Cinéma

Congrès FNCF 2023 - Les grandes manœuvres se préparent pour le secteur

Date de publication : 21/09/2023 - 08:04

Transition écologique, réforme Art et essai, engagements de programmation et de diffusion, éducation à l'image... Le traditionnel débat avec les pouvoirs publics a permis de faire un large tour de table des enjeux du secteur. Tour d'horizon.

Si la totalité des intervenants se réjouissent d'avoir retrouvé une fréquentation rivalisant avec les niveaux prépandémiques, certains appellent à la vigilance. "Nous sommes conscients que la situation des salles de cinéma reste fragile du fait de l'explosion de nos charges", indique Richard Patry, président de la FNCF, qui énumère les difficultés rencontrées par le secteur : inflation du coût de l'énergie, augmentation des prix de l'ensemble des fournitures des salles, hausse conventionnelle des salaires, progression des coûts de construction et augmentation des taux d'intérêt pour "un secteur déjà très endetté qui rembourse ses PGE".
 
Priorité écologie

En parallèle, l'exploitation doit poursuivre ses investissements notamment dans le cadre de la transition écologique. Dans cette optique, la FNCF demande l'appui du CNC "dans un contexte où ses ressources sont particulièrement contraintes." En début d'année, la Fédération avait présenté un plan global sur les projecteurs laser. Un plan nécessitant 400 M€ d'investissements. "Ce plan permettra d'économiser par an la consommation d'une ville de plus de 20 000 habitants", affirme Richard Patry. La Fédération entend aussi s'appuyer sur les collectivités territoriales pour les accompagner à l'image de la Région Grand Est qui a voté une enveloppe de 1,8 M€ pour aider les cinémas dans la transition écologique. Le CNC place au cœur du renouvellement des conventions avec les régions cette ambition "afin que les collectivités puissent investir le plus possible dans la transition énergétique", indique Dominique Boutonnat, président du CNC.
 
"Le CNC accompagne les salles dans ces projets de modernisation avec 75 M€ d'investissements annuels", rappelle de son côté la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, dans un message vidéo. Le ministère travaille également sur d'éventuels dispositifs pour soutenir cette transition écologique.

Concernant le calendrier de remplacement des projecteurs, il sera échelonné sur plusieurs années, précise le CNC. L'organisme a également lancé une étude pour mesurer le lien énergétique du remplacement des projecteurs xénon par les projecteurs laser. Les résultats sont attendus pour fin 2023.
 
Autre initiative : le Centre va faire le tour des Régions au printemps prochain pour proposer des formations gratuites sur des enjeux de décarbonation et de gestion durable des équipements.
 
Les suites du rapport Lasserre

Lors du débat avec les pouvoirs publics, il a également été question de deux rapports majeurs pour la filière : celui de Bruno Lasserre et le rapport sénatorial de Céline Boulay-Espéronnier, Sonia de La Provôté et Jérémy Bacchi. Cartes illimitées, Art et essai, engagements de programmation et de diffusion… Ces rapports proposent de nombreuses mesures qui pourraient avoir des conséquences importantes sur le secteur.

Rima Abdul Malak a relevé deux objectifs complémentaires dans le rapport de Bruno Lasserre : "Apporter plus de liberté et promouvoir la diversité des films". Ces ambitions passent par deux chantiers pour la ministre : la réforme du classement Art et essai et les engagements de programmation et de diffusion.

La FNCF a demandé au CNC de préciser son calendrier pour chacun des sujets en fonction de leur caractère législatif ou réglementaire.

Pour certaines thématiques comme l'Art et essai, les engagements de programmation et de diffusion, le FNCF souhaite que le Centre prenne le temps d'analyser, de décider, d'objectiver les données et de simuler les conséquences des décisions qui pourraient être prises. "Nous ne ferons aucune réforme sans objectivations chiffrées. C'est d'ailleurs cette approche qui nous a permis d'aller chercher des aides lors de la crise sanitaire", indique Dominique Boutonnat.

Pour mener à bien ces différents projets, le CNC entend s'appuyer sur sa méthode fétiche : la concertation. Concernant la temporalité, le Centre va conduire ces projets de concert. "Certaines mesures sont liées même si elles se traitent de manière différente juridiquement parlant. Il est important de considérer ces projets comme un ensemble."

Art et essai : "Soutenir la prise de risque des salles, défendre la diversité"

Concernant la réforme de l'Art et essai, la ministre de la Culture prend deux engagements : "Mieux soutenir la prise de risque des salles qui proposent une programmation audacieuse et assurer que les films Art et essai soient diffusés partout en France."

