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Cinéma

Jane Campion, 13e Prix Lumière

Date de publication : 15/10/2021 - 10:18

Il y eut Agnès Varda, pionnière du cinéma au féminin  qui œuvra surtout dans le documentaire. Et puis vint la Néo-Zélandaise Jane Campion, unique réalisatrice à avoir reçu la Palme d’or à Cannes (en 1993 pour La leçon de piano) jusqu’en… 2021. Elle est en revanche la 3e de son sexe à se voir décerner le prestigieux prix Lumière.

L'image a fait le tour du monde. Elle résume de façon saisissante une révolution copernicienne. À la dernière Mostra, le soir du palmarès, la lauréate française du Lion d’or Audrey Diwan (L’événement) était entourée de deux autres réalisatrices : la Sino-Américaine Chloé Zhao, -couronnée l’an dernier du même titre pour -Nomadland (en attendant Les Éternels, sa contribution à la saga Marvel) et cette année membre du jury vénitien, et la pionnière du genre, Jane Campion, elle-même titulaire du Lion d’argent de la mise en scène pour Le pouvoir du chien, après avoir obtenu non pas une mais deux Palmes d’or à Cannes : en 1986 pour son court métrage Peel, exercice de discipline, puis sept ans plus tard pour La leçon de piano qui lui a également valu l’Oscar du meilleur scénario en 1994. Entre-temps, survient une tragédie dans sa vie : le petit garçon dont elle était enceinte au moment de sa consécration cannoise, Jasper, naît avec un cerveau privé d’oxygène qui le contraint à rester connecté à une machine pour pouvoir survivre. Les dix jours qu’a duré son calvaire ont marqué Jane Campion pour toujours, même si elle retombe enceinte six mois plus tard et donne naissance à une fille, Alice, qui se fera elle-même remarquer comme comédienne dans les rôles principaux de Ginger et Rosa de Sally Potter (2012) et Sublimes créatures de Richard La Gravenese (2013).
 
Jane Campion occupe déjà une place à part dans l’Histoire du cinéma. Aucun des huit longs métrages qu’elle a signés depuis Sweetie (1989) n’a laissé indifférent. En trois décennies, elle s’est attelée à dénoncer à sa façon, pétrie de cruauté et de délicatesse, l’aliénation des femmes à un système patriarcal séculaire. Parce que, déclarait-elle en 2013 à Françoise Delbecq du magazine Elle, “les gens dont la société a honte et qu’elle met de côté sont les seuls que j’aime, qui m’intéressent et que je respecte. La société est un rouleau compresseur effrayant”. Sous son engagement affleure toutefois un sens aigu du romanesque peuplé de personnages de chair et de sang confrontés au vertige de la passion et à l’ardeur des sentiments, qu’elle déclinera également sous forme de courts métrages et de sketches, y compris pour le petit écran qu’elle qualifie de “nouvelle frontière” dans le téléfilm Two Friends (1986) et les deux saisons de la minisérie devenue culte Top of the Lake (2013-2017).

BRILLANTE DIRECTRICE D’ACTRICES
C’est au cours de son adolescence que Jane Campion a la révélation du cinéma en découvrant Belle de jour (1967), recommandé par sa mère et qui l’incite à accueillir dans son panthéon personnel Luis Buñuel, que rejoindront notamment plus tard Francis Ford Coppola et Spike Lee. Brillante directrice d’actrices, Jane Campion a toujours su tirer des merveilles de ses interprètes féminines, qu’il s’agisse de Geneviève Lemon et Karen Colston (Sweetie), Kerry Fox (couronnée à Valladolid en 1990 pour Un ange à ma table), Holly Hunter et Anna Paquin (oscarisées pour La leçon de piano, la première ayant aussi été primée à Cannes), Nicole Kidman et Barbara Hershey (Portrait de femme pour lequel la seconde s’est vue nommer à l’Oscar du second rôle), Kate Winslet (Holy Smoke), Meg Ryan (In the Cut), Abbie Cornish (Bright Star), Elisabeth Moss (Top of the Lake) ou Kirsten Dunst (Le pouvoir du chien).

