Cinéma

Cannes 2024 – Mahdi Fleifel réalisateur de "Vers un pays inconnu" : "C’est une exploration personnelle de l'exil"

Date de publication : 23/05/2024 - 11:30

Cinéaste palestino-danois, Mahdi Fleifel a réalisé le long métrage documentaire A World Not Ours puis a participé à la Cinéfondation en 2013. Nourri de cinéma américain, son film raconte les tentatives désespérées de deux cousins palestiniens bloqués à Athènes pour rejoindre l’Allemagne. Vers un pays inconnu a été sélecionné cette année à la Quinzaine des Cinéastes.

Quelques mots sur votre parcours.... Vous avez commencé à réaliser des films suite à vos études à la NFTS ?
Je suis l'enfant de réfugiés palestiniens du Liban, et mon parcours est donc influencé par l'expérience de l'exil, ce qui nourrit naturellement mon travail. Mon père, aujourd'hui décédé, était un passionné de cinéma et enregistrait toujours l'histoire de notre famille à l'aide de sa caméra vidéo. C'est ainsi que j'ai attrapé le virus. Plus tard, j'ai poursuivi mes études à la National Film and Television School (NFTS), où j'ai approfondi ma compréhension de la narration à travers le cinéma.

Comment décrivez-vous Vers un pays inconnu en quelques mots ?
Vers un pays inconnu est une exploration personnelle de l'exil, mêlant des éléments d'autobiographie et de fiction pour dépeindre les complexités du déplacement et de la recherche d'appartenance. C'est aussi une histoire d'amitié et, si je puis me permettre, un hommage à ma période cinématographique préférée, le cinéma américain des années 70.

Y a-t-il une forte composante autobiographique, comme dans vos films précédents, ou une grande part de fiction ?
Le film est né de mes souvenirs d'enfance au Liban. Bien qu'il y ait certainement des éléments autobiographiques tissés tout au long du film, j'y incorpore également des éléments de fiction basés sur les histoires et les personnages que j'ai rencontrés au cours de mes dix dernières années de travail documentaire.

Un lien avec vos films précédents ou au contraire une rupture avec le passé ?
Il y a des liens thématiques évidents, en particulier l'accent mis sur les jeunes hommes palestiniens qui fuient la vie dans les camps de réfugiés pour chercher un avenir meilleur en Europe. Mais Vers un pays inconnu n'est pas une simple histoire de réfugiés, car je voulais vraiment faire quelque chose de différent qui s'inspire davantage de la littérature, comme Des hommes dans le soleil de Ghassan Kanafani, Des souris et des hommes de Steinbeck et Sa majesté des mouches de Golding. J'espère donc que Vers un pays inconnu représente une progression dans ma façon de raconter des histoires, car j'ai cherché à approfondir les complexités émotionnelles et psychologiques du déplacement.

Vous avez écrit avec Fyzal Boulifa et Jason McColgan... qui a fait quoi sur le scénario ?
Nous avons tous apporté nos perspectives et expériences uniques, ce qui nous a permis d'élaborer un scénario équilibré entre authenticité et profondeur émotionnelle. J'écrivais le scénario depuis de nombreuses années, et j'ai même tenté de réaliser un film documentaire hybride à un moment donné. Jason et moi avons travaillé sur quelques versions ultérieures du scénario, qui étaient plus axées sur l'intrigue, tandis que Fyzal est arrivé et a apporté plus de profondeur psychologique aux personnages que je recherchais.

Y a-t-il eu des étapes particulières dans le développement du film ?
C'est un film fait en exil, sur les exilés et pour les exilés. C'est arrivé, miraculeusement, contre toute attente. En tant que cinéaste danois, je n'ai reçu aucun financement danois, et en tant que producteur britannique, notre producteur principal Geoff Arbourne n'a pu obtenir aucun financement britannique. Il a donc fallu recourir à la vieille méthode de la "mendicité, du vol et de l'emprunt". Avec l'aide d'investisseurs privés et de nos formidables coproducteurs Homemade Films en Grèce, Studio Ruba aux Pays-Bas et Salaud Morisset en France/Allemagne, nous avons réussi à mener le projet à bien.