Sur la base de ces deux objectifs, le CNC a lancé une concertation avec l'ensemble des professionnels. Le rapport de Bruno Lasserre préconise de renforcer la sélectivité du système "non pas en réduisant le nombre de films recommandés mais avec une meilleure prise en compte du potentiel économique de ces œuvres afin de récompenser les exploitants qui programment les titres les plus à risque."

La FNCF demande une prise en compte "des considérations légitimes" des salles les mieux classées "qui ont vu s'éroder leurs subventions depuis de nombreuses années malgré un travail essentiel à l'identité du modèle cinématographique national." Les nombreuses salles contribuant à la diffusion en profondeur des films de la diversité doivent également être maintenues dans le dispositif." La FNCF sera particulièrement vigilante concernant les salles nouvellement créées, principalement dans les villes de la moyenne exploitation. "Elles ne peuvent pas être classées. Pour les élus locaux et leur public, cette décision est incompréhensible", réagit Richard Patry. Pour objectiver les données, la FNCF estime indispensable d'avoir les simulations des indices sur la période juin 2022-juin 2023, période proche de la situation normale. Des données sont également nécessaires pour la mise en place d'une pondération différente entre les films les plus exigeants et les films les plus porteurs.

Conscient de cette modélisation nécessaire, Dominique Boutonnat espère entériner cette réforme lors du conseil d'administration du CNC de mars 2024.

Concernant l'enveloppe du classement Art et essai, elle s'élève aujourd'hui à plus de 18 M€. "A mon arrivée en 2019, elle s'établissait à 16 M€. Il s'agit du dispositif du CNC qui a fait l'objet de la plus forte augmentation ces dernières années", fait remarquer le président du CNC. "Il ne sera pas aisé d'augmenter l'enveloppe. Je ferai tout mon possible s'il existe une possibilité. Il s'agit d'une des grandes priorités du gouvernement et du CNC de travailler sur cette réforme qui aura un impact très clair sur la diffusion culturelle et l'éducation à l'image."

Pour Christine Beauchemin-Flot, coprésidente du Scare, l'enveloppe actuelle "ne peut pas répondre aux ambitions de la réforme Art et essai".

Guillaume Bachy, président de l'Afcae, a également formulé des propositions pour cette réforme : "Il faut mettre en place plus de diversité dans les programmations et les classements, instaurer plus de commissions réparties sur le territoire. Valorisons davantage les actions d'accompagnement des salles. Elles représentent aujourd'hui 20% du classement, portons ce taux plus haut. Travaillons également sur un label 15-25 sur le modèle du label jeune public. Il faut mettre en avant ce travail des salles. C'est le renouvellement du public qui est en jeu."
L'exploitant fait part de ses craintes de donner aux plans de sortie nationale une valeur de majoration ou de minoration des films. "Un programmateur ne peut pas connaître la sortie nationale des films au moment de sa programmation. Le classement doit avant tout porter sur la diffusion, l'animation et la bonne connaissance du territoire."

"Les engagements de programmation ne sont pas un diktat"

Concernant les engagements de programmation, la FNCF appelle au plus large consensus possible. "Nous serons vigilants pour que ces engagements très encadrés ne se transforment pas en un système d'obligations hiératiques contraire à l'esprit et à la loi. Encore une fois, le maître-mot est objectiver. Nous avons besoin des chiffres d'Observatoire de la diffusion", martèle Richard Patry.
"A travers les engagements de programmation, notre objectif est d'assurer la diversité de l'offre cinématographique et sa plus large diffusion. Aujourd'hui, il y a des trous dans la raquette. Il y a un problème d'équité entre les différents types d'exploitants", note Dominique Boutonnat.

Cette problématique va être résolue par un décret déposé par le CNC en Conseil d'État. Il aligne les pouvoirs du CNC dans la fixation des engagements de programmation des groupements et ententes sur celui des exploitants-propriétaire.

"Les engagements de programmation ne sont pas un diktat. Si cette mesure va nous permettre de fixer unilatéralement des engagements de programmation en cas d'échec des négociations, notre priorité reste le dialogue avec les exploitants", affirme Dominique Boutonnat. En parallèle, le président souhaite engager une concertation pour fixer une ligne directrice des futurs engagements de programmation.

Le rapport de Bruno Lasserre proposait de conditionner ou de moduler les aides à l'exploitation en cas de non-agrément des engagements. "Ce n'est pas ma priorité ni notre méthode. C'est l'ultime recours. Nous privilégions par-dessus tout la concertation", déclare Dominique Boutonnat.

