Cinéma

Lumière MIFC 2022 - Sabrina Joutard (SCFP) : "Toute la chaîne de conservation du film doit être repensée"

Date de publication : 20/10/2022 - 08:10

 Sabrina Joutard, présidente du Syndicat des catalogues de films de patrimoine (SCFP), dresse un état des lieux et fixe les enjeux majeux des cataloguistes.

Quels sont aujourd'hui les chantiers majeurs pour le SCFP aujourd'hui ?
 
Aujourd’hui, les chantiers prioritaires du SCFP sont la restauration et la conservation des films ainsi que la transmission des films, notamment auprès des jeunes publics.
 
Nous menons ces combats depuis notre création en 2019. Le SCFP est né de la prise de conscience de cataloguistes qu’il y avait urgence à préserver et défendre les intérêts et le rayonnement du patrimoine cinématographique français.
 
Le SCFP comprend à ce jour onze membres, qui reflète la diversité du secteur producteurs historiques (Gaumont, Pathé Films), filiales de groupes audiovisuels (SND, Studiocanal, TF1 Studio) et sociétés indépendantes (Argos Films, Les Films du Jeudi, Les Films du Losange, Lobster Films, Les Productions Jacques Roitfeld, Société Cinématographique Lyre). Avec pas moins de 10 000 œuvres, dont 2 000 restaurées depuis 2012 (dont une grande partie sans l’aide des pouvoirs publics), le SCFP représente près 80% des œuvres de patrimoine du cinéma français.
 
Depuis sa création, le SCFP a participé à tous les débats publics sur le maintien des aides à la restauration, le décret SMAD, la transposition de la directive droits d’auteur, la loi sur la protection des catalogues… Il se positionne comme un interlocuteur représentatif de l’ensemble des sujets ayant trait au cinéma de patrimoine, et entend proposer des solutions concrètes et pérennes pour permettre aux œuvres cinématographiques de patrimoine de retrouver la place qu’elles méritent auprès du public, tant en France qu’à l’international, où le prestige et la souveraineté du patrimoine cinématographique français ne doivent jamais cesser d’être défendus.
 
Mais le SCFP c’est aussi le partenaire d’événements éditoriaux comme le festival Play It Again de l’ADRC que nous accompagnons depuis deux éditions.
La conservation des œuvres apparaît comme un enjeu crucial aujourd'hui. Quelles sont vos attentes vis-à-vis des pouvoirs publics ?

Nous avons été surpris de constater que la conservation a été complètement occultée par les pouvoirs publics dans la nouvelle opération "France 2030". L’avenir des assets audiovisuels avait pourtant toute sa place dans ce débat sur les pôles audiovisuels d’excellence du futur.

Comme évoqué avec Dominique Boutonnat il y a un an, nous demandons en urgence la mise en place par le CNC d’une mission sur la conservation avec toutes les organisations professionnelles de la production et la Ficam.
 
Nous pensons que toute la chaîne de conservation du film doit être repensée : tri des fichiers au moment de la postproduction, intérêt du retour sur pellicule, nommage des fichiers, détermination des éléments à fabriquer pour la conservation et pour l’exploitation (évolution des standards de diffusion), choix du stock, nommage des éléments au moment de l’entrée en stock, sort des chutes et doubles… Depuis deux ans, nous alertons les pouvoirs publics sur ce sujet. Nous risquons de perdre définitivement des films si nous ne nous emparons pas urgemment du sujet.
 
Ouvrir le débat sur la conservation, c’est :
- parler du stockage des nitrates avec la nécessité de scanner en urgence certains nitrates décomposés,
- envisager de nouveaux lieux de stockage publics, le CNC étant au plein de ses capacités de stockage,
- évaluer le coût de la conservation numérique. Comment les catalogues peuvent-ils supporter plusieurs milliers d’euros de coût par film par an pour des films qui ne génèrent parfois peu de recettes, voire pas du tout ?
- analyser toutes les formes de stockage numérique, du support physique LTO au cloud
- faire un bilan des premiers contrats de stockage numérique demandés par le CNC depuis le 1er janvier 2018 pour avoir ses agréments. Les contrats d’une durée de 5 ans seront-ils renouvelés en 2023 ? Que deviennent les films sans contrat de stockage ?,
- faire état des pratiques non acceptables du marché comme la mainmise par les plateformes américaines sur le matériel des films et des séries pour le stocker à l’étranger.
 
