Cinéma

Cannes 2024 - Caroline Poggi et Jonahan Vinel réalisateurs de "Eat the night" : "Un film qui parle d’amour, de jeux vidéo, de refuges et de fins de mondes"

Date de publication : 22/05/2024 - 13:34

Caroline Poggi et Jonathan Vinel ont réalisé plusieurs films, séparément puis ensemble avec leur court métrage Tant qu'il nous reste des fusils à pompe, Ours d'or de la Berlinale de 2014. Leur premier long métrage Jessica Forever a été sélectionné au TIFF et à Berlin. Ils se retrouvent cette année à la Quinzaine avec leur nouvelle réalisation.

Comment présentez-vous Eat the Night en quelques mots ?
C’est un film qui parle d’amour, de jeux vidéo, de refuges et de fins de mondes.

D'où est venue cette idée de film ?
Nous sommes est parti du personnage de Night, puis nous avons tissé tout autour de lui : sa rencontre avec Pablo, la tragédie qui en découle et les contamine.  En parallèle, nous avions toujours eu envie d’écrire une histoire sur la fin des serveurs de jeux vidéo. Nous en avions regardé pas mal en ligne et ça nous avait marqué. Comme des sortes de mondes perdus, de refuges inaccessibles.  Bien sûr, il y a une continuité avec nos précédents films mais nous avons davantage travaillé Eat the Night en rupture : pour la première fois dans notre travail, le film se passe dans le réel, ce qui change complètement le rapport à l’écriture, aux personnages et au jeu d’acteur.

Comment s’est déroulé le processus d’écriture ?
Nous avons travaillé avec Guillaume Bréaud à partir d’une première version de scénario. Nous avons commencé le premier jour du confinement. Guillaume nous a aidés à structurer, épurer, chercher le cœur du film et à tendre l’intrigue du thriller. La plus grande difficulté fut de parvenir à lier tous les différents mondes qui se mêlent dans le film.

Des étapes particulières pendant le développement ?
Cela n'a pas été évident à financer, assez long. Nous avons eu le temps de faire d’autres films à côté, plus “hybrides” et principalement financés par l’art contemporain : Bébé colère, Il faut regarder le feu ou brûler dedans et Best Secret Place.

Comment travaillez-vous avec vos producteurs ?
Nous avons d’abord rencontré Thomas et Mathieu Verhaeghe, accompagnés de Tristan Vaslot qui venait tout juste d’arriver chez Atelier de Production. Ensuite, Juliette Schrameck qui venait d’entrer à Agat Films, est venue comme coproductrice. Elle avait travaillé sur les ventes internationales de Jessica Forever, notre premier long.

Tout au long de la fabrication, il y a des sortes de rendez-vous clés, des étapes importantes, où nous discutons et rebattons les cartes. Nous attendons d’un producteur qu’il comprenne le film, qu’il l’aime autant que nous, qu’il le défende et le porte pour le faire naître. Il faut qu’il accompagne notre désir de cinéma.

Ici, c'était particulier car nous mettions tous les pieds dans un terrain inconnu : la création d’un jeu vidéo au sein d’un film de cinéma. Nous avions peu de moyens, un budget réduit. Nous n’avions pas de studio et nous nous sommes entourés principalement d’amis. Ce qui demandait une forte implication de la production et qu’ils nous fassent entièrement confiance. Tristan Vaslot a été notre principal interlocuteur à partir de ce moment-là. C’est lui qui a “chapeauté” toute la création du jeu en lien avec l’équipe technique et les différents prestataires. Il a fait l’effort de comprendre les enjeux et les défis. C’était assez stressant pour tout le monde car nous ne savions pas exactement où nous allions.

Comment avez-vous choisi vos comédiens ?
Nous avons travaillé avec Kris de Bellair, avec laquelle nous avions déjà travaillé sur Jessica Forever et Best Secret Place. Nous avons fonctionné aux coups de cœur, à l’instinct. Il fallait que nous puissions voir directement les personnages dans les acteurs et actrices qu’on rencontrait, sans les transformer.

