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Cinéma

Lumière 2017 - Wong Kar-wai dans la lumière

Date de publication : 19/10/2017 - 08:30

Le Festival Lumière programme l’intégralité de ses films (dont les premiers ressortent en salle chez ARP Sélection), l’avant-première mondiale de la copie restaurée de In the Mood for Love, dix films chinois récents de son choix, une masterclass et la remise du prix Lumière, le 20 octobre, en compagnie du chef opérateur Christopher Doyle.

Longtemps, Hong Kong a constitué le bras armé du cinéma chinois à travers un genre roi, les films d’arts martiaux, et une société de production célèbre dans le monde entier, la Shaw Brothers, dont des dissidents feront sécession en 1970, en fondant la Golden Harvest, laquelle propulsera tour à tour en haut de ­l’affiche deux icônes majeures : Bruce Lee et Jackie Chan. Cette industrie en arrivera même à se situer, en termes de volume, juste derrière Hollywood et Bollywood, tout en dominant l’industrie du Sud-Est asiatique.

C’est en 1968, à l’âge de cinq ans, que le petit Wong quitte Shanghai pour Hong Kong, en compagnie de sa mère. La fermeture des frontières consécutive à la révolution culturelle empêche son père, sa sœur et son frère aînés de les y rejoindre. Dès lors, faute de pratiquer le cantonais, il grandit en solitaire et se réfugie dans les salles obscures où il va apprendre la vie sur celluloïd, avant de se consacrer au dessin puis à l’écriture.

La rétrocession du territoire à la Chine, en 1997, au terme d’un siècle et demi de domination britannique, intervient au moment même où règne une crise endémique et où ses talents les plus emblématiques commencent à ­succomber au chant des sirènes hollywoodiennes, à l’instar du réalisateur culte John Woo ou des acteurs Chow Yun-fat et Michelle Yeoh.

Simultanément, affleure ce qu’on appellera la deuxième vague hongkongaise dont Wong Kar-wai s’impose comme le chef de file, à travers des chroniques générationnelles aux images chocs. Son premier long métrage, As Tears Goes By (1988), scelle une collaboration de 30 ans avec le directeur artistique William Chang. Suit Nos années sauvages (1990), parfois comparé à La fureur de vivre de Nicholas Ray, dont il a affirmé dans une interview à Bomb avoir "emprunté l’esthétique énergétique et fragmentée à la chaîne musicale MTV, en réaction à l’usage du ralenti popularisé par John Woo" – dont Le syndicat du crime (1986) venait de marquer les esprits. Malgré son échec commercial, ce film, qui marque la première collaboration du cinéaste avec le chef opérateur Christopher Doyle, lui rapporte, en 1991, les deux récompenses les plus prestigieuses du cinéma asiatique : le Golden Horse et l’équivalent hongkongais du César du meilleur réalisateur. Simultanément, il vaut à Carina Lau le prix d’interprétation féminine au Festival des 3 Continents de Nantes.

Après quatre ans de diète et d’efforts, Wong Kar-wai entreprend de porter à l’écran le plus gros succès de la littérature chinoise après le Petit livre rouge de Mao, La légende du héros chasseur d’aigles de Louis Cha, publié en 1957, pour lequel il réquisitionne une dizaine de stars chinoises parmi les plus populaires. Ironie du sort : c’est en profitant d’une pause de trois mois pendant le tournage de cette fresque d’arts martiaux ­baptisée Les cendres du temps, en 1994, qu’il réalise Chung­king Express et s’impose sur le plan international. Aux États-Unis, c’est un certain Quentin Tarantino qui distribue le film sous l’égide de sa société éphémère, Rolling Thunder. Wong Kar-wai enchaîne avec Les anges déchus (1995) et passe un nouveau cap avec Happy Together, une histoire d’amour homosexuel tournée en Argentine, en couleur et en noir et blanc, qui lui vaut le prix de la mise en scène à Cannes en 1997. Dès lors, la légende de cet ex-scénariste, qui travaille sans script (d’autres diraient sans filet) pour faire fi des contraintes, est en marche…

Un succès inattendu
L’an 2000 constitue une étape déterminante dans la ­carrière de Wong Kar-wai qui présente à Cannes In the Mood for Love. Aboutissement d’un tournage de 15 mois, dont la chronologie a été totalement déstruc­turée au montage, le film y reçoit deux trophées : le prix d’interprétation masculine pour Tony Leung, et celui de la Commission supérieure technique (CST) décerné à Christopher Doyle, Lee Ping Bin et William Chang pour la photo et les décors de cette romance inachevée qui rencontre un succès inattendu : près de 1,1 million de spectateurs en France et le César du meilleur film étranger. Reste désormais pour le réalisateur à gérer cet engouement.

Il choisit alors de tourner des courts et des spots publicitaires, afin de laisser retomber la pression et de prendre le temps de vivre. Ce n’est que quatre ans plus tard qu’il revient en compétition à Cannes, avec une parabole de science-fiction énigmatique : 2046. Encore un labeur de longue haleine, perturbé cette fois par l’épidémie de SRAS qui a ravagé le Sud-Est asiatique. Histoire d’entretenir le mythe, à la veille de la projection officielle, les rumeurs les plus folles circulent sur La Croisette où les bobines parviennent au compte-gouttes. Comme si le cinéaste ne lâchait son film qu’à contrecœur dans l’arène médiatique. Le fait est que ses effets spéciaux ne sont encore qu’esquissés et que la version présentée est loin d’être achevée. Lors de sa sortie française, cinq mois plus tard, le film capitalisera tout de même sur l’aura du précédent pour attirer 480 000 spectateurs.

