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Cinéma

Cannes 2017 : entretien avec Carine Tardieu, réalisatrice de "Ôtez-moi d'un doute"

Date de publication : 20/05/2017 - 08:05

La cinéaste présente son nouveau film dans le cadre de la Quinzaine, une comédie populaire interprétée par François Damiens et Cécile de France.

J'ai remarqué qu'il s'écoule en moyenne cinq ans entre chacun de vos films... Est-ce un hasard ?
En fait, je commence à me connaître. Si je me mets à écrire trop tôt après avoir fini un film, je risque d'aller dans le mur en forçant quelque chose. Je pense qu'il me faut un temps de vide avant que le désir et la nécessité d'écrire ne reviennent. C'est long parce que j'aime tourner. Je suis beaucoup plus heureuse quand je rentre en préparation que lors de l'écriture. Je trouve que c'est une étape plus douloureuse, d'autant que l'on peut écrire sans fin. Alors que lorsqu'on entre en préparation, il y a toujours un moment où il faut y aller.

Vous faites d'autres choses entre-temps ?
Non, car je suis vraiment sur mes projets. Pour Ôtez-moi d'un doute, je savais que je voulais aborder le sujet du père mais je ne savais pas par quel bout le prendre. J'ai commencé par écrire deux tentatives de scénarios avant de m'accrocher à cette histoire. J'ai longtemps tourné autour du pot, mais c'est un temps qui m'est nécessaire. Peut-être qu'un jour j'arriverais à faire mieux, mais en même temps peu importe, car je n'ai pas de plan de carrière. Faire durant toute ma vie cinq films seulement, mais dont je suis fière, me suffirait amplement. Cependant, le plaisir de tourner me manque.

Vous avez de nouveau travaillé avec Raphaële Moussafir mais aussi Michel Leclerc. Comment se sont déroulées vos collaborations ?
Raphaële est rentrée dans un deuxième temps. J'ai commencé avec Michel qui, au bout d'un moment, n'était plus vraiment disponible parce que il partait tourner pour France 2 tout en menant aussi d'autres écritures. Et puis, nous étions arrivés au bout de quelque chose en termes de scénario. J'ai contacté Raphaële afin qu'elle nous fasse une sorte de script-doctoring et, en fin de compte, elle a mis le doigt sur d'énormes problèmes, à la fois structurels et même narratifs, concernant notamment la psychologie de mes personnages. Elle a tout chamboulé, ce qui m'a amenée à remettre en question énormément de choses. On a tout cassé pour tout reconstruire ensemble. J'ai gardé beaucoup d'éléments de mon travail avec Michel, mais ça a été une étape très importante.

Vous aviez votre casting en tête bien en amont ?
J'essaie de l'éviter. D'une part, pour ne pas être déçue si jamais on me dit non. Mais aussi parce que si j'imagine trop un acteur dans un personnage, le risque est qu'il m'apporte beaucoup moins dès lors qu'il accepte. Car, en fin de compte, un acteur auquel je n'ai pas pensé, a des chances de me surprendre beaucoup plus. Donc, j'ai développé une technique avec mes coscénaristes. On pense à des comédiens disparus, comme ça on est sûr qu'on ne pourra jamais leur proposer le rôle. Et comme je me suis énormément nourrie des films de Claude Sautet pour Ôtez-moi d'un doute, j'ai pensé à Yves Montand. Il n'a a priori rien à voir avec François Damiens, mais cela correspondait à l'énergie du personnage.

Combien de temps a duré l'écriture ?
Je dirai que pendant deux ans, j'ai écrit d'autres choses en lien avec ce thème, mais que j'ai jetées à la poubelle. Cela ne correspond donc pas fondamentalement à l'écriture de cette histoire, tout en s'apparentant à des sortes de fondation. Pendant deux ans, j'ai un peu erré autour du sujet. Et puis, un ami m'a raconté une histoire personnelle dont je me suis inspirée. Et à partir du moment où je me suis accrochée à cette histoire, il s'est écoulé entre un an et demi et deux ans d'écriture.

Et cette fois, c'est la figure du père qui vous a inspirée ?
Oui. J'avais pas mal parlé des mères, notamment dans mes courts métrages. Et dans ma vie personnelle, j'ai rencontré mon père, pas au sens de la rencontre formelle, mais parce que nous avons fait véritablement connaissance. Une sorte de réconciliation, mais au sens de se retrouver et de se reconnaître. Et naturellement, j'ai eu envie de parler des pères.

