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Cinéma

Cannes 2022 – Lionel Baïer, réalisateur de "La dérive des continents (au Sud)" : "Les glaces italiennes viennent à bout de tous les déplaisirs"

Date de publication : 22/05/2022 - 10:07

Sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs, ce nouveau film du cinéaste suisse constitue le troisième volet d’une tétralogie caustique et sentimentale sur la construction européenne.

Comment vous viennent en général les idées de film ?
C’est une succession d’événements dans ma vie ou dans celles des autres que j’observe. J’écris tout dans des carnets, puis ensuite, les choses s’agglomèrent les unes aux autres.
 
Quel est le point de départ de La dérive des continents (au sud) ?
L’idée part d’une situation familiale personnelle. Mais aussi du récit des retrouvailles entre un père absent et sa fille qui m’ont été racontées. J’ai également eu l’occasion de visiter des camps de migrants en Grèce. Et de voir comment les médias mettent en scène cette actualité-là. J’avais l’impression d’assister à un film de Fellini. Il y avait l’envie de raconter l’envers du décor, comment le réel doit être organisé pour qu’il nous soit lisible. L’histoire de notre continent, c’est une histoire de famille dysfonctionnelle. Marina de Van et Julien Bouissoux ont été de valeureux consultants. Laurent Larivière a été mon compagnon de route. Le scénario lui doit beaucoup.
 
Comment présentez-vous le film en quelques mots ?
Une comédie à l’italienne faite par un Suisse racontant le désordre du couple franco-allemand au milieu d’une famille européenne en pagaille à laquelle ses enfants demandent des comptes en pleine crise migratoire!
 
C’est bien le troisième volet de votre « tétralogie caustique et sentimentale » sur la construction européenne. Il ne manque plus que le nord ?
Oui, « Keek (au nord) » se déroulera en Ecosse. On y parlera dissociation. Mais ce n’est pas pour tout de suite. Peut-être que cette nation sera devenue un pays autonome….
 
Votre film a été difficile à financer ?
Oui, la conjonction comédie-camp de migrants n’était pas facile à vendre. Pourtant, je crois que seuls les sujets graves se prêtent à ce genre. Et puis, l’actualité ne cessait de nous rattraper. Il y a eu la crise migratoire, puis le Brexit, puis le Covid etc…IL a fallu être patient. De manière générale, la « comédie d’auteur » bien que je n’aime pas ce terme, est toujours difficile à financer.
 
Vous avez créé votre propre société Bandita Films, elle-même issue d’un rapprochement. Maîtriser l’ensemble du processus c’est important à vos yeux ?
Je ne sais pas si je le maitrise, mais je veux le comprendre. Il m’est arrivé de faire des films pour moins d’un demi-million d’euros où j’étais très riche. Et des films plus chers où je me sentais très pauvre.  Je veux savoir pourquoi. Quand on établit un budget, un plan de financement, on fait déjà de la direction d’acteur, du découpage de la décoration. Et quand on accompagne le film en salle, qu’on parle aux caissiers, aux projectionnistes, qu’on regarde les chiffres des entrées dans Le Film Français, on prépare déjà le film suivant .
 
Où et quand avez-vous tourné ?
Nous avons tourné en Sicile, à Catane et dans la région de Ragusa. A Gibellina aussi. En Suisse en studio. Josée Deshaies, la cheffe opératrice et moi, avons cherché des lieux qui proposaient des variations de formes. Du dur qui s’oppose à du mou, de l’organisé face à du sauvage. Ensuite, je me suis beaucoup inspiré du travail de Félix Vallotton pour les couleurs. J’ai parfois décliné des tableaux en décor. Mais je dois dire qu’en Sicile, il faut plutôt essayer de se restreindre, de ne pas tomber dans l’exotisme facile. Tout y est tellement dramatique beau.
 
Comment avez-vous choisi vos interprètes ?
C’est mon amie Ursula Meier qui m’a dit: tu dois rencontrer Isabelle Carré. Comme je suis un garçon obéissant, je me suis exécuté. Elle avait raison. Isabelle m’a permis de faire des choses que je n’aurais pas osé écrire pour quelqu’un d’autres, de peur de rendre le personnage définitivement antipathique. Mais elle, elle sait comment déplacer ce que j’appelle les misères du personnage pour en faire des qualités. Isabelle Carré, c’est aussi une force de la nature qui a l’élégance de vous faire croire que vous lui êtes indispensable. Théodore Pellerin, je l’avais vu dans Genèse. Alors quand Youna de Peretti, qui a fait le casting du film, m’a parlé de lui, j’ai tout de suite voulu le rencontrer. C’est un grand acteur parce qu’une énigme. J’avais déjà travaillé avec Ursina Lardi (Prénom: Mathieu) et Ivan Georgiev (La Vanité). Quant à Tom Villa, son insolence et sa fausse innocence me faisaient beaucoup rire chez Thierry Ardisson. Je me suis dit qu’il incarnerait parfaitement le porte-parole de la Start-Up Nation, décomplexée et sans sur-moi.
 
Vous avez mis au point une méthode de travail particulière ?
Je mange une grenade tous les matins et je change de cravate et de chemise chaque jour. Sinon, je ne répète jamais et je suis ma propre script girl.
 
Des difficultés particulières pendant le tournage ?
Isabelle Carré répétait son texte en chinois chaque jour à haute voix, de quoi devenir fou. Mais cela en valait la peine.  Il faisait 45 degré sur le plateau, ce qui n’avait pas l’air de poser de problèmes aux Italiens. Pour les Québécois, les Français, les Allemands, les Suisses et les Polonais, un peu quand même…. Mais on a fait venir un camion de glace à la pistache sur le plateau. C’est vrai ce qui est dit dans le film "les glaces italiennes viennent à bout de tous les déplaisirs".
 
Le film a été terminé quand ?
Nous avons fini de tourner en juillet 2021. Le mixage s’est déroulé en mars dernier.
 
Qu’attendez-vous de cette sélection à la Quinzaine des réalisateurs ?
Voir le film avec le public, donc le voir vraiment, en dehors de moi, et entendre ce qu’il raconte pour la première fois.
 
Cannes c’est un bel endroit pour révéler un film ?
Oui. Surtout cette quinzaine-ci, entouré des films de mes amis Alice Winocour, Joâo Pedro Rodrigues ou Thomas Salvador.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Ulysse del Drago


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