos métiers, nos pratiques n’ont plus rien à voir avec la période d’avant la pandémie."

"Le temps d’analyser"
Optimiser, donc, mais pas à n’importe quel prix. Le président de la FNCF a ainsi émis un appel à la mesure sur trois dossiers fondamentaux listés à la fois par les rapports sénatoriaux et les pouvoirs publics : "art et essai, engagements de programmation et de diffusion, cartes illimitées. Attention, ce sont des sujets complexes, sur lesquels une recherche de consensus est absolument essentielle. Toute modification rapide et non suffisamment réfléchie induira obligatoirement des risques d’effets pervers et non désirés. De plus, nous n’allons pas réformer ces dispositifs tous les ans. Nous devons donc collectivement prendre le temps d’analyser, d’ajuster, d’objectiver et de se concerter pour que chacun puisse s’y retrouver."

Et Richard Patry de conclure son intervention. "La FNCF va continuer à se battre pour défendre notre profession. A montrer que les exploitantes et exploitants de cinéma, grands ou petits, des villes ou des campagnes, généralistes ou art et essai, circuits itinérants ou multiplexes, sont unis, solidaires, pour construire le cinéma de demain, dans lequel les salles auront une place primordiale, irremplaçable et exclusive", a déclamé l'exploitant, saluant une fédération "unie, forte et solidaire".

La branche petite exploitation alerte sur l'accès aux films
Ce sont donc autour d’enjeux nouveaux, mais aussi de certains beaucoup plus habituels, que se sont ensuite articulées les prises de paroles des différentes branches. En débutant comme de coutume par celle de la petite exploitation, représentée sur scène par Christine Bentabet (Le Dunois de Châteaudun).

La rapporteure a ainsi exprimé les remarques et alertes de ses adhérents sur une demi-douzaine de sujets. A commencer par la formation, pour témoigner d’une "difficulté de recruter au sein de notre filière", mais aussi "son manque probant d’attractivité", liés "en partie à l’absence de diplômes et de repères pour l’embauche, alors que des dispositifs existent". Et la branche d’appeler de ses vœux la poursuite des travaux fédéraux dans ce domaine, tout en soulignant "l’absolue nécessité de proposer au sein de nos équipes des formations réglementaires et obligatoires".

L'exploitante a poursuivi sur le sujet de la flamblée des coûts énergétiques : "L’impact du coût de l’énergie amène à une prise de conscience (…) sur les bonnes pratiques et les solutions immédiates à mettre en place", a-t-elle ainsi indiqué, tout en soulignant le souhait des établissements de la branche de participer à la nouvelle commission écologie créée au sein de la fédération (voir plus bas).

Et Christine Bentabet de relever un questionnement sur le modèle économique des petites exploitations. "La hausse légitime du coût de la masse salariale de nos cinémas, en cette période de forte inflation, l’augmentation des coûts de l’énergie (…), la forte augmentation des charges fixes, conduisent à une réduction critique de nos marges." Le tout en alertant sur une "situation dramatique" concernant le taux d’endettement de nombreux exploitants, et, en conséquence, "leur incapacité d’investir".

Au chapitre du rééquipement des projecteurs numériques, la branche a ainsi demandé que les pouvoir publics et la FNCF "s’emparent" du sujet du réinvestissement dans le matériel des salles, menacé d’obsolescence. Tout en regrettant la fin du déplafonnement de la loi Sueur, demandant au législateur de renouer avec le dispositif précédemment en vigueur.

La petite exploitation s’est également déclarée "soucieuse et attentive" vis-à-vis de la réforme annoncée de l’art et essai, préconisée dans les plusieurs rapports. Un dossier même qualifié d’"anxiogène" : "L’équilibre actuel du classement art et essai ne serait être remis en cause par la mise en place d’un calendrier contraint", a signalé Christine Bentabet, tout en appelant à une révision des critères "pour mieux prendre en compte la politique d’animation" des salles classées.

