Cinéma

Le Spi fait le point sur les turbulences traversées par l’animation

Date de publication : 06/06/2025 - 08:45

A la veille de l’ouverture du festival d’Annecy alors que des producteurs français ont notamment produit ou coproduit sept longs métrages de la compétition, quatre élus du collège animation du Spi et sa déléguée Animation, évoquent la crise qui secoue la filière tout en se projetant dans les défis à relever.

Les sociétés adhérentes du collège animation du Spi présentent-elles un profil type ?
Sébastien Onomo (Special Touch Studios, président du collège animation du Spi) : La répartition entre cinéma et audiovisuel s'est peu à peu équilibrée. Au départ en 2018 les adhérents venaient principalement du cinéma, notamment du court métrage et pas uniquement de l’animation. Puis certains sont passés du court au long et en parallèle des producteurs audiovisuels nous ont rejoints, tandis que des adhérents des autres collèges passaient à l’animation. Notre collège est donc peu à peu monté en puissance, ce qui explique notre poids actuel dans les négociations sur tous les sujets inhérents à notre industrie.
Céline Hautier (Déléguée Animation du Spi) : En effet, le collège animation compte aujourd’hui une soixantaine de membres dont une quarantaine de "pure players".
Noam Roubah (Darjeeling) : Autre élément important, près de la moitié des sociétés sont implantées en région, ce qui créé un maillage très intéressant, notamment pour créer des collaborations.
Virginie Giachino (Doncvoilà productions) : Et c’est très diversifié, à l'image du SPI, avec à la fois de la production déléguée et de la prestation de services. Des structures de taille importante mais aussi plus petites.

Quel est votre regard sur les problématiques économiques rencontrées par l’animation en ce moment ?
Sébastien Onomo : Sur le cinéma, les films sont de plus en plus compliqués à financer. Il devient très difficile de se passer de la coproduction internationale. Les producteurs ont toujours plus de difficulté à boucler leurs budgets, en prenant pourtant des risques importants. Et non seulement ils ne se payent pas, mais certains frais financiers, en pourcentage de budgets, atteignent aujourd’hui quasiment le niveau des salaires producteurs. Cette évolution vers le bas impacte notre façon de collaborer avec nos équipes. Mais il y a quand même un point positif puisque certains producteurs tentent toujours de trouver de nouvelles solutions de fabrication et de financement. Les combats que nous portons aujourd’hui tendent à essayer d’améliorer ces conditions de travail. C’est ce que nous avons concrétisé avec les accords signés récemment, notamment avec France Télévisions et Disney+. Et nous espérons que d’autres acteurs historiques vont continuer ou accentuer leurs investissements dans le cinéma. Je pense évidemment à Canal Plus et Arte, pour maintenir à flots une industrie qui a été mise à mal ces dernières années par le retrait des plateformes de la prestation de services. Car tout est interconnecté.
Noam Roubah : En audiovisuel, l’animation cumule plusieurs crises : coûts financiers énormes, retrait des plateformes, réductions dans les budgets du service public, sans oublier une crise politique et économique. Et même si les producteurs du SPI sont moins impactés directement par la crise de la prestation, ils le sont par ricochet : elle crée en effet des goulots d’étranglement pour accéder à certains financements. Le paradoxe, c’est qu’il n’y a jamais eu autant de séries créatives de différents formats, signe de prises de risques et d’engagements audacieux. Nous avons donc tendance à croire que la diversification et la coopération sont les seules réponses pour en sortir vers le haut.
Emmanuel Alain Raynal (Miyu Productions) : On sent effectivement une tension au niveau des diffuseurs, puisque beaucoup de sociétés de production qui travaillaient avec les plateformes, reviennent vers les chaînes historiques. Mais les répercussions sur l’emploi sont aussi très préoccupantes. Nous ressentons beaucoup de détresse au sein de nos équipes et les étudiants ne trouvent plus de débouchés.
Céline Hautier : Le risque est que certains techniciens très qualifiés ne décident de quitter le métier. Une fois la crise passée, le manque d’encadrants pourrait se faire durement ressentir.

La liquidation de Cyber Group, TeamTO sous pavillon italien... Est-ce qu’un certain modèle économique a vécu selon-vous ?
Emmanuel Alain Raynal : On ne peut que s'attrister de voir disparaître des sociétés d'animation française aussi importantes. C'est une mauvaise nouvelle pour tout le secteur. En même temps cela pousse à interroger l’avenir. Depuis plusieurs années, nos adhérents travaillent en réinterrogeant les œuvres à la fois dans leur durée, leur format, leur cible… Cela a débouché sur des propositions artistiques innovantes, à rebours de modèles très industrialisés. Nous pensons qu’il est temps d'interroger ce modèle. La Grande Fabrique de l’Image du plan France 2030 nous a laissé un peu perplexes. Car cet appel à projets a incité des gros studios à engager des investissements très importants. La crise a été d’autant plus rude que leurs frais de structure étaient très élevés. De notre côté nous défendons une approche plus raisonnée afin de maîtriser les coûts, tout en proposant de nouveaux concepts pour garder une agilité qui permet de tenir en cas de crise.
Virginie Giachino : La diversité des producteurs du Spi nous permet d'avoir un panorama assez large de la filière et d’arriver à trouver des solutions multiples. Nos sociétés sont très proches des créateurs ce qui facilite la mise en place de ces nouveaux modèles.

