
Zoom sur "La ligne de vie"
Sélectionné à la Mostra de Venise, La ligne de vie est un court métrage historique ambitieux porté par Hugo Becker et produit par Laurent Helas. Inspiré de faits réels et tourné dans des décors authentiques de la Grande Guerre, le film explore à la fois l’importance vitale du courrier pour les soldats et les enjeux de transmission qui résonnent encore aujourd’hui.
Qu'est-ce qui vous a incité à vous lancer dans l'aventure de La ligne de vie ?
Hugo Becker : Mon grand-père a été résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Son père avait lui-même combattu à Verdun pendant la Grande Guerre, et son oncle y était aussi : l’un y est mort, l’autre a perdu un bras…
Mon grand-père et sa sœur avaient conservé de nombreuses lettres de cette époque, et les découvrir a été une révélation pour moi. Elles posaient déjà les grandes questions que pose le film. Sur l’identité, sur la notion de frontière, et évidemment sur ce qu’il y a de plus précieux en chacun de nous : la notion d’humanité. C’est cette interrogation universelle qui transpire du film : qu’est-ce qui nous rapproche finalement tous, au-delà des drapeaux ?
Il y a aussi quelque chose de frappant dans la manière dont on communiquait à l’époque. Dans chaque lettre, on écrivait nos sentiments avec des mots sciemment choisis, on transmettait toute son âme. Ces lettres étaient très attendues et jouaient un rôle fondamental autant au front qu’à l’arrière, pour maintenir un lien au sein des familles.
De ces fragments de vie que j’ai pu lire, est née l’envie de raconter une histoire qui s’inspire librement plusieurs faits réels. En parlant des facteurs, j'ai voulu rendre hommage à des héros méconnus bien évidemment, mais aussi j’ai voulu mettre en avant le rôle des femmes qui ont parfois été oubliées également quand on parle de la Grande Guerre, alors qu’elles y ont joué un rôle prépondérant.
Laurent Helas : Le film s’ouvre sur un chiffre frappant : 4 milliards de lettres ont été échangées pendant la Première Guerre mondiale. Cela démontre l’importance de ces échanges pour le moral des troupes à l’époque. Nous en avons beaucoup parlé avec un historien de la Poste. Il en ressort un enjeu vital et dans le film, les postiers font de la transmission de lettres une mission sacrée : il faut aller au bout, livrer le courrier coûte que coûte. Mais à cela s’ajoute un enjeu stratégique et nous avons ajouté au film toute une dimension de suspicion. En effet, ces courriers pouvaient parfois servir à des missions d’espionnage et de contre-information. C’est cet ingrédient qui offre au film son côté thriller historique.
Hugo Becker : Ce qui m’intéressait aussi, c’est cette dichotomie entre une information qui peut être stratégique et une autre profondément humaine. Se pose aujourd’hui une question encore très actuelle : qu’est-ce qui est le plus important ? Ce questionnement traverse nos métiers, nos vies personnelles, et se révèle particulièrement dans des situations extrêmes. Pendant le Covid, beaucoup ont été frappés par la notion de “non essentiel” pour certaines industries. En temps de guerre, cette interrogation de ce qui est essentiel prend encore plus de relief. Ce film tente de rendre compte de cette réflexion de manière sincère.
Ce court métrage se distingue par son ambition historique et artistique. Comment l’avez-vous conçu ?
Hugo Becker : Nous avons avant tout pensé La ligne de vie comme un film, avec un véritable début, un milieu et une fin. Sur près de 30 minutes, l’immersion devait absolument être immédiate : pour les spectateurs en premier lieu bien sûr, avec une vraie scène d’ouverture d’action immersive. Mais également pour les acteurs au moment du tournage, car il s’agissait de les placer dans un contexte, dans un décor et dans une lumière qui les aidaient à croire que nous étions en 1916. Ceci était valable également pour nos équipes et techniciens.
C’est pourquoi, la scène de bataille en ouverture a été tournée dès les premiers jours, et dans le même ordre que dans le scénario.
