
Annecy 2025 - Marcel Jean : "C’est la sélection la plus équilibrée jamais constituée"
Au lendemain de l’ouverture du festival d’Annecy, son délégué artistique expose les lignes de force de cette nouvelle édition et revient notamment sur la présence renforcée du court métrage.
L’an dernier vous étiez à court de superlatif pour qualifier la programmation globale du festival, tant l’exceptionnel devenait la règle. Un qualificatif vous vient-il à l’esprit pour ce cru 2025 ?
Je pense que c’est la sélection la plus équilibrée jamais constituée. C'est peut-être la première année où j'ai l'impression que chacun des films sélectionnés peut se retrouver au palmarès. Je serais bien incapable de vous désigner à l’avance lesquels recevront un prix. Même off the record.
Question toujours un peu récurrente, est-ce qu’un fil rouge ou des thématiques globales émergent de cette sélection 2025 ?
Pour une fois j'ai une bonne réponse. En compétition officielle on assiste à un retour en force du politique ou du social. A travers La mort n’existe pas, Félix Dufour-Laperrière évoque quand même un attentat terroriste. Planètes aussi s’inscrit dans cette dimension en s’ouvrant sur des explosions nucléaires qui détruisent la terre. Elle est aussi présente dans Olivia et le tremblement de terre invisible, le film sans doute le plus familial de la compétition mais qui traite de l'éviction et des problèmes de logement. Même chose dans Contrechamp avec Memory Hotel qui nous ramène à la deuxième guerre mondiale. Et nous avons un film coréen très inattendu, Gwang-jang qui raconte une histoire d'amour interdite entre un employé de l'ambassade de Suède à Pyongyang et une jeune nord-coréenne, dans un monde sous surveillance. Il n'y a pas un plan dans le film où l’on n'a pas l'impression que quelqu'un les surveille à tel point que le spectateur se sent peu à peu entrer dans le peau de celui qui espionne. C’est un travail sur le point de vue assez formidable. Et le film italien Balentes nous ramène aussi à des considérations politiques. L’autre thématique très présente est celle de la science-fiction et de l’uchronie. On la retrouve en compétition dans Planètes, La mort n'existe pas ou encore Arco et à Contrechamp dans Lesbian Space Princess et Space Cadet. Et en séance évènement, Animal Farm d'Andy Serkis, nouvelle adaptation de la fable politique de George Orwell, offrira une lecture politique assez claire. A moins de sortir d’une bulle, tout le monde verra le lien avec la politique américaine actuelle.
Et qu’est-ce qui pourrait caractériser Annecy Présente, cette nouvelle section lancée l’année dernière ?
Je suis vraiment fier de la sélection car je la trouve cohérente. C'est une section qui est dorénavant plus tournée vers le grand public au sens large, ce qui inclut les familles mais aussi les adolescents et les adultes. On y retrouve plusieurs animés japonais mais aussi des titres représentant le cinéma jeune public, originaire souvent d’Europe du Nord. Les films d’Annecy Présente sont donc moins configurés pour récolter des prix de la part des jurys, mais je suis sûr que certains d’entre eux seront amenés à faire beaucoup d’entrées par la suite. On aura l'occasion d’en reparler.
Beaucoup de titres français très attendus sont présents en compétition officielle, mais il n’y en pas dans Contrechamp. Est-ce un choix délibéré ?
Les films français bénéficient de bien meilleurs soutiens pour leur production. Cela incite sans doute moins à la réalisation d’œuvres très indépendantes et débouche sur des films cadrant mieux avec les critères de la compétition officielle. Je vais vous citer un exemple. Flow était un film parfait pour Contrechamp. Et Gints Zilbalodis y était avec Ailleurs, son premier long-métrage qui avait été primé. Et quand il est revenu avec Flow, le niveau général du film était tel que, même si on retrouvait encore cette singularité et ce côté très artisanal, il avait toute sa place en compétition officielle. Je pense que l’on va vers de plus en plus de perméabilité entre les deux sections avec des cinéastes qui passeront de l’une à l’autre. Cette année en Contrechamp nous avons le canadien Seth Scriver, qui a réalisé Endless Cookie, un film passé par Sundance. Le réalisateur était en compétition officielle à Annecy en 2014 avec Asphalt Watches. Mais à l’époque Contrechamp n’existait pas et il y avait moins de longs métrages de grande qualité comme aujourd'hui. A présent la répartition se fait différemment.
