Cinéma

Annecy 2025 - L'animation hongroise racontée par György Ráduly

Date de publication : 11/06/2025 - 07:40

Le directeur des archives cinématographiques de l'Institut national du film de Hongrie fait partie des membres du jury Longs métrages L'officielle. L'occasion pour lui de nous raconter la passionnante histoire de l'animation hongroise et ses nombreux liens avec la France.

L’animation hongroise est mise à l’honneur cette année. Quelles sont les principales étapes qui ont marqué son développement ?

Nous célébrons les 111 ans de l’existence de l’animation hongroise. Pendant ces 111 années, son histoire a été, tout comme celle du cinéma hongrois, marquée par celle de l’Europe centrale au XXe siècle, c’est-à-dire par des âges d’or et des cataclysmes.

Les débuts étaient essentiellement liés aux actualités. Les premiers pionniers de l’animation hongroise, comme Vértes (plus tard Vertès en France) Marcell, ont commencé par créer des caricatures animées ou filmées, diffusées dans les salles de cinéma.

Dans les années 1930, un trio talentueux — Gyula Macskássy, Félix Kassowitz et János Halász — révolutionne l’animation hongroise avec des publicités animées en couleur, réalisées grâce au brevet Gaspar Color. Leur studio, le Coloriton, a produit un travail d’avant-garde.

Il ne faut pas oublier l’émergence d’une nouvelle génération, issue du retour au pays de jeunes formés à Berlin dans les années 1920. Cette génération, à l’origine du mouvement Bauhaus entre autres, a changé les perspectives de la création dans toute l’Europe. Les trois jeunes talents mentionnés faisaient partie de cette génération.

L’arrivée du fascisme et la Seconde Guerre mondiale en Hongrie ont fait éclater cet ensemble de talents. Halász quitte la Hongrie et part en Grande-Bretagne, où il devient John Halas (La Ferme des animaux). Kassowitz survit à la Shoah (il est d’ailleurs le grand-père de Mathieu Kassovitz) et Macskássy devient prisonnier de guerre.

Au début des années 1950, le régime communiste confie à Macskássy la création de l’école d’animation et du Pannónia Filmstúdió, qui poseront les bases de trois décennies d’âge d’or pour l’animation hongroise. Après la crise des années 1990, l’animation hongroise renaît, et aujourd’hui, on peut de nouveau être témoin de l’émergence d’un nouvel âge d’or.

Il ne faut pas non plus oublier les Hongrois émigrés qui ont largement contribué à l’animation mondiale : George Pal, Elisabeth Winkler (qui a lancé la carrière de Walt Disney), John Halas, Jean Image, Peter Foldes, Zoltán Maros et tant d’autres.

Quelles sont les œuvres animées les plus marquantes dans l’histoire de la Hongrie ?

Zsirb-Ödön, d’István Kató-Kiszly, est considéré — selon nos connaissances — comme le premier court métrage animé hongrois, réalisé en 1914. Je précise « selon nos connaissances » car 90 % du cinéma muet hongrois ont disparu au cours du XXe siècle.

Je dirais ensuite que les publicités du studio Coloriton ont été les plus importantes dans les années 1930. En matière de stop motion, il faut mentionner les films des années 1950, dont Éva Falus (Faloux) fut la créatrice. Elle est rentrée en Hongrie après 1945, après avoir mené une carrière artistique en France dans les années 1930 et participé à la résistance française pendant l’occupation de Paris. Les films de Macskássy, ainsi que les séries télévisées, étaient tous de grande qualité.

Dans les années 1970, apparaissent les longs-métrages d’animation, comme János Vitéz (Jean le vaillant) et Le Fils de la jument blanche (Fehérlófia) de Marcell Jankovics, ainsi que les films d’Attila Dargay : Vuk (Vuk, le petit renard), Ludas Matyi (Mathieu l’astucieux) et Szaffi (Princesse Saffi).

Il faut aussi évoquer les grandes coproductions internationales, comme Les Maîtres du temps de René Laloux, Hugo, the Hippo ou Cat City.

Le film aquarelle de József Gémes, Heroic Times, et Bubble Bath de György Kovásznai sont deux œuvres d’art singulières dans l’histoire de l’animation universelle. The District d’Áron Gauder a fortement mis en lumière la qualité de l’animation hongroise des années 2000. Ces trois films seront d’ailleurs présentés au programme du festival d’Annecy.

En matière de courts métrages, le répertoire historique hongrois est lui aussi extrêmement riche et varié : trois Palmes d’or, des Ours à Berlin, des nominations aux Oscars, ainsi que de nombreux Grands Prix à Annecy.

Et je n’ai même pas encore mentionné l’immense quantité de séries télévisées qui ont assuré la rentabilité du Pannónia Filmstúdió pendant 35 ans — et qui restent, à ce jour, incroyablement populaires.

A travers vos fonctions, comment faites-vous vivre ces œuvres patrimoniales ?

Depuis l’intégration des Archives au sein du NFI (Institut national du film hongrois) et le début de ma prise de fonctions aux Archives nationales cinématographiques de Hongrie, je me suis fortement engagé dans la restauration et la remise en circulation des œuvres de l’animation hongroise.

Avec mes collègues Eszter Fazekas et Annaida Orosz, nous avons invité les créateurs de Pannónia encore en vie à participer au processus de restauration. À ce jour, environ 80 % du patrimoine animé hongrois est numérisé et restauré. Nous distribuons ces films en Hongrie en salles, en vidéo et à la télévision.

