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Cinéma

Annecy 2017 - Ali Soozandeh, réalisateur de 'Téhéran Tabou' : "J'ai fait une œuvre sur l'accomplissement personnel"

Date de publication : 14/06/2017 - 08:40

Pour son premier long métrage, présenté en compétition, le cinéaste allemand d’origine iranienne, dépeint une société schizophrène au sein de laquelle sexe, corruption, prostitution et drogue coexistent avec les interdits religieux.

Comment présentez-vous Téhéran Tabou ?
C'est un film humaniste qui suit les parcours de trois femmes de caractère et d’un jeune musicien, au travers de la capitale iranienne, en exposant au grand jour, avec tendresse et humour, l'hypocrisie et les contradictions du système au sein duquel ils vivent et les conséquences pouvant en découler. C'est une œuvre sur l'accomplissement personnel en dépit de tout.

Comment est venue l'idée première du film ?
Il y a quelques années, j'ai entendu dans le métro une conversation entre deux jeunes iraniens qui parlaient de leurs expériences avec des filles. Ils ont évoqué une prostituée qui amenait son enfant sur son lieu de travail. Cela m'a fait penser à une thématique sur la sexualité en Iran. D’autant que j’ai déjà été personnellement confronté à ce problème que rencontrent beaucoup de femmes iraniennes prises au piège au sein d’un environnement familial répressif, tout comme le personnage de Sara.

Pourquoi ce choix de l’animation au lieu de la prise de vues réelles ?
Au départ, je ne voulais pas réaliser un film d'animation. Le plus important pour moi était de faire en sorte que l’histoire fonctionne. Sur ce projet, le problème d'un tournage en prise de vues réelles était lié aux lieux où se déroule l'action. Pour des raisons évidentes, tourner à Téhéran n'était pas envisageable. J'ai regardé quelques films tournés au Maroc ou en Jordanie qui étaient censés se passer en Iran, mais ce n'était pas très convainquant. Après plusieurs discussions et de nombreux tests, nous en avons conclu que la technique de la rotoscopie serait la mieux adaptée. Je l'ai aussi choisie parce qu'elle peut avoir un véritable impact émotionnel.

Comment le film a-t-il été produit ?
Par Little Dream Entertainment à Cologne et Hambourg. C'est une société assez récente, fondée par deux cinéastes expérimentés : Frank Geiger et Ali Samadi Ahadi. Tous les deux travaillent ensemble depuis près de six ans. Ils produisent et réalisent des films. Ali Samadi a notamment réalisé le film d'animation The Green Wave, mi-fiction et mi-documentaire, sur les soulèvements de 2009 en Iran, qui a été sélectionné à Sundance en 2011. Récemment, il fait des comédies à succès et des films pour enfants, la plupart produits par Frank. Parallèlement à son travail de producteur pour LDE et son autre société Brave New Work à Hambourg, il est également monteur. C'est lui qui a monté Téhéran Tabou. Il est en train de réaliser un documentaire en animation sur des enfants grandissant dans un environnement néo-nazi.

J'ai été impliqué en tant qu'animateur dans plusieurs de leurs productions. Et quand je leur ai présenté l'idée de Téhéran Tabou, ils ont aussitôt été emballés. La société autrichienne Coop99 Filmproduktion (qui a notamment coproduit le film Toni Erdmann de Maren Ade, Ndlr) aimait aussi beaucoup le projet. Mais les deux sociétés ont eu du mal à convaincre des diffuseurs – qui sont toujours la clé pour arriver à trouver des fonds en Allemagne et Autriche – d'investir dans un film d'animation pour adultes, qui était en outre une première œuvre se déroulant entièrement en Iran.

Au bout de deux ans, ils ont réussi à convaincre ZDF de soutenir le projet. Ensuite, Arte et ORF ont suivi, ainsi que des guichets tels que le Filmstiftung NRW, le Hambourg Filmboard, l'Institut du Film autrichien et le Vienna Filmfonds qui se sont révélés très enthousiastes envers le projet. Nous avons pu commencer le tournage durer l'été 2015. Il a été suivi par un long processus de montage se faisant en lien avec tout le travail d'animation, lequel a duré plus d'un an, en impliquant une quarantaine d'artistes talentueux.

Quelles ont été les différentes étapes de fabrication ?
Nous avons donc choisi d'avoir recours à la rotoscopie. C'est une technique plus manuelle, en quelques sortes, que la Mocap. Nous avons commencé par tourner avec de vrais acteurs sur fond vert, dans un studio à Vienne. Ensuite, nous avons détouré les acteurs en enlevant tous les fonds et nous les avons redessinés de façon à leur donner un aspect très graphique. Tous les décors de rues et d'intérieurs sont de pures créations numériques basées sur l'aspect réel de Téhéran. Ensuite, nous avons tout assemblé et mis en lumière, en y appliquant des mouvements de caméras. La plupart de l'animation a été produite en Allemagne, une plus petite partie étant faite en Autriche.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Une des principales était que Téhéran Tabou supposait des prises de vues réelles, transformées ensuite en animation. Et pour les acteurs, la grande difficulté était de nourrir les émotions dans leur jeu. Ils étaient constamment au milieu d'un studio entièrement vert et devaient imaginer tout leur environnement. Même les costumes et les maquillages étaient abstraits pour eux. Parfois, ils ont dû simuler une sorte de ralenti en marchant sur des tapis roulants. C'était tout le temps comme ça.

Une autre grande difficulté était que les comédiens et les personnages animés obéissent à des principes différents. Une fois animée, une scène peut avoir un sens totalement autre de ce qui avait été mis au point avec les acteurs. Cela nécessite une forme de pensée assez abstraite et oblige à faire des allers et retours continuels entre le montage et l'animation. Et ce jusqu'à la fin.

Votre film a été sélectionné à la Semaine de la critique à Cannes, puis à présent à Annecy. Qu'en attendez-vous ?
Qu'il attire l'attention, et que les distributeurs d'autres pays s'y intéressent afin qu'il puisse être présenté à différents publics à travers le monde. Et j'espère qu'à l'avenir, il sera plus facile pour moi, mais aussi pour d'autres de faire des films de la même veine que Téhéran Tabou. J'espère aussi que beaucoup d'Iraniens le verront et y découvriront le reflet de leurs propres vies.

Propos recueillis par Patrice Carré
© crédit photo :


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