Ce qui était très agréable, c’est que Laurent Helas, le producteur principal chez Nouvelle Donne, ainsi que Pierre-Emmanuel Florentin et Nina Benoit chez Paprika Films, ont tout de suite adhéré au projet. Ils ont soutenu l’idée d’une scène inaugurale marquante pour capter le spectateur et l’amener à entrer directement dans l’histoire. L’intrigue étant dense, le spectateur se posera ensuite des questions. Mais avant cela, il fallait l’emmener dans des événements qui se sont déroulés il y a près de 110 ans. Cela a nécessité une centaine de figurants, les costumes, des véhicules de 1914 venus de toute la France, un camion postal avec des roues en fonte, des chevaux… Pour un projet de ce type, l’ambition imposait une vraie audace, aussi de la part de l’équipe et des acteurs (Alexis Manenti, Jeanne Goursaud, Damien Jouillerot, Gilles Cohen et David Talbot).
Laurent Helas : Pour l’ambition qu’évoque Hugo, je mesure aujourd’hui toute l’importance de la complicité artistique qui est la nôtre, et notre complémentarité sur bien des sujets. Nous avons déjà collaboré sur plusieurs films ensemble, et nous avons aussi produit d’autres réalisateurs avec Nouvelle Donne. Nous nous connaissons donc par cœur, au point de maitriser les mots qui comptent l’un pour l’autre, que ce soit sur un plateau ou lors de la préparation.
Et là où je rejoins Hugo, c’est qu’à l’ampleur du projet s’ajoutait le facteur temps : nous n’avions qu’un mois et demi pour préparer ce tournage de 7 jours et 2 nuits. Ensuite, Hugo était pris en tant que comédien tout le reste de l’année, et nous prenions le risque d’inquiéter nos partenaires si nous décalions le tournage d’un an. Alors, forcément, certains nous ont dit : « Préparer un film comme celui en un mois et demi, vous êtes complètement fous ! »
Hugo Becker : Un mois de préparation supplémentaire n'aurait pas été désagréable (rire).
Le décor joue un rôle majeur. Comment l’avez-vous choisi ?
Laurent Helas : Il était important pour nous d’envisager ce tournage dans une région réellement marquée par la première guerre mondiale. Le film a donc été tourné dans la Meuse et dans la Marne. Lors des repérages, nous avons visité plusieurs sites avec des tranchées, mais aucun ne permettait de filmer les scènes dans la continuité. C’était intéressant, mais cela engendrait beaucoup de problèmes en termes de découpage technique. Et puis nous sommes tombés sur un lieu exceptionnel, offrant 600 mètres linéaires de tranchées reconstituées à l’emplacement exact des tranchées d’origine, avec barbelés et résidus d’obus encore présents. C’était exactement ce qu’il nous fallait.
Hugo Becker : Nous avons bien sûr beaucoup retravaillé le décor pour qu’il corresponde au découpage. Ce décor était essentiel dès le début : avoir une vraie longueur de plans permettait une immersion totale. Si l’on coupe toutes les trois secondes, on voit les ficelles et le spectateur n’est pas plongé dans ce que vivent les personnages. L’âme du lieu ajoute beaucoup à l’impact de chaque scène et à la perception de ce que vivent nos personnages.
On sent une grande implication de votre part sur ce projet. Comment avez-vous vécu cette responsabilité sur le plateau et en amont du tournage ?
Hugo Becker : Le film était storyboardé et découpé de A à Z. Nous avons tout discuté, j’ai retravaillé chaque scène jusqu’au bout, répété à fond avec les acteurs en amont et réalisé de nombreux tests, notamment pour les explosions. Il était essentiel de montrer à l’équipe à quel point le projet comptait pour moi. Et je suis très reconnaissant d’avoir été entouré d’une équipe totalement dévouée et investie, en phase de tournage comme en post-production.
Comme le disait Laurent, ce genre de projets rappelle les raisons pour lesquelles nous avons choisi ce métier : tenter des choses plus grandes que nous, exigeantes, parfois folles. La ligne de vie fait également écho aux conflits armés actuels, et c'était extrêmement important à nos yeux de réaliser un film pacifiste.
Comment se déroule la carrière du film ?
Hugo Becker : Nous avons eu le bonheur que le film soit en sélection officielle et en compétition à la 82e Mostra de Venise. Le film a d'ailleurs été choisi par le festival comme candidat de la Mostra de Venise aux European Film Awards 2026 (en quelques sortes, les Oscars européens). D’autres sélections seront annoncées prochainement et le film aura une vie en télévision puisqu’il a été préacheté par France 2.
