Cinéma

Annecy 2021 - Emmanuel-Alain Raynal et Nicolas Schmerkin : le point sur les enjeux de l'animation française

Date de publication : 15/06/2021 - 08:30

Emmanuel-Alain Raynal (Miyu Productions) est vice-président animation du SPI tandis que Nicolas Schmerkin (Autour de minuit, qui célèbre ses 20 ans cette année) est membre du conseil d'administration d'AnimFrance. Emblématiques de la production indépendante française, mais aussi distributeurs, ils présentent, à eux deux, plus d’une dizaine d’œuvres à divers stades, courts et longs métrages mais aussi VR, à Annecy. Ils racontent l’impact de la crise sanitaire sur leurs activités et évoquent les perspectives du secteur en cette période de post-pandémie.

Quelle est votre actualité annécienne ?
Emmanuel-Alain Raynal : Nous sommes présents dans deux compétitions. Court métrage avec Easter Eggs de Nicolas Keppens qui a déjà été primé l’année dernière à la Berlinale. En VR nous avons The Hangman at Home de Michelle Kranot et Uri Kranot qui a reçu le prix de la meilleur œuvre VR à Venise. Nous présentons également deux pitchs : L’ourse et l’oiseau de Marie Caudry en télévision, et Porcelain Birds de Max Porter et Ru Kuwahata en long métrage. Enfin nous avons le Wip de Saules aveugles, Femmes endormies de Pierre Foldes. Côté Miyu Distribution, nous avons un long métrage en compétition contre-champs, Archipel de Felix Dufour-Laperrière, deux courts métrages professionnels, cinq films étudiants et deux films de commande en compétition.
Nicolas Schmerkin : Nous présentons également un Wip celui de Unicorn Wars de Alberto Vázquez. Et nous accompagnons le retour de Nieto en compétition court métrage avec Swallow the Universe. Par ailleurs nous distribuons trois films en compétition et deux courts métrages de Panique seront projetés aux haras.

Comment la crise sanitaire a-t-elle impacté l’activité de vos sociétés ?
N. S. : Pour la fabrication, je dirai que l’impact se situe à la marge. Nous avons pu finir sous covid les films déjà commencés. C’était plutôt des courts métrages, donc il n’y a pas eu d’arrêt sur des grosses productions. Il nous fallu, par contre décaler une bonne partie des projets qui devaient démarrer en 2020. Nous avons quand même pu lancer un court en 2D durant l’été, mais tout ce qui était 3D était trop lourd, gérer des gros calculs à distance en télétravail c’est vraiment compliqué pour des structures comme la nôtre. Autour de Minuit est organisé en open space, tout le monde participe un peu à tout. Se retrouver chacun chez soi bouleverse tout en termes d’organisation. Et le jour où nous avons recommencé à travailler en présentiel nous avons pu débloquer beaucoup de dossiers. L’autre conséquence est que, étant confinés en 2020, nous avons mis l’accent sur le développement et l’écriture. Nous avons donc le double de projets en démarrage : ceux qui ont été décalés et les autres, développés sous confinement. Le dernier impact, plus triste, est sur la distribution. Notre économie était trop basée sur la salle et les festivals. Nous en avons souffert et j’ai dû prendre des décisions douloureuses début 2021. Nous avons développé davantage la Svàd mais les résultats ne se feront pas ressentir dans l’immédiat.
E-A. R. : Effectivement cela a ralenti nos productions. Le planning de notre long métrage Saules aveugles, femmes endormies, a été affecté, d’autant que le confinement est arrivé au cours d’une étape importante alors que nous étions notamment en train de mettre en place les relations entre équipe et chefs d’équipes. Mais le télétravail ça fonctionne. Nous avons réussi à terminer Elliott From Earth prestation effectuée pour le compte de Cartoon Network. Les grèves avaient tenu lieu de répétition quelques mois avant et nous avions pu expérimenter le passage d’une partie des équipes en télétravail. Par contre sur un long métrage, il y a toujours des moments où la communication est très importante. Cela nous a fait prendre du retard, puisque nous aurons terminé le film pour le début 2022. C’est plus compliqué psychologiquement. Tous les moments conviviaux d’échanges et de discussions, les projections, tout est devenu impossible. On sentait que les équipes avaient le moral dans les chaussettes en plus de l’impact sur la vie privée. Et la gestion du développement, notamment des contacts réguliers avec les auteurs et autrices a été compliquée. Mais on en sort. Je vois maintenant se profiler un autre impact de cette crise sanitaire. Beaucoup de cinéastes ont préféré ne pas proposer leurs œuvres cette année à Annecy, se projetant sur une édition 2022 redevenue festive. Je pense que l’année prochaine, il y aura plus de films en circulation que de places en festivals et cela provoquera malheureusement beaucoup de déceptions.