Quelles perspectives de sortie de crise par le haut entrevoyez-vous ?
Sébastien Onomo : En tant que syndicat nous militons pour le renforcement des aspects économiques existants mais aussi pour la création de nouveaux outils. Le plan France 2030 s’est focalisé sur la création de champions européens mais n’a malheureusement pas intégré la nécessité de renforcer la production déléguée et de soutenir la capacité de développement des entreprises intermédiaires. Nous travaillons en ce sens avec le CNC. Le fait est que personne n'a vu venir le retrait aussi soudain des plateformes, même si l'histoire a montré que les Américains sont souvent venus, repartis puis revenus. Nous avions aussi alerté sur le fait que certaines entreprises en difficultés se tourneraient vers des capitaux étrangers. Cela a été le cas pour TeamTO qui reste heureusement un studio européen.
Céline Hautier : En dépit de la crise la création se porte bien. Encore faut-il que les financements soient à la hauteur. Cela passe d’abord par un maintien des ressources du CNC et de la capacité d'investissement de l'audiovisuel public. Aujourd’hui nous avons un engagement de 35 M€ avec France Télévisions, lequel sera porté à 37 M€ en 2027. Il est important qu’il soit pérennisé à l’avenir. Le motif d’inquiétude est évidemment l’absence de Canal+, manifeste depuis cet automne. Et la situation financière des régions est également préoccupante, même si certaines collectivités sont très attachées à l’animation pour ses effets structurants. Nous sommes très impliqués sur ces dossiers et travaillons à des propositions concrètes. Autre sujet d’inquiétude : l'avenir du décret SMAD, avec une révision de la directive SMA qui sera sur la table en 2026. Nous avons en tête des évolutions souhaitables mais aujourd'hui à ce stade, nous travaillons surtout sur une sécurisation des obligations réglementaires. Afin de conclure sur une note positive nous sommes satisfaits de la conclusion des accords signés depuis 2022 qui ont permis de revoir les engagements dans la création d'animation. Reste néanmoins une source d’inquiétude sur l’application de ces accords. On espère que les plateformes ne se contenteront pas d’investir seulement dans une ou deux séries durant la période de leur engagement.
Emmanuel-Alain Raynal : Cette crise incite à réinventer nos modèles. Cela passe par un certain nombre de points évoqués précédemment comme la diversité des lignes éditoriales, privilégier l'audace et la prise de risque, garder de l’agilité. Aujourd’hui il convient de s’interroger sur la façon de retrouver le plus d'indépendance possible par rapport au marché américain. L’une des pistes serait de se rapprocher d’un autre pays tout aussi important pour l'animation à savoir le Japon qui traverse aussi une crise, mais inverse de la nôtre puisque leurs studios travaillent à plein régime. Ils commencent donc à se tourner vers l'Europe et notamment la France, qui est un allié historique au niveau du cinéma et de l'audiovisuel, afin de fabriquer leurs œuvres. Je pense que c’est un pays à considérer avec beaucoup d’attention, pour monter des collaborations très diverses et pas seulement en production exécutive. Il ne faut plus que notre industrie repose à l’international sur un seul pays.

En fiction on assiste à des regroupements de structures indépendantes comme The Creatives ou le collectif Athena qui permettent aux producteurs d'être plus ambitieux tout en gardant leur liberté éditoriale. Une tendance similaire pourrait-elle voir le jour dans l’animation ?
Noam Roubah : Au SPI nous réfléchissons beaucoup aux différentes façons de coopérer et de créer des synergies, entre nous, mais aussi au niveau européen car je pense que l’un des enjeux se situe là. Donc en fin de compte ce type de regroupement, même s’il n’est pas formalisé, commence à exister entre les adhérents du SPI.  Ce n’est pas une réponse à la crise par la quantité mais par la qualité et l’intelligence collective. En fin de compte nos problématiques sont assez communes à celles d’autres secteurs. Les mêmes sujets sont sur la table.
Virginie Giachino : Chaque œuvre est un prototype, mais le fait que les créations du SPI soient vraiment des formats atypiques nous amène à nous réinventer en permanence. Nos collaborations fonctionnent à deux niveaux. Nous pouvons travailler ensemble sur des œuvres mais aussi plus généralement autour de réflexions plus globales. Nous ne faisons pas un métier solitaire, bien au contraire. Et le fait de communiquer entre nous régulièrement et en toute transparence, permet en quelques sortes de diminuer la prise de risque, lorsqu’on lance un développement par exemple, étape parfois compliquée à financer.
Emmanuel-Alain Raynal : Je dirais que le maître mot c’est la complémentarité, c'est-à-dire s'associer avec des partenaires qui vont apporter une vraie plus-value à l’œuvre, qu’elle soit d’ordre financière, artistique ou sur la fabrication. Et cette recherche de complémentarité qui va toujours dans le sens de l’œuvre est vraiment quelque chose qui nous définit, à l'encontre d'un modèle très industriel dans lequel on essaie de garder le maximum de pourcentage pour soi.
 