Vous êtes l'un des producteurs via votre société Nakba Film, que vous avez fondée avec Patrick Campbell. Comment avez-vous rencontré vos autres partenaires producteurs ?
Patrick Campbell n'est plus affilié à ma société britannique Nakba FilmWorks. Bien qu'il soit toujours l'un des coproducteurs du film, c'est Geoff Arbourne qui a dirigé l'ensemble de la production et rendu possible l'impossible. Geoff et moi avons créé une société sœur par le biais de nos sociétés respectives basées au Royaume-Uni et avons réalisé Vers un pays inconnu. Nous nous sommes tous deux rencontrés à Amsterdam lors d'un atelier documentaire au Binger FilmLab, aujourd'hui disparu, en 2015, et nous sommes restés amis depuis. En ce qui concerne le budget final, je pense que le film a atterri à 1,5 M€ à la fin, mais je peux facilement dire que si ce film avait été fait de façon traditionnelle, il aurait coûté 2 à 2,5 M€ au moins. Beaucoup de sang, de sueur et de larmes, et plusieurs années de travail acharné ont été nécessaires à la réalisation de Vers un pays inconnu.

Comment avez-vous trouvé vos acteurs ?
Le processus de casting a été intense et long. Il s'agissait de rechercher des acteurs palestiniens et des non-acteurs dans l'ensemble du monde arabe, en se concentrant principalement sur le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Palestine, ainsi que la Grèce. Nous avons fait appel à plusieurs directeurs de casting et le processus a duré environ un an, avec des centaines d'auditions pour chaque rôle. J'ai également travaillé en étroite collaboration avec les cinéastes Scandar Copti et Hisham Suleiman, qui m'ont aidée à organiser plusieurs ateliers de casting afin de trouver des personnes nouvelles et authentiques qui transmettent une profondeur émotionnelle, une forte compréhension du sujet et une véritable connexion avec le matériel. Je suis très fier d'avoir découvert Aram Sabbah, qui joue son tout premier rôle, celui de Reda, dans Vers un pays inconnu.

Aviez-vous besoin de décors ou d'une atmosphère particulière ?
Nous avons entièrement tourné le film à Athènes, chaque lieu ayant été soigneusement choisi pour évoquer une atmosphère spécifique et renforcer la narration. Je voulais que l'univers du film ressemble à une jungle urbaine, avec des traits similaires à ceux des camps de réfugiés au Liban que j'ai documentés dans mes œuvres précédentes, ainsi que d'autres paysages urbains si particuliers à Athènes.

Des difficultés particulières sur le tournage ?
Je dirais que le plateau était plein de chaleur et de passion pendant la production, surtout dans le contexte de la guerre en cours en Palestine, ce qui a créé une atmosphère de solidarité et d'amour parmi les acteurs et l'équipe. Comme pour toute production, nous avons dû faire face à notre part de défis sur le plateau. Cependant, c'est grâce au dévouement et à la résilience des acteurs et de l'équipe que nous avons pu relever ces défis et, en fin de compte, donner vie à notre vision.

Cette sélection de la Quinzaine, est-ce un bon cadre pour votre film ?
La production a été achevée le 16 décembre 2023 après 6 semaines (29 jours exactement) de tournage. Être sélectionné à la Quinzaine à Cannes est un immense honneur et une opportunité de partager notre histoire avec un public plus large. La sélection de la Quinzaine est connue pour mettre en avant des films audacieux et novateurs, ce qui en fait un cadre idéal pour que Vers un pays inconnu fasse parler de lui. Je suis particulièrement ému de présenter le seul film palestinien de Cannes. En tant que Palestiniens, nous remettons en question les stéréotypes véhiculés par les médias, mais surtout, nous défions l'invisibilité, un combat que nous menons depuis toujours. Nos histoires sont plus que jamais nécessaires.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR


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