Cinéma

Cannes 2025 – Antony Cordier réalisateur de "Classe moyenne" : "C’est l’histoire de gens qui cherchent leurs places"

Date de publication : 20/05/2025 - 15:33

20 ans après avoir y avoir présenté son premier long métrage Douches froides, Antony Cordier retourne à la Quinzaine des Cinéastes avec son nouveau film en forme de comédie.

Quelques mots pour décrire Classe moyenne ?
C’est une comédie satirique qui décrit une guerre entre une famille riche et une famille pauvre. Entre les deux, il y a un tout jeune avocat qui est d’origine modeste et qui est certain de pouvoir calmer tout le monde parce qu’il s’imagine faire partie des deux mondes à la fois. C’est aussi l’histoire de gens qui voudraient tous être autre chose que ce qu’ils sont, de gens qui cherchent leurs places.

Comment vous est venue l’idée de ces deux couples ?
C’est une situation qu’a vécu l’auteur du scénario original chez des amis, en vacances. Il a imaginé ce qui pouvait arriver si cette situation (un conflit entre de riches propriétaires et leurs gardiens employés sans être déclarés) dégénérait. En faisant des recherches on a découvert que des tas de gens très riches et bien sous tous rapports avaient employé du petit personnel sans le déclarer. Même Francis Ford Coppola. Il y a quelque chose de fascinant à imaginer que des gens qui ont largement les moyens prennent des risques inconsidérés pour exploiter les autres. Pourquoi font-ils ça ?

Le scénario a été écrit à quatre mains... Une méthode qui vous est propre ?
Le scénario original, qui était vraiment très bon, a été écrit par Jean-Alain Laban et Steven Mitz. On l’a adapté en duo avec ma co-scénariste habituelle, Julie Peyr. Comme Julie habite Los Angeles, nous faisons des visios à 19h, quand elle s’éveille en pleine forme sous le soleil et que je m’éteins lamentablement... On discute du travail et on se passe le relai. L’avantage c’est que le scénario avance 24h / 24, il est toujours en mouvement. Julie travaille quand je dors et vice-versa.

C’est votre première collaboration avec Cheyenne Fédération. Qu’est-ce qui vous a conduit vers eux ?
Ce sont Pauline Attal et Julien Madon, les producteurs, qui se sont adressés à moi. Ils m’ont dit qu’ils avaient gardé un souvenir fort de mon deuxième film, Happy Few, parce que c’était "un sujet borderline qui était traité de manière délicate". Donc je suppose qu’ils attendaient de moi d’être délicat dans un film qui était quand même un jeu de massacre.

Comment avez-vous constitué votre casting ?
Avec Youna de Peretti, ma directrice de casting, on essaie toujours de constituer des groupes ou des couples plutôt que de penser les rôles individuellement. Là par exemple, on aimait imaginer que Laure Calamy et Ramzy étaient en couple, ça donnait envie de les voir à l’image, d’imaginer des scènes tendres. Mais puisqu’il faut bien commencer par quelqu’un, je crois que j’ai d’abord proposé un rôle à Élodie Bouchez, parce que c’est la quatrième fois que nous travaillons ensemble et que j’adore la filmer. Il y a 15 ans, on avait tourné Happy Few où elle s’était beaucoup investie dans des scènes très érotiques donc je trouvais intéressant de lui proposer ce rôle, celui d’une actrice qui veut faire autre chose que d’être déshabillée.

Le film a été tourné principalement dans le Gard. Vous cherchiez des décors, une ambiance précise ?
La difficulté pour moi était que je devais tourner la majorité des séquences dans un décor de villa. Et je n’avais pas envie de m’y ennuyer ou que les acteurs s’y ennuient. Je ne voulais pas avoir l’impression de tourner la même chose tous les jours. J’adore Garde à vue, mais je serais incapable de faire ça, tourner dans la même pièce tous les jours avec des acteurs assis derrière un bureau. Alors on a cherché une maison où il y avait beaucoup de possibilités de circulations. J’ai besoin que les acteurs bougent, j’ai besoin que leurs corps soient engagés dans le plan. Et on a fini par trouver une maison dont la forme s’inspirait de celle de l’escargot, une maison circulaire où l’œil ne bute jamais sur un à-plat.

Avez-vous mis au point une méthode de travail particulière de film en film ?
Mes tournages sont de plus en plus courts (25 jours pour celui-ci) alors je prépare de plus en plus, comme j’ai appris à le faire en réalisant des séries. Je dirais que la seule méthode que j’ai mise au point, c’est que je ne dors presque plus ! J’arrive le matin en sachant ce que je vais faire. Je sais à peu près combien de plans je suis capable de tourner par jour. J’ai en tête les plans essentiels et ceux que je suis prêt à sacrifier si on manque de temps. L’expérience m’a appris que la mise en scène, c’est aussi des mathématiques. Et à l’intérieur de ces maths, il faut être capable de recueillir le génie de l’acteur de cinéma. Quand on y arrive, c’est magique.
 
Des difficultés particulières durant le tournage ? Anecdotes quelconques ?
La difficulté est toujours de concilier les besoins différents des acteurs. Il y a ceux qui aiment se concentrer, ceux qui aiment chahuter, ceux qui aiment tourner dans l’ordre et avoir une vision globale, ceux qui aiment s’abandonner totalement... Ramzy, évidemment, aime bien chahuter. Il a passé tout le tournage à essayer de me prouver qu’il était plus fort que moi à la bagarre.

Quand le film a-t-il été terminé ?
C’est de très loin celui de mes films qui s’est fabriqué le plus rapidement. Habituellement je mets 6 ou 7 ans à faire un film. Là tout s’est bouclé en 1 an environ, grâce à l’efficacité des producteurs.

A l’arrivée est-il semblable au film que vous aviez imaginé au départ ?
C’est une question difficile parce que les films accueillent les conditions dans lesquelles on les tourne, donc la vie les transforme du début à la fin. Classe moyenne accueille les affects qui m’ont traversé toute l’année, les gestes que j’ai aperçus, les musiques que j’ai écoutées. J’ai tout oublié de ce que le film était pour moi "au départ". Un film, il faut le regarder vivre.

Qu'attendez-vous de ce retour à la Quinzaine 20 ans après Douches froides ?
J’attends de voir si je suis devenu plus intelligent, si je suis capable de ne pas céder à l’hystérisation cannoise et au spleen post-projection. Je sais que, pour un réalisateur heureux, il y en a cinquante malheureux de ne pas être sélectionnés. Alors j’ai envie simplement d’être heureux, pour moi, pour les acteurs et pour l’équipe. J’avais dit à tout le monde qu’on n’irait pas à Cannes avec cette comédie. Je ne voulais pas que ce soit un enjeu qui change notre rapport au film. Classe moyenne n’était dans aucun pronostic, même pas le mien, et je trouvais ça parfait.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR


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