Rappelons à tous qu’un catalogue sans matériel ne vaut rien. Les droits et le matériel sont un tous indissociables qui font la valeur d’une société.
 
Quel est l'impact de la hausse des coûts énergétiques sur la conservation ?

Pour le moment, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer l’impact sur le long terme de la crise énergétique sur les coûts de conservation. A court terme, nous sommes suspendus à certaines annonces. Par exemple, OVH, qui est l’un des plus gros hébergeurs français qui travaille sur certaines solutions de préservation, a déjà annoncé sur son fil twitter une hausse de 10% de ses tarifs à partir de novembre 2022. A noter que la crise énergétique n’est pas le seul facteur d’augmentation des coûts de conservation. Vous avez également l’inflation et la conversion euro/dollar.
Cette crise énergétique est à nuancer, suivant le type de conservation. Tous les films n’ont pas besoin de stockage chaud qui nécessite une énergie permanente dans les datacenters pour que les données soient immédiatement accessibles. Le stockage froid est plus adapté pour la conservation avec une mise à disposition des données moins rapide. Cette crise énergétique est aussi l’occasion d’introduire la green conservation dans le débat. Encore un sujet pour la future mission sur la conservation du CNC.
 
Il y a aujourd'hui un enjeu de souveraineté culturelle et protection des actifs comme les catalogues. L'essor des plateformes et la course aux œuvres constituent-ils une menace ou une opportunité pour les catalogues ?

Nous constatons depuis peu une prise de conscience salutaire : plusieurs voix dont celle du gouvernement ayant déclaré à plusieurs reprises que les catalogues étaient des actifs stratégiques. Ce que nous approuvons.

Pour autant, nous n’avons jamais été si peu aidés, accompagnés. Après de longues discussions avec le CNC, nous avons réussi à maintenir et pérenniser une enveloppe pour les aides à la restauration qui est aujourd’hui de 2,9 M€, ce qui est évidemment insuffisant pour mener une politique patrimoniale ambitieuse. Compte-tenu de cet enjeu, nous estimons que des moyens supplémentaires doivent accompagner cette direction volontaire.
 
Concernant les plateformes, leur essor, boosté aux confinements, est à la fois une menace et une opportunité :

Une menace parce que toutes les données montrent la prépondérance absolue et massive de la consommation de séries et de films originaux produits pour les plateformes. Le Top 100 des films originaux pèsent près de 40% de la consommation des films selon Médiamétrie. Autant dire que nos initiatives pour stimuler les plateformes à diffuser des œuvres magnifiques ne pèsent malheureusement pas grand chose.

Par ailleurs, peut-être devrions-nous nous inquiéter de la potentielle fragilisation économique par ces acteurs mondialisés des acteurs français qui soutiennent aujourd’hui la diversité culturelle et la mémoire du cinéma avec un travail éditorial inégalé mais ayant hélas un faible impact sur l’économie de la filière.

Une opportunité parce que ces plateformes sont des vecteurs supplémentaires de diffusion. Nous n’avons pas le luxe d’ignorer ces nouveaux partenaires. Nous regrettons une chose : le décret SMAD aurait pu être l’occasion d’échanger autour de la programmation sur les plateformes des films de catalogue et de patrimoine. L’Arcom nous a soutenu sur le bonus patrimonial mais pas sur nos autres demandes de programmation. Nous regrettons aujourd’hui qu’une plateforme qui mécène une institution culturelle remplisse plus rapidement ses obligations sans contrainte de diffusion. Flécher une partie de l’obligation d’achat et de l’obligation d’exposition vers des œuvres de patrimoine aurait été un signal fort pour le patrimoine cinématographique européen.

Le sujet de la diffusion n’est pas propre aux plateformes. C’est un débat que nous souhaiterions ouvrir également avec les médias plus traditionnels comme la télévision. Réfléchissions rapidement ensemble à l’écriture de cette nouvelle page du patrimoine cinématographique français.

Florian Krieg
© crédit photo : Vincent Bousserez


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