Outre l'apport des producteurs, de quels soutiens a bénéficié le film ?
Laurent Helas : Nous avons pu compter sur les aides du CNC, de France Télévisions, des départements de la Moselle et de la Meuse, de la Région Grand Est, de l'Adami, de la Procirep Angoa, des fonds ILP/La Poste et plusieurs partenaires privés. Nous avons aussi bénéficié d'une aide logistique du ministère des armées et de différentes associations de reconstitution. Obtenir ces partenariats pourrait renvoyer l’image d’une certaine facilité. Mais je peux vous assurer que pour un film comme celui-ci, on réfléchit encore pendant des mois après le tournage comment faire entrer des ronds dans des carrés. C’est un film tellement ambitieux que son budget réel aurait dû être trois fois supérieur à celui obtenu. Mais sa concrétisation a été rendue possible aussi grâce aux aides en industrie, octroyées par des gens passionnés par le film et par le sujet.
Hugo Becker : Ces aides précieuses me permettent de mesurer le chemin parcouru pour mon quatrième court. Le premier, nous l’avions financé via un crowdfunding, puis France Télévisions l’a acheté et diffusé. Pour le deuxième, nous avons bénéficié du soutien de mécènes et de l’appui du cours Florent, où je dirigeais un atelier : je leur ai proposé de ne pas être payé, mais de financer un court avec les élèves au casting. Le film a ensuite également obtenu une chaine. Le troisième lui, a fait partie de la collection Adami 2023, a été présenté au festival de Cannes et a eu une belle vie en festivals. Il a même été présélectionné aux Oscars.
Pour La ligne de vie, c’était génial de sentir qu’on commençait à me faire confiance, et à nous faire confiance. Après quelques années, ce soutien est essentiel. Mais loin de se relâcher, cela donne encore plus envie de se dépasser. Nous n’avons pas tout eu tout de suite, loin de là, et cette confiance transforme d’autant plus notre approche, notre préparation et notre volonté d’accomplir. Nous avons beaucoup de chance en France : je trouve que c’est important pour ceux qui réalisent des courts métrages de se dire que, si l’on persévère et que l’on ne lâche rien, il y a de vraies chances de pouvoir concrétiser certains de nos rêves.
On pose souvent la question de la maturité aux artistes… Est-ce que La ligne de vie pourrait être votre court métrage de la maturité ?
Hugo Becker : (Rires) Non. C'est celui de la jeunesse. Il faut être inconscient pour se lancer dans un projet comme celui-ci. Plus sérieusement, j’espère que cela suscitera l’envie d’oser davantage sur des productions audacieuses, même dans le cadre des courts-métrages. A travers mes courts, j'ai eu la chance d'explorer de nombreux univers : les films d'époque, de genre, d'auteur et la comédie. J'ai envie de poursuivre cette découverte… en tout cas j’espère que cela me permettra d’ouvrir la voie vers un premier long-métrage, et peut-être d’autres par la suite, que j’espère également dans des registres très variés.
Hugo, vous êtes également président du jury du Festival de Saint-Jean-de-Luz. Qu'cst-ce que cela vous inspire ?
Hugo Becker : J’en suis très honoré et je prends cette responsabilité très au sérieux. Je sais combien il est difficile de monter un film. Et ici, il s’agit de premiers longs, donc je les regarderai tous avec beaucoup d’attention. Chaque film me fait voyager et m’embarque, j’ai donc hâte de les découvrir.
Pour ce qui est des prix, c’est un vrai défi, un peu comme faire un film d’ailleurs : il faut considérer le collectif et pas seulement son avis personnel. L’idée est de comprendre ce qui touche le plus l’ensemble du jury, de contrebalancer les forces, et de ne pas se laisser emporter par un coup de tête, car certains films nous marquent sur le moment, mais d’autres se révèlent à nous de façon bien plus profonde avec un contre-coup.
C’est un vrai bonheur de participer à ce festival qui met en avant les talents émergents. C’est très flatteur, et je suis vraiment heureux qu’on m’ait confié cette mission.
Florian Krieg
© crédit photo : Rémi Sourice pour LFFVous avez déjà un compte
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