Le regard du samouraï
Est-ce parce qu’il aime à comparer son métier de réalisateur à celui d’un chef cuisinier ? Wong Kar-wai se perd une nouvelle fois dans des travaux alimentaires et anecdo­tiques pour patienter jusqu’à son nouvel opus. Dans les marchés du film, son nom est régulièrement associé à un titre aux accents wellesiens, The Lady from Shanghai, et à une actrice consacrée, Nicole Kidman, qui finira par jeter l’éponge. Lorsqu’il revient en ouverture du Festival de Cannes, en mai 2007, c’est bel et bien avec un film américain, mais un autre projet : My Blueberry Nights qui a pour vedette la star country Norah Jones bien entourée par Jude Law, Natalie Portman et une autre chanteuse à la voix déchirante, Cat Power, dont la complainte The Greatest hante les images.

Six nouvelles années vont alors s’écouler jusqu’à The Grandmaster (2013), son septième long – avec Tony Leung dans le rôle d’Ip Man, le mentor de Bruce Lee, performance physique qui vaudra à l’acteur de se casser le bras à deux reprises – dont le tournage a débuté dès 2009. De ce film, qui vaudra une reconnaissance internationale au chef opérateur français Philippe Le Sourd et permettra à Wong Kar-wai d’obtenir son plus gros succès en Chine, le réalisateur avouera aux Inrocks : "Ce qui me rend heureux, c’est que je parle d’un monde perdu et que cela plaît."

Le prix Lumière 2017 vient couronner aujourd’hui un grand maître incontestable du cinéma asiatique, que la gloire a paradoxalement condamné à se faire de plus en plus rare et dont le credo pourrait se résumer à cette déclaration faite à Libération : "Tout est affaire de hasard, rien n’est destiné à l’avance." C’est sans doute là aussi le prix de l’exigence et du perfectionnisme de cet artiste timide qui n’ôte que rarement ses fameuses lunettes noires, et dont les montures ont été fabriquées dans un métal utilisé pour confectionner les sabres de samouraï. Une coquetterie qui lui ressemble bien.


La cuvée du patron
Comme le veut la tradition, outre dix longs et un court métrages qu’il a réalisés, ainsi que Wind (2016) de Tiong Guan Saw, et une conversation avec son chef opérateur Christopher Doyle, Wong Kar-wai profite de son passage à Lyon pour présenter un florilège de films chinois du troisième millénaire, pour la plupart inédits, reflètant la richesse et la diversité de sa cinéphilie, et l’attention vigilante et bienveillante qu’il porte à ses compatriotes.

Durian Durian (2000), le sixième film de Fruit Chan, a été présenté en compétition à Venise.
Infernal Affairs (2002) d’Andrew Lau et Alan Mak est le premier opus de la trilogie policière qui a inspiré Les infiltrés (2006) à Martin Scorsese.
Prix spécial du jury au Festival du film policier de Cognac, P.T.U. (2003) témoigne de la maestria du prolifique Johnnie To, stakhanoviste hongkongais du cinéma policier qui a produit et réalisé quelque 70 films, téléfilms et épisodes de séries TV en quatre décennies.
Crazy Fung-Fu (2004) est une pure comédie d’arts martiaux qui illustre la virtuosité de l’homme-orchestre Stephen Chow, tout à la fois auteur, réalisateur et acteur.
You Are the Apple of My Eye (2011) est le premier long de Giddens Ko, écrivain taiwanais prolifique aujourd’hui âgé de 39 ans.
Rigor Mortis (2013) a valu à l’acteur et producteur Juno Mak, dont c’était le premier film en tant que réalisateur, de multiples récompenses parmi lesquelles le prix spécial du jury du Festival du film fantastique de Gérardmer.
Breakup Buddies (2014) est le septième long de Ning Hao, représentant du cinéma commercial chinois diplômé de l’École de cinéma de Pékin. Présenté en première mondiale à Toronto, ce film, dont le tournage a duré 90 jours, a rapporté 200 M$, pour un coût initial de 13 M$, et établi le record de fréquentation de cette année-là dans son pays d’origine.
Blind Massage (2014), Ours d’argent au Festival de Berlin, est le neuvième film de Lou Ye, représentant de la sixième génération du cinéma chinois dont Nuits d’ivresse printanière a obtenu le prix du meilleur scénario à Cannes en 2009.
The Master (2015) de Xu Haofeng témoigne de la passion pour les arts martiaux de ce diplômé en section réalisation de l’École de cinéma de Pékin, qui signe là son troisième long d’après son propre roman.
Le rire de Madame Lin (2017), quatrième long de Zhang Tao, est sorti en Chine en mai. Sophie Dulac distribuera en France, le 17 janvier 2018, cette coproduction franco-chinoise, entre Butong Pictures et House on Fire.

Jean-Philippe Guerand
© crédit photo :


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