La branche s’est ensuite félicitée du dispositif du Pass Culture (cf plus bas), tout en relevant des "disparités territoriales" vis-à-vis de l’articulation avec les dispositifs scolaires, pouvant pousser à une "démobilisation".
 
Enfin, la petite exploitation a également tiré la sonnette d’alarme au sujet, récurent, de l’accès aux films. Témoignant ainsi de "demandes de séances disproportionnées" et "inadaptées à la réalité du terrain" de la part de nombreux distributeurs, aboutissant à une tension des relations entre les deux secteurs. "Les recommandations de la Médiatrice ont permis, un temps, de faciliter l’accès aux œuvres et à la diversité des films sur nos écrans, il est nécessaire de les reprendre en considération de manière urgente." Et la branche d’inviter à la création d’un "espace de concertation sur la diffusion des films", pour favoriser "un dialogue avec les autres branches".
 
"Explosion des charges", relations avec les distributeurs et réforme art et essai au menu de la moyenne exploitation
Rapporteure de la moyenne exploitation, Sylvie Jaillet (Ciné Festival d'Ambérieu-en-Bugey) a, quant à elle, fait le choix d’exposer la situation de sa branche sous la forme d’un "point météo", quelque peu nuageux. Ainsi, si "l’embellie de la fréquentation" constitue évidemment un motif de satisfaction pour ses membres, "il est néanmoins difficile de se réjouir de ce beau retour en salles s’il doit servir à sponsoriser EDF", a pointé l’exploitante, en référence au coût de l’énergie parfois très élevé auquel un certain nombre de ses confrères sont aujourd’hui confrontés. Cette problématique s’inscrit de surcroit dans un contexte "d’explosion de toutes nos charges" et "d’explosion des taux d’intérêts", a assené Sylvie Jaillet, celles-ci générant in fine de "vives tensions de trésorerie". D’où la nécessit", selon la branche, de la mise en place d’un fonds dédié au passage à la projection laser du parc tricolore, afin notamment de "maintenir les objectifs de sobriété énergétique".
 
La rapporteure a ensuite mis l’accent sur la relation entre exploitants et distributeurs, laquelle "mériterait quelques rayons de soleil". Evoquant "des demandes parfois lunaires", elle a notamment regretté que "certains éditeurs ne parlent plus le même langage : lorsque le film devient un produit, notre métier perd de son âme". Et d’interroger : "la médiatrice du cinéma ne devrait-elle pas faire évoluer ses recommandations afin de sortir d’un raisonnement purement comptable ?".
 
Après avoir abordé les engagements de programmation et de diffusion, pour lesquels elle a appelé à ne pas "tomber dans une rigidité excessive", Sylvie Jaillet a fait un point sur la réforme autour de l’art et essai, au cœur d’une "petite zone de turbulences". Avec une ligne claire pour la branche : "aucune salle ne doit être exclue du classement", a souligné l’exploitante, insistant sur le travail d’éditorialisation et d’animation intense effectué par ses confrères. "Mais l’épuisement est réel, particulièrement dans ce contexte de tension de recrutement", a indiqué la rapporteure, évoquant dans la foulée la problématique du montant de l’enveloppe art et essai. "Une enveloppe fermée, alors que l’’inflation est à 10%, est une enveloppe qui rétrécit, et accroit les tensions dans notre branche", a-t-elle signalé.
 
L’éducation à l’image a elle aussi fait l’objet d’un focus plus appuyé, la part collective du Pass Culture "soulèv[ant] des questions dans la branche", notamment. Enfin, même si "des dépressions sont à craindre en 2024 en raison de la grève des scénaristes et de l’impact des Jeux Olympiques", les exploitants de la branche ont tenu à "affirmer qu'[ils] demeur[ent] collectivement confiants sur l’avenir de [leur) métier", a conclu, sur une note d’optimisme, Sylvie Jaillet.
 