Cela a définitivement changé votre manière de travailler ?
E-A. R. : J’en suis la preuve puisque j’ai quitté Paris pour aller habiter en baie de Somme. Et j’ai pu vérifier que le télétravail fonctionnait aussi bien pour moi que pour certains de mes collaborateurs et collaboratrices. Cela a du bon, quand c’est voulu et organisé. Pas quand c’est imposé.
N. S. : Nous faisons quelques recrutements en ce moment et c’est systématique. Beaucoup nous disent qu’ils ont pour projet d’aller habiter en province et demandent si c’est un problème d’être en télétravail complet. On sent un questionnement global, qui n’est pas propre au monde de l’animation. Mécaniquement, le travail à distance démultiplie les temps de communication, notamment sur la fabrication. Il y a toujours des incompréhensions et cela a des incidences sur le planning et donc le budget. Pour lancer un film il faut pouvoir se réunir autour d’un réalisateur qui va expliquer sa vision. Démarrer un pipeline avec de nouveaux outils et une nouvelle équipe, c’est juste impossible en zoom. Je suis pour rassembler les équipes un maximum.

Avez-vous des craintes sur les financements à venir, tant pour le cinéma que l’audiovisuel ?
E-A. R. : Des incertitudes sans aucun doute. Mais hors covid la période est faite d’incertitudes puisque les lignes bougent beaucoup. La délinéarisation de la diffusion a des impacts sur la manière de produire. J’ai plutôt envie d’y voir des opportunités, notamment pour les œuvres touchant un public plus adulte ou d’autres formats, qui étaient très compliqués à produire avant, comme le feuilletonnant et les unitaires qui arrivent en force. Mais il faut rester très vigilant sur l’impact du covid. Notre problématique est particulière. Quand on s’adresse aujourd’hui à un distributeur c’est pour une sortie en salles calée sur 2023 ou 2024. Mais effectivement, vendeurs et distributeurs prennent moins de risques, le chiffre d'affaires des chaînes de télévision a souffert de la baisse des revenus publicitaires donc cela aura forcément un impact sur la production indépendante.
N. S. : Avant de parler de ce qui se profile, je peux déjà dire que nous avons eu rapidement des problèmes de financement sur des coproductions internationales. Tous les pays n’ont pas la chance d’avoir un organisme aussi réactif que le CNC. C’est important de le signaler. En Espagne tout a été suspendu un certain temps, il n’y avait pas d’aide, il ne se passait plus rien. Pour la suite, nous nous positionnons sur des films compliqués à financer, puisque Unicorn Wars se monte sans chaîne. Nous nous sentons moins concernés par la chronologie des médias et nous pensons que les plateformes représentent des ouvertures intéressantes pour le secteur ado-adulte. Je pense aussi qu’il serait temps que les diffuseurs traditionnels, qui craignent d’être dépassés par ces nouveaux entrants, s’y intéressent en actant enfin qu’il y a un public.

Les plateformes représentent-elles une panacée future pour le type d’animation que vous produisez ?
E-A. R. : Il faut espérer que cela contribue à défendre la diversité. La concentration est un sujet qui nous préoccupe au SPI. Le nouveau décret Smad, représente une opportunité pour tout un tissu de sociétés de pouvoir proposer des projets différents. Ces nouveaux acteurs sont un moyen de diversifier les financements français à côté des acteurs hertziens historiques. On comprend que ces diffuseurs disent ne pas avoir de public pour ces œuvres, s’adressant à un public ciblé avec une logique de case. La délinéarisation permet de sortir de ces logiques et cela peut être une formidable nouvelle pour une création indépendante et diverse.
N. S. : Effectivement au-delà de la diversité des sociétés de productions, il faut pouvoir compter sur la diversification des projets. Et sur l’animation ado-adultes, cela reste encore la misère en termes de financement. Certaines réponses des diffuseurs pour justifier un refus, ont 10 ou 20 ans de retard ("l’animation c’est pour les enfants"). Beaucoup de films pour adultes se profilent, il suffit de regarder le programme des WIP à Annecy. Après il ne faudra pas se plaindre que les plateformes captent des parts de marché.
E-A. R. : On espère que cela va ouvrir des possibilités et nous sortir de ce discours qui consiste à investir moins d’argent sur les œuvres web-natives. Ce n’est pas du tout ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique. Si on veut être un peu compétitifs, il faut nous donner, les moyens de pouvoir développer et financer des œuvres audacieuses et de qualité.