Engagements de diffusion, la voie législative

En 2016, une tentative pour mettre en place des engagements de diffusion avait été initiée sous la forme d'un accord interprofessionnel. Ces engagements n'avaient finalement pas vu le jour au regard de la difficulté juridique du projet pouvant se heurter à la liberté du commerce.
 
Pour les instaurer, il faut donc passer tout d'abord par le législatif. Le sénateur Jérémy Bacchi qui devrait soumettre une proposition aurait des velléités en ce sens. "Le gouvernement sera en soutien", indique Rima Abdul Malak.

"Même si nous ne sommes pas maîtres du calendrier législatif, nous menons ce dossier en parallèle des engagements de programmation", déclare Dominique Boutonnat. Pour le président du CNC, "les engagements de diffusion sont les miroirs des engagements de programmation. Les cinémas situés dans les petites agglomérations doivent avoir accès aux films art et essai les plus porteurs."
 
Victor Hadida, président de la FNEF, a fait part de ses réserves sur ces engagements. "Ils impacteraient directement les éditeurs. Ces engagements toucheraient aux films dont ils ont la responsabilité […] Ajouter une contrainte supplémentaire à des éditeurs, qui ont comme objectifs de générer des entrées et d'assurer la croissance, est un vrai problème. Notre maillon est encore fragile et va subir de plein fouet une nouvelle crise avec les grèves aux Etats-Unis. Nous demandons de la flexibilité et de la souplesse."
 
"Pour un Grenelle de l'éducation aux cinémas"

Les débats ont également abordé les dispositifs scolaires qui accueillent un million de spectateurs. Le FNCF souhaite doubler ce chiffre en collaborant activement avec l'ensemble des acteurs impliqués : CNC, Ministères de la Culture et de l'Education national, Régions, Drac, Pass Culture, associations, médiateurs, enseignants et exploitants.

La FNCF appelle à la mise en place rapide d'un Grenelle de l'éducation aux cinémas afin d'inciter les écoliers à se rendre dans les salles durant toute leur scolarité, de la maternelle à l'université.

Rima Abdul Malak a rappelé son "obsession pour la relève de la cinéphilie". Cette ambition passe notamment par le Pass Culture, "une immense réussite qui contribue largement à la dynamique de la fréquentation", souligne Richard Patry. Etendu aux classes de 6e et de 5e depuis la rentrée, le Pass recense aujourd'hui 3,4 millions de jeunes inscrits. "C'est leur porte d'entrée pour la diversité du cinéma", se réjouit la ministre.

Le CNC a également intensifié cette éducation à l'image dans les conventions triennales avec les régions. Cela passe notamment par les médiateurs, actuellement 79 sur tout le territoire. L'objectif est d'atteindre les 200 médiateurs.

Un des futurs enjeux de la formation des enseignants est la mise en place du nouveau Pacte des enseignants de l'Education nationale. Stéphanie Dalfeur, vice-présidente de l'Archipel des Lucioles, a tiré la sonnette d'alarme à ce sujet. "Depuis quelques semaines, nous sommes très inquiets pour l'avenir de dispositifs d'éducation à l'image, notamment Collège au cinéma et Lycéens et apprentis au cinéma. A compter de 2024, les formations des enseignants auront lieu sur un temps hors-scolaire. On nous demande de ne plus faire de formations lors des temps de classe. Par ailleurs, l'Education nationale souhaite que les enseignants faisant des sorties scolaires doivent être remplacés leur temps de leur sortie scolaire. Il faut rappeler que les dispositifs scolaires se font sur la base du volontariat des enseignants. En leur imposant énormément de contraintes, ils ne vont pas se réinscrire. Il n'y aura pas plus de formation pédagogique ni d'accompagnement". Une crainte partagée par Aurélie Delage, présidente adjointe de la FNCF.

"Cette décision n'a pas fait l'objet d'une concertation. Nous le regrettons. Il s'agit d'un vrai problème. Nous allons mettre ce sujet sur la table et nous irons plaider la cause de ce sujet majeur auprès du nouveau ministre de l'Education nationale", confirme Dominique Boutonnat.
 
Chronologie des médias en vue

L'année 2024 sera celle de la renégociation de l'accord de 2022 sur la chronologie des médias. "A chaque point d'étape, nous avons affiché notre fermeté sur nos principes et notre ouverture d'esprit dans la discussion. C'est avec le même état d'esprit que nous aborderons ces discussions. N'oublions pas que le rôle essentiel de la chronologie des médias est de préserver la salle de cinéma, créatrice de valeur pour l'ensemble de la chaîne", revendique Richard Patry.
 
 
 

Florian Krieg
© crédit photo : Sylvain Devarieux


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