Et puis, s'agissant d'une histoire de duos qui évoluent, il fallait donc en tenir compte, que l’énergie circule bien entre chacun : le frère et la sœur, Pablo et Night, Apo et Night… Théo Cholbi, Erwan Kepoa Falé et Lila Gueneau se sont très vite imposés à nous.  Lors des répétitions et du tournage, nous voulions qu’ils soient à l’aise dans les scènes. Nous avons pris le temps de tout discuter. Nous leur a aussi laissé plus de place que dans nos films précédents. Nous ne voulions pas qu’ils ressentent des contraintes mais au contraire une grande liberté.

Au final, il s’est créé une vraie symbiose dans le trio, à l’écran comme à la vie. Malgré les différences d’âge et de parcours. C’était assez beau à voir.

Où et quand avez-vous tourné ?
Nous avons tourné huit semaines entre fin novembre 2022 et début février 2023.  Nous avons d’abord été quatre semaines au Havre. C’est là que se trouve la maison de Pablo et Apolline mais aussi tous les extérieurs qui ancrent le film dans sa réalité géographique sans devenir pour autant un guide touristique de la ville. Nous avons cherché des endroits qui portent une certaine étrangeté. Il y a aussi une atmosphère surnaturelle dans cette ville. C’est à la fois magnétique, impressionnant, hostile et empoisonné.

Pour la seconde moitié du tournage, nous sommes allés à Compiègne pour sa forêt où nous avions trouvé la maison abandonnée où se réfugie Pablo. C’était le décor le plus compliqué à trouver, à la fois isolé, magique et chaleureux. Nous ne voulions pas quelque chose de trop glauque.

Des difficultés particulières sur le tournage ?
Il y avait pas mal d’enjeux techniques assez complexes, cascades avec véhicules, motos lancées à grande vitesse, etc… mais nous étions extrêmement bien préparés. Notre assistante réalisatrice, Caroline Ronzon, et Diego Urgoiti-Moinot, le directeur de production, ont fait un travail remarquable, faisant à chaque fois les bons choix pour protéger le film. Puis nous avons retravaillé avec celles et ceux qui étaient déjà là sur nos films précédents : Margaux Remaury au décor, Lucas Doméjean au son, et Raphaël Vandenbussche à l’image. Il y avait un rapport de confiance déjà bien établi. Eux aussi, avec leurs équipes respectives, ont fait un travail dingue, avec un budget qui n'était pas forcément aligné avec l’ambition.

Et comment a été conçu ce jeu vidéo Darknoon ?
C’est Saradibiza et Lucien Krampf qui ont porté le jeu. Ils ont su concrétiser tous nos désirs. La plus grande difficulté fut de tourner un film à l'intérieur du moteur de jeu vidéo Unreal Engine qui n’est pas vraiment fait pour ça. La démarche était artisanale et expérimentale mais avec une attente et une rigueur très hautes. C’est selon nous une méthode assez inédite. Sara et Lucien ont eu quelques fois des collaborateurs qui se sont greffés pour aider sur des parties spécifiques. Mais globalement, ils ont tout porté seuls. Là aussi c’est un travail exceptionnel et pour être honnête nous ne nous attendions pas à un tel résultat. Nous sommes très fiers.

Là aussi un lien avec Best secret place ?
Le seul lien, ce sont les jeux vidéo, mais Best secret place en parlait de manière beaucoup plus théorique. Dans Eat the Night, le jeu fait partie de la narration, il est au cœur de l’évolution des personnages. C’est le jeu qui contamine le réel et c’est dans le jeu que les personnages se rapprochent et se lient.

Quand le film a-t-il été terminé ?
Nous avons fini le mixage mi-avril 2024.

Qu’attendez-vous de cette sélection à la Quinzaine ?
Nous n’attendons rien, nous sommes juste hyper fiers que le film ait pu être montré là. C’est la place parfaite, celle dont nous rêvions sans oser trop faire de prévisions. Nous sommes aussi hyper heureux que le film ait été présenté aux côtés d’autres cinéastes que nous admirons : Thierry de Peretti, Patricia Mazuy, Mahdi Fleifel.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR


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