Cinéma

Cannes 2022 – Andrés Ramírez Pulido, réalisateur de "La Jauria" : "J’ai voulu m'éloigner du film latino-américain attendu, 'naturaliste et social'"

Date de publication : 25/05/2022 - 09:45

Sélectionné par la Semaine de la Critique, ce premier film de son auteur propose une réflexion sur une génération perdue qui tente de renouer avec la lumière.

Pouvez-vous nous parler un peu de votre carrière de réalisateur ?
Après l'école de cinéma - Université nationale de Colombie - j'ai travaillé pendant deux ans comme assistant réalisateur sur quelques longs métrages et dans la publicité. Cette étape m'a permis de découvrir quel genre de cinéma je ne voulais pas faire ou, du moins, quelles voies je ne voulais pas emprunter en tant que futur réalisateur. J'ai décidé, comme un acte de foi, de me consacrer à plein temps à mes projets. Dans le premier d'entre eux, El Edén, qui a été présenté en première mondiale en 2016 à la Berlinale, j'ai mélangé l'univers rural et juvénile de la ville dans laquelle j'avais récemment déménagé (Ibagué dans la province de Tolima) avec des préoccupations que je portais dans mon inconscient depuis l’adolescence. Immergé dans cet univers, j'ai décidé un an plus tard de tourner Damiana, l'histoire d'une fille qui attend un geste d'amour de son père. Dans ces deux courts métrages, j'ai éprouvé des idées sur le scénario, la mise en scène, le hors champ, le regard sur l'autre et le travail avec les non-acteurs, qui m'intéressent toujours en tant que réalisateur.
 
Comment présenter La Jauria en quelques mots ?
La Jauria est l'histoire d'un adolescent et de toute une génération qui entretient une relation de haine et de mort avec son père, une génération abandonnée qui, sans s'en rendre compte, s'inscrit dans un cercle de violence héritée. C'est aussi un voyage vers la lumière, une rencontre avec l'invisible.
 
Comment avez-vous eu l'idée de faire un film sur ces adolescents et cet endroit ?
Pendant le casting de El Edén, j'ai rencontré environ 300 adolescents aux réalités uniques et surprenantes. Mon attention s'est principalement portée sur un groupe de mineurs détenus dans la zone rurale d'Ibagué. Ces adolescents purgent des peines pour différents crimes et d'autres suivent un traitement de réhabilitation pour la consommation de substances psychoactives. J'ai découvert que nombre de leurs craintes, de leurs luttes et de leurs rêves étaient similaires aux miens : une enfance marquée par l'abandon, l'hostilité et la désolation. Une chose m'a encore plus frappé : le profond ressentiment que la plupart de ces enfants éprouvent envers leur figure paternelle. Le lieu hostile où sont détenus ces enfants et la rencontre avec certains d'entre eux, qui deviendront plus tard mes amis, m'ont conduit à écrire La Jauría. Leurs histoires - certaines surnaturelles -, certaines de vie et d'autres de mort, leurs personnalités, leurs corps et leurs visages ont été insérés d'une manière ou d'une autre dans le scénario, puis dans le film.
 
Avez-vous écrit le film seul ?
Oui, j'ai écrit le film seul, mais des amis et des lecteurs m'ont accompagné tout au long du chemin. J'ai écrit la première version du scénario très rapidement, en un mois, et j'ai réussi à obtenir un financement qui m'a permis de me consacrer entièrement au renforcement du scénario. Ce fut un processus long mais enrichissant. La Jauría est vraiment lié à mes deux précédents courts métrages El Eden (Berlinale) et Damiana (Cannes). Ces trois films sont basés sur une préoccupation personnelle que j'ai réussi à clarifier au travers de l'écriture et de la réalisation : l'importance de la figure paternelle dans l'enfance et l'adolescence. Je pense que les personnes qui ont vu mes courts métrages apprécieront davantage le film, ils y verront des similitudes et, je pense, une certaine évolution.
 