À l’international, nous collaborons avec des distributeurs français, allemands, américains, avec des salles indépendantes, des cinémathèques, des festivals, ainsi qu’avec les instituts culturels hongrois, afin de rendre ces œuvres accessibles dans le monde entier.

Dans l’univers numérique, nous disposons de notre propre plateforme de streaming, FILMIO, qui rend accessibles tous les films restaurés par le NFI FilmLab en Hongrie. Il faut également souligner le travail remarquable du NFI FilmLab, ainsi que celui de leur fantastique laboratoire photochimique, l’un des derniers encore pleinement fonctionnels en Europe.

Nous travaillons actuellement sur un projet d’internationalisation de FILMIO, et collaborons régulièrement avec des plateformes internationales.

En 2014, nous avons célébré les 110 ans de l’animation hongroise à travers une programmation spéciale lors du Budapest Classics Film Marathon, notre propre festival de films restaurés. Nous y avons projeté 200 films d’animation restaurés et réuni les anciens collaborateurs du Pannónia Filmstúdió pour une grande fête autour de la première de la version restaurée de Hugo, the Hippo, à Budapest.

Il était important pour moi que Vivien Halas, fille de John Halas, et Zoltán Maros, animateur légendaire de Pannónia puis de Gaumont et Disney à Paris, soient présents. Nous avons également accueilli Pierre Foldes, fils de Peter Foldes (grand pionnier de l’animation assistée par ordinateur), lui-même réalisateur de films d’animation.

Grâce à Argos Films et Tamasa Distribution, nous avons pu rendre à nouveau accessible en Hongrie Les Maîtres du temps, resté invisible pendant trente ans.

En France, des sociétés comme Clavis, Malavida, Extralucides et Carlotta nous accompagnent depuis longtemps dans la diffusion de nos restaurations. Tamasa distribue actuellement l’œuvre magistrale de Marcell Jankovics, Le Fils de la jument blanche, classée parmi les 50 meilleurs films d’animation de tous les temps lors des Olympiques de l’animation à Los Angeles en 1982.

Nous collectons également les œuvres d’art liées à la production de ces films, dans le cadre d’un projet de création d’une cinémathèque à Budapest, avec une exposition permanente consacrée à l’animation hongroise.

Vous avez depuis longtemps un lien fort avec la France, notamment à travers votre fidélité au Festival Lumière. Quelles affinités voyez-vous entre les créations hongroise et française ?"

Le cinéma français et le cinéma hongrois sont liés depuis les débuts du septième art. Nous célébrons cette année les 130 ans du cinéma, et il faut rappeler que les frères Lumière ont tourné à Budapest dès mai 1896. Depuis, les échanges cinématographiques et les influences mutuelles n’ont jamais cessé.

Alexandre Trauner, Paul Fejos, Alexander Korda, Marcel Vertès, Jean Image, Peter Kassovitz ou Joseph Kosma ne sont que quelques-uns des nombreux Hongrois ayant contribué au cinéma français. À l’inverse, le cinéma français a toujours exercé une influence majeure sur le cinéma hongrois, sans parler des cinéastes français ayant tourné en Hongrie, comme Henri Decoin en 1938, pour ne citer qu’un exemple de l’histoire du cinéma du XXe siècle. La liste des coproductions et des collaborations cinématographiques entre les deux pays est longue.

Dans le domaine de l’animation également, les coproductions et coopérations entre la France et la Hongrie sont fréquentes : il suffit de penser à la Palme d’or du court métrage d’animation remportée par Flóra Anna Buda en 2024.

En matière de valorisation du cinéma de patrimoine, nous avons la chance d’évoluer aujourd’hui dans une dynamique d’échanges culturels avec des institutions françaises telles que le CNC, l’Institut Lumière, la Cinémathèque française, la Cinémathèque de Toulouse, ou encore les festivals Lumière, Cannes Classics, La Rochelle, et le Festival de la Cinémathèque. Tous participent à mettre en lumière le cinéma hongrois en France, aux côtés d’autres cinématographies du monde.

À Budapest, nous valorisons également le cinéma français, notamment à travers notre festival Budapest Classics Film Marathon, organisé en partenariat avec l’Ambassade de France et l’Institut français de Budapest. Nos partenaires institutionnels français sont très actifs dans les deux sens, et nous leur en sommes profondément reconnaissants.

Le dialogue entre le Festival d’Annecy et le NFI, en vue d’une invitation spéciale consacrée à l’animation hongroise, a d’ailleurs été amorcé à cette occasion. C’était lors du congrès de la FIAF (Fédération internationale des archives du film) que nous avons organisé à Budapest en 2022 avec mes collègues des Archives du film du NFI, en présence de Marcel Jean.

Vous faites partie du jury du Festival d’Annecy cette année. Que cela représente-il pour vous ?

C’est un honneur d’être invité au sein du jury de ce festival, qui a présenté et primé tant de talents hongrois depuis sa création, et dont John Halas (Halász János) compte parmi les fondateurs. Mais bien entendu, au-delà de cela, c’est aussi un grand plaisir de découvrir les nouveaux films des talents d’aujourd’hui, venus du monde entier. Il va sans dire combien je suis touché que cette responsabilité m’ait été confiée, et ce, l’année où la Hongrie est l’invitée d’honneur du festival.

 

Florian Krieg
© crédit photo : Gábor Sióréti


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