C'est toujours très proche de vous ?
Cela part de quelque chose qui me traverse. Mais d'un film à l'autre, l'inspiration n'a jamais été la même. La précédente histoire à laquelle je me suis accrochée était un roman, donc une histoire qui ne m'appartenait pas. Mais il est vrai que je me suis retrouvée dans le personnage principal de la petite Rachèle dans Du vent dans mes mollets. Il faut que je m'y retrouve d'une manière ou d'une autre. Sur Ôtez-moi d'un doute, je pense que je suis un peu dans tous les personnages, surtout dans les féminins. Et c'est pour cela aussi que j'ai eu besoin de mettre deux filles dans cette histoire : la fille et la soeur d'Erwan.

Vous avez une méthode pour diriger vos acteurs ?
Il n'y a pas beaucoup de place pour l'improvisation. En général, si on regarde le scénario dialogué, on retrouve le film, hormis bien sûr tout ce qui a pu être coupé au montage. Mais les acteurs doivent se tenir au dialogue, sauf bien sûr s'il y a un mot ou une phrase qui ne passe pas. Je ne suis pas un tyran. En fait, je prépare énormément en amont. Je prédécoupe plusieurs fois mon film, une fois seule, une fois avec le chef opérateur, une fois sur les décors. Je fais des dessins, j'arrive sur le plateau en étant très préparée. Et, du fait d'avoir eu cette grande préparation en amont, je me sens prête à pouvoir accueillir une part d'inattendu et d'accidents. C'est pour cela que j'adore tourner en décors naturels parce que j'aime l'idée que la météo puisse influer sur ma mise en scène au même titre que les comédiens et tout ce qu'ils peuvent m'apporter. Mais ce n'est pas de l'ordre de l'improvisation. C'est plein de petites choses relevant de leur personnalité, de leur force de proposition, en fonction de ce qu'ils sont, de ce qu'ils imaginent et comment ils réinventent les personnages.

Et le montage a duré longtemps ?
Autour de trois mois. On a eu en fait beaucoup de chances en montant durant l'été, car on a dû faire une pause de trois semaines au mois d'août. Cela nous a donné du recul à ma monteuse et moi-même pour reprendre les choses. Je trouve que c'est très important de se laisser du temps au montage. C'est en fait la même chose qu'avec le scénario. Ne pas être trop pressé. Car lorsque l'on revoit ce qu'on avait monté en ayant le nez dedans, on a beaucoup moins de complaisance. Certains détails qui n'étaient pas évidents auparavant, vont soudainement vous sauter aux yeux.

Vous vous attendiez à cette sélection à la Quinzaine ?
Absolument pas. Au départ on n'avait pas du tout prévu d'envoyer le film à Cannes. J'ai fait une petite projection en interne avec quelques amis et mes comédiens. Et c'est André Wilms, entre autres, et Marie Masmonteil qui m'ont demandé pourquoi je ne le présentais pas à Cannes. Je l'ai vaguement entendu. Ils me l'ont redit quelques jours plus tard et j'en ai parlé à mes producteurs qui ont dit : "Pourquoi pas ?" Comme c'est une comédie, on l'a envoyé sans y croire une seconde. Alors, il vrai que Edouard Waintrop en sélectionne au moins une chaque année. À la limite, quand j'étais petite, je pouvais rêver aux César, mais Cannes ne faisait pas du tout partie de mes rêves. De fait, c'est totalement surprenant et inattendu. C'est comme un cadeau. C'est une joie parce que je n'ai pas du tout fait le film en y pensant. Or c'est une chance énorme pour sa visibilité. Mais je le prends avec beaucoup d'amusement. Une partie de l'équipe descend, je suis heureuse de partager ça avec eux. Je le prends avec joie, sans attente particulière avec la sensation que cela ne m'arrivera qu'une fois dans ma vie et qu'il me faut en profiter.

Vous étiez déjà venue à Cannes ?
Je suis passé une fois un peu en touriste. Je n'étais pas restée longtemps parce que le tourbillon cannois n'est pas vraiment ma tasse de thé. Là, j'y serai pour travailler, rencontrer notamment la presse. Mais je vais me laisser porter et prendre par la main.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo :


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