Engagements de programmation, Pass Culture et grève aux Etats-Unis au programme de la grande exploitation
Représentant, pour sa part, la grande exploitation, Laurence Meunier (Majestic Compiègne de Jaux) a d’abord regretté ne pas "percev[oir] à ce jour la position claire du CNC et ses propositions" sur les rapports publiés ces derniers mois, lesquels, "malgré leurs divergences, (…) ont la vertu d’ouvrir la discussion pour réformer notre secteur". Avant de mettre en exergue cinq axes.
 
A commencer par la fréquentation. En effet, si "des films forts ont tiré l’exploitation vers le haut cet été", la grande exploitation "reste la plus impactée des branches, avec en moyenne une baisse des entrées entre 17% et 20%, selon les régions, par rapport à la période pré-covid", a soutenu la rapporteure. Laquelle pointe par ailleurs la nécessité de "rester exigeant sur le niveau de qualité de production des films français et sur les scénarios, y compris sur les films de la diversité". Et « aimerait, à ce titre, à ce titre être davantage incluse dans les commissions de financement et d’avance sur recettes du CNC". L’exploitante s’est également fait l’écho de l’inquiétude de ses collègues eu égard à la grève des scénaristes et acteurs américains en cours à Hollywood, lesquelles "engendreront une pénurie de films pour le premier semestre 2024".
 
Deuxième axe fort : les engagements de programmation. Sur ce point, Laurence Meunier a déploré le fait que, cette année, "certains groupes ont été homologués contre leur gré, ce qui transforme l’engagement en obligation (…) Nous refusons catégoriquement le passage des engagements de programmation à des obligations", a-t-elle assené. En revanche, la branche appelle de ses vœux une modernisation de ces engagements de programmation, ainsi que des engagements de diffusion, "les plans de sortie de certains films ne correspondant plus, eux non plus, aux réalités du marché", selon elle.
 
La rapporteure a également évoqué brièvement le dossier de la chronologie des médias, autour duquel elle observe "un véritable apaisement", et le développement durable, pour lequel "le soutien du CNC reste indispensable", avant de s’exprimer elle aussi sur le Pass Culture. Si ce dispositif est "vertueux et permet à de nombreux jeunes de fréquenter les salles de cinéma françaises", la grande exploitation regrette en revanche que "la grille de rémunération exponentielle, allant jusqu’à 10%, capte une partie excessive des recettes engendrées par cette fréquentation". Et celle-ci de demander donc à la FNCF de "poursuivre les discussions avec le Pass culture, pour diminuer le niveau de ces commissions".
 
Création d’une commission de l’écologie des cinémas
Après un focus sur les contours du concept et le déploiement d’ICE Theaters, la FNCF a donné la parole à son directeur des affaires réglementaires et institutionnelles, Erwan Escoubet, et à Marie-Christine Désandré, présidente de la toute nouvelle commission de l’écologie des cinémas. Cette dernière sera constituée de "membres issus de toutes les catégories d’exploitation, a précisé l’exploitante. Les premiers travaux consisteront à établir une feuille de route, une méthodologie, pour prioriser les actions à mener". Un appel à contribution sera réalisé chaque mois auprès des adhérents de la fédération, afin que l’ensemble des exploitants puissent participer à ces réflexions.
 
Dans ce contexte, outre bien sûr les installateurs, les fournisseurs ou encore "nos partenaires financiers" (Ifcic, régions…), "nous aurons besoin du CNC", a signalé Marie Christine-Désandré. En commençant par le dossier crucial du passage à la projection laser, "un élément incontournable si l’on considère l’objectif du décret tertiaire de réduire de 40% nos dépenses énergétiques d’ici à 2030", a pointé l’exploitante, mettant par ailleurs en exergue la nécessité d’impliquer également les spectateurs, le tout dans un contexte de craintes économiques fortes. "Il existe évidemment des solutions, il va falloir aller les chercher".
 