La non disparition de France 4 est une bonne nouvelle ?
N. S. : Une excellente nouvelle parce qu’on allait droit dans le mur. AnimFrance s’est pas mal battu depuis 2018 avec des actions dans tous les sens. Le constat est qu’il a fallu en plus une pandémie pour arriver à garder une chaîne jeunesse en France. Il faut en faire un bel outil au service des spectateurs, en permettant aux producteurs d’y avoir accès pour des projets de la diversité.
E-A. R. : Cette décision avait été prise sans aucune concertation et seule la pandémie a permis de créer un dialogue. Nous sommes soulagés de cette décision au SPI. Garder France 4 cela ne veut pas dire stopper tout le travail qui est en train de se faire autour d’Okoo notamment. Il faut continuer de travailler la délinéarisation de ces programmes parce que c’est l’avenir, et conserver cet élan tout en s’appuyant sur le socle fort de l’offre linéaire. C’est comme ça qu’on donnera toutes ses chances à cette plateforme de prospérer.

Qu’attendez-vous de concret de cette édition 2021 d’Annecy et du Mifa ?
N. S. : On dit toujours qu’on voit les mêmes têtes. Et bien là, je serais trop content de les revoir et de boire des coups avec des gens que je n’ai pas vus depuis un an et demi. Et puis découvrir enfin nos films en salles, avec du public qui réagit. Après je ne sais pas trop ce que réserve ce marché qui est en grande partie en ligne. J’attends quand même des retombées du Wip de Unicorn Wars, qui figure aussi parmi les projets en gap financing cherchant des reliquats de financement. L’idée aussi c’est de faire un point sur l’état de nos projets en cours avec les acteurs du marché, trois mois après le Cartoon Movie.
E-A. R. : L’enjeu est de se reconnecter à la salle, d’avoir le plaisir de se revoir, de parler cinéma et projets. Pour nous aussi c’est un premier Wip, donc une petite pression. Et puis nous allons faire un peu de communication à destination de la presse professionnelle. Nous allons lancer le financement du long métrage pour adulte Happy end de Marie Amachoukeli et Vladimir Mavounia-Kouka et nous annoncerons une coproduction future avec le Japon.

Un souvenir d’Annecy qui vous aura marqué ?
N. S. : En termes de rencontres, ce sera celle avec Rosto, avec ce créateur mais aussi cet être humain exceptionnel. Je pense aussi à la projection de Psiconautas de Pedro Rivero et Alberto Vázquez. Un film cochant toutes les cases qu’il ne faut pas cocher en animation : drogue, chômage, dépression, overdose, relations toxiques parentales, le tout avec des petits personnages kawaii. Salle pleine à Annecy. Je me retourne et je vois des gens de 12 ans à 70 ans qui pleurent. La preuve que l’animation adulte peut toucher le plus grand nombre.
E-A. R. : Je me souviens de m’être retrouvé à un apéro avec Osman Cerfon, avec qui je travaillais déjà, Dahee Jeong et Félix Dufour-Laperrière, deux cinéastes que j’adore, et repartir avec le projet de produire le prochain court de Dahee et le prochain long de Felix. Les deux sont aujourd’hui signés et en financement. A propos d’une projection qui m’a marquée, je pense à l’édition 2019. Nous avions quatre courts métrages en compétition ce qui était assez notable. Je me souviens en particulier de la projection de Symbiosis de Nadja Andrasev. Le film s’était terminé à la dernière minute et j’allais découvrir la version finale en même temps que le public du festival. Pour couronner le tout, nous apercevons Marcel Jean qui entre dans la salle pour regarder le début du programme, donc notre film, voulant également, je suppose, le voir achevé. Nadja était à côté de moi et me broyait l’avant-bras de stress !

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Eric Delage pour la photo de Nicolas Schmerkin


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