Jane Campion a vu le jour en 1954 dans une famille d’artistes de -Wellington, en Nouvelle-Zélande. Sa mère est actrice et poétesse, son père fermier dirige un théâtre. En qualité de cadette, elle se trouve en compétition permanente avec sa sœur aînée, Anna (avec laquelle elle écrira plus tard le scénario de Holy Smoke), qui lui inspire les deux premiers mots qu’elle prononce : “Me too” (“Moi aussi”). Six décennies plus tard, le mouvement #MeToo dont elle a déclaré qu’“il représente la fin de l’apartheid pour toutes les femmes” incarne surtout une marche vers la parité en faveur de laquelle elle milite ardemment. Au point d’avoir pris le relais d’Agnès Varda depuis sa disparition en 2019, elle qui est devenue une pionnière un peu malgré elle : première femme à remporter la Palme d’or, mais aussi deuxième de son sexe à concourir pour l’Oscar de la meilleure mise en scène (après l’Italienne Lina -Wertmüller qu’elle admire) et première réalisatrice à présider le jury cannois en 2014. Cette même année où elle prend le temps de défendre sur La Croisette le livre que vient alors de lui consacrer Michel Ciment, Jane Campion par Jane Campion (éd. Cahiers du Cinéma), et affirme lors de sa présentation que ses “films naissent d’une idée, d’une énergie, d’un besoin fort, qui parfois ne figureront pas dans le montage final”, mais admet aussi : “J’aime que l’art me dépasse, me submerge, qu’il me prenne comme ça, sans que je comprenne forcément pourquoi.”

LE CINEMA COMME SACERDOCE
C’est déjà diplômée d’anthropologie et de peinture, art pour lequel elle ne se sent pas vraiment douée, que Jane Campion se tourne vers le cinéma à l’orée des années 1980 en Australie. Elle signe par la suite une série de courts métrages qui posent les bases de sa vision du monde. Après Tissues (1980), qu’elle tourne en Super 8, et le succès international de Peel, exercice de discipline (1983), elle enchaîne avec Histoire de jeune fille, Mishaps of Seduction and Conquest (1984), Passionless Moments, After Hours (1985), puis un épisode de la série Dancing Daze (1986). Autant d’histoires de femmes qu’elle raconte d’un point de vue singulier : le sien. À l’occasion, elle apparaît aux côtés de sa mère Edith dans le court métrage de sa sœur Anna, The Audition (1989), l’année où elle passe elle-même au long avec Sweetie. Décidément, dans la famille Campion, ces dames ont la fièvre dans le sang.

“Tourner un film, pour moi, fait appel à une énergie plus profonde que ma pensée, a déclaré Jane Campion à Véronique Le Bris du site Cine-woman en 2018. Il sort de mon corps, pas de ma tête.” Tel est peut-être le secret le mieux gardé de cette cinéaste qui progresse à un rythme plutôt lent, mais ne tourne jamais à vide. C’est pour prendre du recul et s’occuper de sa fille qu’elle laisse s’écouler six années entre In the Cut et Bright Star, ponctuées il est vrai par deux courts métrages, car ce retour à la brièveté “permet -d’abandonner ses propres automatismes” : Le journal de l’eau (2006) et The Lady Bug (2007), sa contribution au film collectif Chacun son cinéma initié par Gilles Jacob, qui aime à l’appeler “Dame Jane”. Elle considère son métier comme un sacerdoce à tel point qu’il lui arrive de se rendre, pour écrire, dans un refuge perdu en pleine nature sur l’île du Sud en Nouvelle-Zélande, décor de Top of the Lake. Quant à sa conception de l’existence, elle l’a livrée en décembre 2015 à Violaine Binet de L’Express : “Ma vie se déroule devant moi comme la route défile quand je suis au volant de ma voiture. À l’occasion, je me retourne pour constater que le voyage a été long. C’est rare. En règle générale, mes yeux restent fixés sur l’horizon.” ❖

Jean-Philippe Guérand
© crédit photo : Christophel


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