Cinéma

Lumière MIFC 2017 - Focus sur le marché du patrimoine en Grèce, Hongrie et Lettonie

Date de publication : 19/10/2017 - 08:32

Inaugurant, ce mercredi 18 octobre, un nouveau rendez-vous destiné à esquisser les perspectives de marché pour le cinéma classique dans les autres territoires du continent, le MIFC s’est penché sur les cas grec, hongrois et letton, tous trois en développement.

Animé par le toujours sémillant Anthony Bobeau, ce nouveau rendez-vous, baptisé Panorama Européen, s’est ouvert sur une intervention de Matteo Zacchetti, Dg de l’unité Connect de la Commission européenne, représentant Media-Europe Créative. Un programme qui n’avait, jusqu’ici, "aucun dispositif spécifiquement adapté aux films de patrimoine. Mais nous nous activons désormais pour mieux comprendre ce secteur et améliorer les synergies avec notre programme".

À ce titre, la Commission européenne peut se reposer sur plusieurs travaux récents édités par l’Observatoire européen de l’audiovisuel, dont The Exploitation of Film Heritage Works in the Digital Era (Exploitation des travaux sur le cinéma de patrimoine à l’ère du digital), paru en septembre 2016, ou encore The Access to Film Works in the Collections of Film Heritage Institutions in the Context of Education and Research (Accès au matériel filmique des collections des institutions de cinéma de patrimoine dans un contexte éducationnel ou de recherche), publié en mai.

"Le cinéma de patrimoine doit faire face aux mêmes challenges que les films frais en Europe, a pointé Matteo Zacchetti. Tout en devant supporter une charge économique supplémentaire pour l’exploitation des œuvres." Et le haut fonctionnaire de préciser que la Commission européenne travaille à organiser une initiative globale ainsi qu’un événement avec le Festival Lumière pour "célébrer le patrimoine culturel européen".

En Grèce, tout est à faire

Abordant ensuite le cas de la Grèce, la parole fut donnée à Spyros Damianakis, distributeur et Dg de NEO Films, Konstantinos Aivaliotis, responsable de la promotion et de la distribution au Greek Film Centre, et Laëtitia Kulyk, attachée de coopération audiovisuelle auprès de l’Ambassade de France en Grèce et directrice du Festival du film francophone de Grèce depuis 2015. L’occasion de se pencher sur un marché encore obscur, qui tend vers une structuration mais sans bases économiques ni statistiques claires.

Dans ce contexte, "la situation par rapport aux films de patrimoine est compliquée, a jugé Laëtita Kulyk. Le secteur se portait bien voilà 20 à 30 ans comparé à la moyenne européenne, mais a connu une chute importante depuis plusieurs années." En cause, l’absence d’une institution centrale et un maillage faible (une majorité des salles concentrées à Athènes) qui fonctionne selon un rythme saisonnier peu flexible (les salles ouvrent exclusivement soit en hiver, soit en été, selon leur spécialité).

"La numérisation a énormément changé la donne", a précisé la panéliste, constatant "un marché saturé en offre", qui accueille entre huit et dix films par semaine, avec des pics à 15, pour une population de moins de 11 millions de résidents. Ce qui provoque des phénomènes de rotation exacerbée et de concentration des entrées sur des titres porteurs et très événementiels, en grande majorité américains. La présentation a aussi pointé les conséquences de la crise économique qui, conjuguée à un billet moyen à 7 €, la concurrence de festivals en plein air gratuits ainsi que l’absence totale d’éducation à l’image, ne favorise pas le cinéma comme choix prioritaire de divertissement, 

"Pas de politique globale"

En termes structurels, le cinéma de patrimoine souffre donc d’une multiplication des organismes institutionnels, ce qui "ne favorise aucunement la mise en place d’une politique globale de préservation du patrimoine", souligne Konstantinos Aivaliotis. Le territoire compte ainsi deux organismes, la Cinémathèque nationale et le Centre du cinéma grec, ainsi que trois fondations privées qui concentrent les droits de nombreux grands réalisateurs locaux, soit autant de stratégies, de méthodes et de pratiques en termes d’archives et d’exploitation du patrimoine. "Nous devons nous concentrer sur l’ouverture d’un dialogue entre tous ces acteurs, afin de parvenir à agir de concert."
D’autant que cette multiplication des acteurs complique et limite les process de restauration, mais aussi les formats et la recherche des droits. "Il n’est souvent pas clair de savoir qui a les droits des films", a expliqué Konstatinos Aivaliotis.

La situation de la diffusion cinéma classique n’est pas à envier. NEO Films a distribué cette année Le grand bleu de Luc Besson et Sur les quais d’Elia Kazan, et a dû principalement se concentrer sur les cinémas estivaux, et quasi exclusivement sur le parc athénien. La situation de l’audiovisuel public mais également la fermeture des chaînes privées font que les distributeurs ne s’engagent en général que sur les droits salle, qu’ils ne conservent que quelques mois au regard de la rotation accélérée des films. "Dans un marché saturé, il est compliqué de monter des événements et d’attirer l’attention des médias autour de films classiques", a détaillé Spyros Damianakis.