Régulièrement on constate l’arrivée en compétition de nouveaux pays, je pense notamment à l’Algérie, le Cameroun ou la Jordanie. Est-ce ce encore le cas cette année ?
Oui nous avons à Contrechamp Olivia et les Nuages de Tomás Pichardo Espaillat, un film en provenance de République Dominicaine. Un pays que nous n’avons pas vraiment vu venir.
Des nouveautés cette année ?
Il y en aura toujours car il faut savoir évoluer constamment. Mais cette année cela concerne le court métrage. La séance d’ouverture sera composée de films courts présentés en première mondiale, dont un qui nous vient de Lucasfilm mais a été fabriqué dans un studio japonais. Cela tient au fait que nous n’en avons jamais reçu autant. Et plus de la moitié des films les plus intéressants qui nous ont été soumis étaient parfois encore à l'état de work in progress ou n’avaient été montrés nulle part. Donc c’était le bon moment pour revenir aux sources, puisque cette année le festival fête ses 65 ans, en réaffirmant notre croyance dans le court métrage. Ce n'est pas un geste contre le long-métrage, c'en est un pour le court-métrage, parce qu'en parallèle la compétition des longs n'a jamais été aussi forte et équilibrée que cette année, comme je le disais précédemment. Par ailleurs il y aura deux programmes de courts métrages en Midnight Specials. Ce sont des films de genre qui nous ont été soumis et jouent sur l'horreur, le thriller, le polar, le suspense. Comme nous le remarquons depuis quelques temps, les courts sont de plus en plus longs. Il y a 15 ans nous proposions une cinquantaine de titres, à présent cela descend à une trentaine. Donc si nous voulons rester pertinents en montrant une image la plus vaste possible du secteur, il nous faut trouver d’autres lieux. Comme nous avons reçu beaucoup de soumissions de films courts de genre, nous avons choisi de composer ces deux programmes. Il n’est pas interdit de penser que cela débouchera sur la création d’une section compétitive dans le futur.
Par ailleurs vous mettez en avant les As du clip via cinq programmes dédiés. Or il semblerait que cette industrie commence à péricliter, certaines maisons de disque préférant des live sur Instagram bien moins couteux. Est-ce la raison de cette thématique ?
Beaucoup d’interlocuteurs m’ont parlé d’un article à ce sujet mais je ne l’ai pas lu. Je ne remets pas en doute ses conclusions, mais pour le moment ce que nous recevons chaque année est très convaincant. Je pense que beaucoup de créateurs sont prêts à faire des vidéoclips en indépendant, même en étant très mal payés, parce que pour eux, c'est aussi une façon de se faire remarquer. Ce qui fait par exemple que la compétition de films de commandes comporte beaucoup de vidéoclips cette année. Il a été d’ailleurs très difficile de composer cette sélection car nous aurions pu n’y mettre que des clips. Par ailleurs nous constatons une évolution intéressante. Cette année dans Les As du Clip nous aurons Michel Gondry, la figure incontournable, mais aussi Raman Djafari, Victor Haegelin, Steve Cutts, qui sont des noms importants. Mais on va s’arrêter sur le studio Fortiche, cofondé par Jérôme Combe. Il vient du vidéoclip, celui qu’il avait réalisé il y a 20 ans pour Mickey 3D a marqué plusieurs générations. Fortiche est donc né de ça et continue de faire des clips mais dans un environnement différent. Il y a des spin-off en clip d’Arcane qui est un exemple très intéressant. On part du jeu vidéo pour aller à la série télé tout en générant des clips et toutes sortes de pastilles pour faire la promotion du jeu, de la série, de sa musique. C’est un travail assez extraordinaire. Certains clips ont toujours pour objectif de vendre de la musique mais d’autres visent les jeux vidéo voire la musique de ces jeux. Il me parait très intéressant de réfléchir autour de ces nouveaux phénomènes de promotion croisée qui débouchent sur une très grande créativité.
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : ANNECY FESTIVAL/G.PielVous avez déjà un compte
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