Cinéma

Lumière MIFC 2018 - Sandra Den Hamer (Eye) : "L’Europe doit investir plus sérieusement dans la préservation du patrimoine"

Date de publication : 16/10/2018 - 08:40

Grand témoin de la 6e édition du Marché international du film classique organisé par le Festival Lumière, et à quelques heures de sa keynote prévue ce mardi 16 octobre après-midi, la directrice du Eye Filmmuseum d’Amsterdam revient avec nous sur le travail institutionnel pour la préservation et la diffusion des œuvres.

Pouvez-vous nous présenter brièvement l’Eye Filmmuseum et sa collection ?
La collection de l’Eye Filmmuseum a été initiée dès 1946 après la fondation du Dutch Filmmuseum. Elle est reconnue pour son caractère à la fois international et artistique. Que ce soit dans les collections initiales, issues des collectionneurs de la Dutch Film Liga, ou dans celles qui ont été formées par mes prédécesseurs, l’accent a toujours été mis sur le cinéma d’auteur, allant d’Andrei Tarkovski à Reygadas par exemple, et les films expérimentaux, des tous premiers titres issus de la collection Desmet aux installations et œuvres contemporaines. Bien entendu, nous avons aussi pour mission de préserver les films financés avec le fonds public néerlandais, d’Ivens à Verhoeven.

Eye est impliqué dans un vaste projet de numérisation d’œuvres, Images for the Future, lancé avec quatre autres organisations pour la préservation du patrimoine cinématographique néerlandais. Où en est-il ?
Ce projet a été mis en place entre 2007 et 2012, et nous sommes déjà six ans après son lancement. Depuis, nous avons intégré une véritable chaîne de travail en matière de numérisation pour notre collection. À ce jour, environ 20% de cette dernière est numérisée. Au total, nous comptons 50 000 titres dans cette collection, 60% d’entre eux étant internationaux.

Ce type de collaboration entre institutions est-il incontournable pour assurer la préservation d’un patrimoine cinématographique ?
Tout à fait. Au niveau national, le niveau de coopération que nous avons atteint avec des partenaires comme les archives nationales, l’Institut du Son et de l’Image (les archives télévisuelles) et la Bibliothèque royale est très pertinent. Tout d’abord, parce que le fait de collaborer avec des institutions focalisées sur d’autres champs d’expertise nous ont crédibilisé auprès du gouvernement hollandais. Ensuite, nous suivons un volume important d’œuvres et nous partageons les mêmes questionnements et enjeux. Nous joignons donc nos forces dans la recherche, les interventions comme, par exemple, les vastes projets de numérisation, ou encore dans des manifestations communes.
Et nous apprenons aussi de nos échecs à chacun. Au début de notre projet de numérisation, nous pensions qu’il fallait tout numériser, intégralement et très rapidement. Un empressement mal avisé. Aujourd’hui, nous suivons une approche plus mesurée, par phases. Cela est aussi dû au fait que les standards et formats numériques évoluent sans cesse, et que le travail engagé pour les suivre demande beaucoup d’investissements, tant financiers qu’humains. Bien entendu, il faut "prioriser" le patrimoine menacé par les ravages du temps (comme le syndrome du vinaigre), mais pour le reste, nous numérisons à la demande, en fonction des événements, comme les projections ou les projets de diffusion en ligne. Et si l’accès aux œuvres n’est pas nécessaire, nous les gardons en pellicules, bien au chaud dans nos coffres tempérés.

Quel type de collaborations et de projets communs mettez-vous en place au sein d’organisations internationales comme ACE, qui œuvre pour renforcer la visibilité du cinéma de patrimoine ?
Au niveau européen, nous devons absolument travailler pour faciliter un accès plus large au patrimoine cinématographique. Mais cela passe par une réelle prise de conscience des instances dirigeantes, comme la Commission européenne. Nous avons besoin d’investir plus sérieusement dans la préservation de notre héritage. La plupart des soutiens du programme Europe Créative sont concentrés sur la production et la distribution de films nouveaux. Il faut plus de programmes pour soutenir les films de patrimoine. Ici, aux Pays-bas, nous avons cette chance d’avoir des projets comme Images of the Future, qui incarnent le large soutien du gouvernement pour la numérisation des œuvres, et pour travailler sur une infrastructure digitale nationale – le chemin est certes encore long pour ce dernier projet. Et, bien sûr, des territoires comme la France, le Royaume-Uni ou l’Allemagne ont des politiques de numérisation pertinentes. Mais il faut développer des programmes de ce type dans d’autres pays du continent. L’enjeu de la numérisation n’est pas seulement de permettre à ce patrimoine d’être visionné au XXIe siècle, nous devons aussi parler de droits, d’accès à la culture et d’éducation. Et nous devons surtout œuvrer au niveau international pour éduquer et former le public. Sur le plan européen, nous travaillons déjà sur des projets communs très pertinents dans ce sens, avec la Cineteca de Bologna, la Cinémathèque royale de Belgique, le Deutsches Filmmuseum de Francfort et d’autres. Je peux vous citer l’exemple de Flick (plateforme et ciné-club européen destinés aux enfants, Ndlr).

En 2019, la conférence internationale annuelle de Eye sera consacrée au panel biennal Women and the Silent Screen, quels sont les enjeux de ce programme ?
Il se focalise sur la présence féminine dans les premières décennies de l’histoire du cinéma. Après une première édition à Utrecht en 1999, la conférence Women and the Silent Screen revient aux Pays-BaS pour son 20e anniversaire. La thématique de cette 10e édition est Sisters, à prendre aussi bien au sens propre que figuré à travers de nombreux angles aussi théoriques qu’historiques. Pour sa part, la conférence internationale Eye, tenue annuellement, explore les débats et questionnements autant patrimoniaux qu’académiques. Elle réunit des professionnels du patrimoine cinématographique, des universitaires, des chercheurs, des archivistes, des conservateurs et restaurateurs, autour de nombreux échanges et projections spéciales de films restaurés.

Comment considérez-vous le marché français en termes d’exploitation des œuvres de patrimoine ?
Vous avez de nombreuses initiatives intéressantes desquelles on pourrait apprendre, comme LaCinetek. De manière plus générale, nous devrions stimuler la distribution européenne de films européens par-delà les frontières. Parfois, je me dis personnellement que nous pourrions produire un petit peu moins et se focaliser un petit peu plus sur les films déjà produits. Après tout, le patrimoine de demain est formé par les œuvres d’aujourd’hui.

Propos recueillis par Sylvain Devarieux
© crédit photo : Eye Film Institute


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