En outre, le marché de la VàD/SVàD étant encore très récent dans le pays – Netflix n’y a ouvert son service qu’en 2016 –, ce canal de diffusion n’est pas privilégié. De même, les usages de la population, et notamment des plus jeunes qui privilégient le piratage ou encore les plateformes de streaming gratuites type YouTube, ne sont pas adaptés.

La Hongrie en pleine structuration

Côté Hongrois, seuls deux à trois distributeurs alimentent en cinéma classique un parc de 200 cinémas et 322 écrans, pour une population de 9,8 millions d’habitants. Parmi ces structures, Clavis Films, représentée à cette table ronde par son directeur, Simon Shandor. Le pays est en pleine transition structurelle quant à son patrimoine cinématographique. Les archives du film hongroises ont ainsi été intégrées en 2017 au Fonds national hongrois du film, incarné sur place par sa Dg, Agnes Havas. Cette institution héberge également une activité de laboratoire, et regroupe 217 000 bobines pour 72 000 titres.

"Cette stratégie est partie du constat récent que les Hongrois doivent connaître leur patrimoine cinématographique", a statué Agnes Havas. Le pays a ainsi également initié cette année un plan de restauration et de numérisation sur dix ans, articulé autour du Fonds national et des synergies de ces pôles d’activité, sur un rythme de 15 films de patrimoine restaurés et numérisés en 4K par an. Un plan dont l’enveloppe annuelle s’élève à 2,9 M€, dont 1 M€ dédiés à la restauration et numérisation.

L’institution gère également les droits de distribution de 600 titres, ce qui lui rapporte une ressource supplémentaire. "Tous les droits des films ainsi restaurés et numérisés reviennent aux archives. Aussi, 50% des revenus d’exploitation de nos films soutenus son reversés au Fonds national."

Côté diffusion, la distribution en salle semble particulièrement dépendante de l’activité des institutions. "Notre stratégie aujourd’hui est très liée au travail institutionnel, ce qui permet de lier chaque sortie à un événement, a expliqué Simon Shandor. Mais souvent, les plus importants films de patrimoine sont bons pour un suivi dans le circuit d’exploitation traditionnel." La distribution, qui concerne huit à dix titres classiques par an, s’appuie surtout sur un réseau rural de ciné-clubs et de circuits itinérants. "Les multiplexes ne sont pas intéressés par le cinéma de patrimoine", a poursuivi le distributeur.

Reste un souci d’éducation du public. "Nous devons former notre audience, a précisé Agnes Havas. Nous avons lancé un festival dédié aux films classiques en novembre, qui accueille en outre chaque année 300 étudiants, et dégagé des moyens pour la promotion afin d’accroître l'intérrêt du public."

La Lettonie en quête de réappropriation

La situation lettone pourrait être déclinée dans la plupart des pays d’Europe de l’Est. "Notre pays n’a pas un important patrimoine cinématographique, a expliqué Dita Rietuma, directrice du Centre national du film de Lettonie. Les plus grands films ont été réalisés durant la période soviétique, entre 1945 et 1990." Soit 300 métrages et 700 documentaires selon la panéliste, qui soulève donc un grave soucis d’accès. "Comme les productions étaient alors centralisées à Moscou, tous les négatifs et matériels sont encore majoritairement stockés là-bas. Et la Russie refuse de les céder, nous devons donc les achetés auprès des archives russes."

Le territoire a toutefois saisi les enjeux patrimoniaux autour du cinéma et a lancé un plan en ce sens en 2008. Plusieurs œuvres nationales ont ainsi pu être rapatriées, restaurées et numérisées, notamment grâce au soutien européen. "Nous sommes globalement dépendants des aides de l’Union européenne en la matière." Cette campagne a permis notamment de préserver et revaloriser la filmographie de grands cinéastes lettons, tels Jānis Streičs ou Rolands Kalniņš. Aussi, entre 2017 et 2018, ce sont dix nouveaux titres patrimoniaux qui seront restaurés et numérisés.

En outre, en termes de préservation, le Centre du film s’est rapproché des archives nationales lettones pour un grand inventaire permettant de rapprocher plus de 19 000 pièces et documents cinématographiques des œuvres nationales – pièces qui doivent toutefois être numérisées pour une exploitation éventuelle.

Une éducation à refaire

"Nous devons encore construire un public", a constaté Dita Rietuma, abordant la question de la diffusion. "Actuellement, une sortie en salle est quasi impossible, notre marché est trop petit." La Lettonie compte ainsi 2 millions de résidents. "Les droits d’exploitation sont trop chers pour pouvoir élaborer, de nos jours, un modèle économique viable", a-t-elle poursuivi, tout en précisant toutefois des opportunités "dans les festivals et des événements institutionnels, qui forment le seul marché pour les films classiques". Petite particularité également : "Du fait de la fermeture soviétique, la plupart des grands classiques étrangers, tels Casablanca ou encore les films d’Alfred Hitchcock, n’ont jamais été vus sur grand écran en Lettonie."

C’est ainsi toute une éducation à refaire auquel s’attaque l’institution lettone. "La demande de films de patrimoine est marginale voire inexistante. Car les gens ne peuvent vouloir ce qu’ils ne connaissent pas ! En outre, les plateformes digitales n’achètent pas, du fait du peu de clicks et de vues sur ces titres-là."

Sylvain Devarieux
© crédit photo : DR


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