En complément, Erwan Escoubet a souligné l’importance du rôle de cette commission dans le cadre de la mise en place du décret tertiaire. "Le ministère en charge de la transition énergétique, qui gère le décret tertiaire, s’est rapproché depuis cet été seulement de quelques secteurs, dont celui de la culture, et notamment de la FNCF, pour la mise en œuvre pratique de ce décret. Il y a un certain nombre de points à réajuster, et, grâce à cette commission, nous espérons pouvoir avancer sur des solutions pratiques et dédiées aux salles dans ce cadre".
 
Marie-Christine Désandré ambitionne de présenter les premières réflexions et propositions de cette commission lors du prochain Congrès de la FNCF, en septembre 2024. "Dans un premier temps, cette commission s’attachera à tout ce qui peut être fait jusqu’à la porte d'un cinéma. La mobilité des spectateurs, qui représente 80% de l’empreinte carbone de nos établissements, interviendra dans une seconde phase, en fonction de ce qui sera faisable et envisageable avec les collectivités", a en outre précisé l’exploitante, interrogée sur la question du public par un directeur de salles.
 
Le Pass Culture en chiffres
La fédération a ensuite invité, sur la scène du CID, Sébastien Cavalier, président du Pass Culture, et Hélène Amblès, sa directrice du développement. L’occasion d’un nouveau point d’étape autour du dispositif quatre ans après son lancement, marqué par trois années de crise sanitaire. Le dispositif s’inscrit sur "une lancée très positive" en 2023, avec un pic des réservations individuelles sur le cinéma (+1,8 million de réservation validées), et pas moins de 1 627 cinémas inscrits désormais, soit 15% de plus que sur la même période en 2022.

Au total, depuis sa création, le Pass Culture a généré 11,5 millions de places de cinéma réservées sur le volet individuel. Sur le volet collectif, 6 200 établissements scolaires ont réservé au moins une offre collective cinéma. Le 7e art reste la 2e catégorie culturelle la plus réservée, que ce soit par les jeunes adhérents ou par les enseignants. Notons en outre qu’au 1er septembre, le Pass a été étendu aux classes de 6e et de 5e en collège sur le volet collectif.

Plusieurs questionnements ont toutefois été soulevés par plusieurs accrédités dans la salle vis-à-vis de l’accès au dispositif dans les localités qui ne subventionnent pas les transports scolaires. Les deux représentants du dispositif ont évoqué le projet de réfléchir à des modèles de collaboration vis-à-vis des transports, afin de favoriser la mobilité des publics scolaires.

Deux groupes de travail sur l'accessibilité
Le forum fut également l’occasion de faire le point sur le dossier du handicap et de l’accessibilité aux salles et aux œuvres. Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC, et Erwan Escoubet, ont ainsi relevé plusieurs chantiers auxquels l’observatoire de l'accessibilité s’attaque. Concrètement, deux groupes de travail ont été lancés sur le sujet.

Le premier s’attache à élaborer une cartographie des salles et des séances accessibles aux personnes porteuses de handicap – ce qui représente 12 millions de Français. Ce groupe a déjà abouti à la signature, à Cannes, d’un accord de partenariat signé avec AlloCiné et la plateforme Accèslibre, permettant de consulter depuis AlloCiné des informations relatives aux salles du point de vue de l’accessibilité. A noter que les requêtes d’information liées au handicap ont représenté 33 000 clics sur AlloCiné sur le seul mois d’août dernier.

Le second groupe s’attache quant à lui à travailler sur les équipements et les matériels concrets favorisant l’accessibilité sensorielle des cinémas, notamment par le biais d’une collaboration avec la CST. Le stand de la Commission, installé au sein du salon d’exposition du Congrès, propose justement de sensibiliser sur les différentes solutions déjà à disposition.

Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
© crédit photo : SDE


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