Vous avez votre propre société de production depuis le début. Le processus de mise en production de La Jauría a-t-il été long ?
C'est exact, ma société de production s'appelle Valiente Gracia, elle est dirigée par Johana, ma femme, une artiste visuelle, et moi-même, le réalisateur. Je dis que c'est une société de production sans producteur (rires). Il a été important d'être également le producteur de mes films. Je suis très engagé dans tous les processus du film, je ne pense pas que j'aurais pu le faire autrement. J'ai rencontré mes partenaires français en 2017 à Cannes lorsque j'ai présenté Damiana. J'étais encore en train de développer le script de La Jauria. Nous avons rapidement établi une confiance mutuelle et le désir de travailler ensemble. Dès que nous avons dit oui, ils ont continué à développer avec moi un scénario suffisamment solide pour rechercher un financement. Valiente Gracia a reçu le soutien à la production de la FDC (le CNC colombien) et Lou Chicoteau et Jean-Etienne Brat, par le biais d'Alta Rocca Films en France, ont décroché la Fondation GAN comme premier guichet français, puis Pyramide pour la distribution française et les ventes internationales. Le soutien du CNC via Aides aux Cinémas du Monde est arrivé en dernier, avec le montant maximum. Malgré ces soutiens prestigieux, le travail fut difficile et les deux parties ont dû s’engager pleinement. Jean-Etienne et Lou sont venus en Colombie pendant deux mois et demi pour préparer le film, et ont organisé toute la post-production à Paris avec des techniciens français.                                                                                          
 
Comment avez-vous choisi vos interprètes ? Tous des amateurs ?
Nous avons fait beaucoup de casting dans les quartiers et les zones où nous pensions trouver les enfants qui pourraient jouer dans le film. Nous avons vu environ 2500 adolescents. Je considère que cette étape du casting est d'une importance vitale. Cela passe par un travail très intuitif d'observation de la relation à l'autre. Il faut savoir trouver la lumière là où les autres ne la voient peut-être pas. Je pense que c'est ce que j'ai trouvé en Johan, le garçon qui joue Eliu, le personnage principal du film.
 
Où et quand avez-vous tourné ?
Nous avons tourné à Ibagué (Tolima), une ville intermédiaire de Colombie, au cours du dernier trimestre de l'année dernière. Le tournage a été difficile en raison de la météo mais aussi de l'histoire ; certaines scènes ont constitué un grand défi pour la production en raison des choix de mise en scène mais aussi des attentions que nous voulions porter aux enfants.
 
Des intentions de mise en scène ?
J'ai décidé de créer une pure fiction, avec une certaine intemporalité et difficilement localisable géographiquement en Colombie, laissant également hors champ tout le contexte politique et social déjà connu de mon pays. L'idée centrale est que l'histoire de ce garçon luttant contre la culpabilité serait suffisamment forte pour connecter le spectateur avec sa propre humanité. Mon intention, en tant que réalisateur ,était de transcender et de m'éloigner du film latino-américain attendu "naturaliste, social..." et d'essayer de construire une histoire fictive, avec certaines connotations de film de genre, avec des jeunes, dans des paysages qui transpirent une réalité indéniable.
 
Quand le film a-t-il été terminé ?
Nous avions un calendrier et un budget très serrés. Je n'ai pas eu de repos entre le tournage et la post-production. Nous avons terminé le mixage du son et d'autres détails, juste avant Cannes.
 
Qu'attendez-vous de cette sélection à la Semaine de la Critique après être déjà venu à Cannes ?
Je suis très heureux de cette sélection, elle est très importante pour ma carrière de réalisateur. Au nom de toute l’équipe, je dirai que nous ne pouvions pas avoir un meilleur lieu de première présentation pour notre premier film. J'espère qu’il brillera, mais je suis tout aussi enthousiaste à propos de l’ensemble des films sélectionnés. La Semaine de la Critique est une section très chère aux nouveaux réalisateurs tels que moi.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR


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