La course à l'IA générative est lancée exigeant parfois des investissements conséquents. Cela va-t-il creuser les différences entre les indépendants et les gros groupes ou les niveler ?
Emmanuel-Alain Raynal : En fin de compte l’IA n’est qu’une nouvelle étape dans l’industrialisation de notre filière. La question est de savoir comment nous producteurs indépendants, y répondons. Si on regarde les derniers succès des producteurs du Spi, Samuel, Flow ou Petite Casbah, aucun d’entre eux n’aurait pu être produit par une IA générative, dans une logique industrielle de faire plus vite pour moins cher. Au contraire, ce qui a fait la singularité de ces oeuvres, c'est le regard d’artistes et de producteurs et productrices qui ont réussi ensuite à passionner le public. Bien sûr l’usage de l’IA non générative, comme outils pour la fabrication nous interroge. Mais pour nous la question n’est pas d’employer moins de techniciens mais de pouvoir gagner éventuellement du temps lors de certaines étapes, afin de garantir la création d’œuvres audacieuses dans un contexte de financement de plus en plus tendu. A l’échelle de notre secteur il importe de réfléchir collectivement à une éthique commune afin de l’intégrer de manière consentie dans la fabrication de nos films ou de nos séries.
Noam Roubah : Notre objectif n’est en effet pas de réduire les coûts mais de laisser plus de temps et de place à la création. L’IA n’a rien d’intelligent et va même à l’encontre de certaines valeurs que nous portons. Et puis nous avons besoin d’une régulation pour que des acteurs européens puissent émerger. Je pense d’ailleurs que le sujet même de l’IA nous détourne de l’essentiel, à savoir comment mieux fabriquer en nous préoccupant avant tout du facteur humain.

Depuis le 1er mars l’éco-conditionnalité des aides du CNC est entrée en vigueur pour la production d’œuvres numériques natives, donc l’animation. Cela ne risque-t-il pas de complexifier vos tâches ?
Noam Roubah : Toute production suppose beaucoup de temps administratif et bien sûr cela va nous rajouter du travail. Mais d'un point de vue éthique nous sommes tous prêts et nombreux à aller dans ce sens. Certes ce nouvel outil va nécessiter de la formation et devra sans doute être amélioré, mais cela se fera. Je relève néanmoins un paradoxe qui me gêne quelque peu. On nous demande une certaine exemplarité en la matière mais de l’autre côté on subventionne massivement des projets d’intelligence artificielle dont on connait les immenses besoins énergétiques. Porter ces deux démarches simultanément est pour le moins illogique.
Virginie Giachino : Effectivement faire ces premiers bilans est compliqué. Le prévisionnel est d’autant plus complexe à établir que, parfois, on ne sait pas encore précisément de quelle façon la fabrication de l’œuvre sera répartie. Mais cela nous permet de prendre conscience du fonctionnement de nos sociétés sur ce plan-là et même d’identifier certains coûts. Il va falloir nous roder et continuer à dialoguer afin d’améliorer l’outil pour qu’il corresponde aux profils de nos sociétés qui sont vraiment très diverses. Je rejoins Noam sur ce paradoxe qu’il souligne. Mais après tout, même dans nos vies personnelles nous avons parfois des comportements contradictoires d’un point de vue écologique. C’est pour cela que les échanges entre nous sont cruciaux.
Emmanuel-Alain Raynal : Il est certain que, pour nous, adhérents du Spi, la question de la production éco-responsable est centrale. Reste à concevoir les dispositifs pour qu’ils soient le plus efficace possible.

Faut-il améliorer le dialogue au sein de la profession ?
Emmanuel-Alain Raynal : Ce qui fait notre ADN en tant que producteurs indépendants c'est la collaboration avec la filière, les relations avec les auteurs, les distributeurs, les diffuseurs. C’est pour cela que nous avons voulu mettre en place avec l'AFCA et AnimFrance les premières Assises du cinéma d’animation qui auront lieu le 1er octobre. Nous pourrons ainsi réfléchir ensemble au financement et à la diffusion du cinéma d’animation.
Noam Roubah : Il faut préserver le système existant qui est attaqué de partout, je le rappelle. Il n'est pas en cause mais par contre on peut et on doit l'ajuster, afin qu'il soit au plus proche de la réalité économique et culturelle de l'animation et même de l'audiovisuel en général. Et c’est en travaillant avec tous les acteurs que nous pourrons naviguer dans cette crise et trouver des solutions pérennes pour avancer.
Virginie Giachino : En janvier, le SPI a organisé la journée de la production indépendante. Je pense que ce sont des rendez-vous à maintenir, toujours dans cette idée d'échange, de dialogue et de collaboration. Ce type d’évènement me parait très important pour défendre l’exception culturelle en permettant de faire des propositions différentes mais animées par des valeurs communes.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Julien Liénard et DR


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