
Cannes 2025 – Nabil Bellahsene coproducteur de "Militantropos" : "Notre accompagnement s’est révélé être un vrai défi de production"
Date de publication : 22/05/2025 - 09:20
Le documentaire, sélectionné à la Quinzaine, est le fruit d’une coproduction européenne entre Tabor Productions en Ukraine, Mischief Films en Autriche et Les Valseurs en France, avec le soutien de Arte France.
Comment avez-vous eu connaissance de ce projet et qu’est-ce qui vous a séduit ?
J’ai rencontré le producteur ukrainien Eugene Rachkovsky, membre du collectif Tabor, en février 2022. Nous participions tous les deux au programme Eurodoc quand l’invasion russe a commencé. Pour lui, il y avait une urgence à documenter ce moment terrible que vivait son pays. Il s’est entouré de réalisatrices et réalisateurs appartenant à son collectif pour initier une énergie commune et solidaire et mettre en images le chaos de la guerre. Malgré les risques encourus, j’ai été impressionné par leur détermination à filmer ce conflit qui marque encore aujourd’hui la vie en Europe et celle du monde entier. Au sein des Valseurs, notre engagement et d’accompagner des cinéastes qui parviennent à nous donner une lecture différente du monde dans lequel on vit, qu’il s’agisse de documentaires dits d'urgence comme Militantropos, car nés d’un bouleversement total, ou bien de films amenés à nous faire évoluer en tant qu’humains mais aussi en tant que société. Il était donc important pour Damien Megherbi, Justin Pechberty et moi - producteurs chez Les Valseurs - de contribuer à cette démarche en apportant notre soutien et nos capacités de financement. Le film s'inscrit pleinement dans une ligne éditoriale que nous avons imaginée comme un pont avec le public. La sélection à La Quinzaine nous permet d’amener une large audience vers de nouvelles voix sur le sujet difficile de la guerre en Ukraine, à travers une proposition de cinéma qui se veut être un témoignage historique et une œuvre cinématographique dans un temps long.
Qu’est ce qui caractérise le travail de ces cinéastes selon vous ?
L’expérience acquise par Yelizaveta Smith, Alina Gorlova, Simon Mozgovyi au sein du collectif Tabor a permis d’organiser le processus de fabrication de manière intégrale et horizontale. Toutes les décisions créatives ont été prises en commun. Ce projet est certes une œuvre collective, mais son approche cinématographique s’inscrit en totale cohérence avec les travaux précédents des cinéastes du collectif qui témoignent de ce lien créatif qui existe entre eux1. Sur ce film, une synergie particulière tirée de cet état de résistance face à l'agression russe, a permis aux cinéastes de fusionner leurs visions artistiques et humanistes distinctes en un seul monolithe. L’utilisation d’une caméra d’observation fixe a par exemple été un choix de réalisation important pour donner de la distance tout en construisant la dramaturgie du film à l’intérieur même du cadre.
On a déjà vu beaucoup d’images sur le conflit en Ukraine…. Quel est la spécificité de leur regard selon-vous ?
Beaucoup d’images sur le conflit en Ukraine ont circulé en effet. Tout ce que nous pouvons vous dire sur l’Ukraine, vous le savez certainement déjà. Tout ce qu’on a pu vous montrer sur l’Ukraine, vous l’avez également déjà vu. Mais ce que vous ne connaissez pas encore c’est le travail unique de ce collectif. Leur capacité à garder une exigence cinématographique tout en récoltant le réel sur le front et dans le quotidien du conflit. Ce n’est pas un film de guerre, c’est un film sur la vie et la mort en temps de guerre, sur la manière dont les gens continuent, résistent, aiment, créent malgré tout.
Quel fut votre apport ?
Notre contribution financière et artistique a débuté dès la phase de conception du projet. Les trois cinéastes ont spontanément commencé à filmer des événements qui ont secoué le pays dès les premiers mois de l’invasion. Dans ce contexte, nous avons d’abord accordé une grande importance à l’écriture du film ainsi qu’une attention particulière à la réalisation collective du projet pour proposer un regard singulier sur le conflit.
Face au constat évident sur la densité filmique du sujet, la multiplicité des facettes de la guerre et la lourdeur de la réalité filmée, nous avons décidé de s’inscrire dans un projet plus ambitieux, celui de la production d’un triptyque documentaire composé de trois parties indépendantes. Militantropos en est le premier chapitre. Les trois volets vont apporter une diversité d’angles sur un conflit qui dure. Notre apport artistique et financier se définit donc par un véritable engagement sur plusieurs années, avec le désir de proposer une œuvre somme sur la guerre en Ukraine.
Par ailleurs, ce film nous a interrogé sur la notion d’auteur car c’est un film collectif. Comment rendre compte de la guerre dans toutes ses dimensions autrement qu’avec ce film collectif ? Comment parvenir à trouver une unité artistique sur un projet aussi complexe ? Comment présenter un dossier homogène aux différentes commissions de financement ? Notre accompagnement s’est révélé être un vrai défi de production qui a provoqué des réflexions passionnantes pour trouver les ressources nécessaires pour financer ce triptyque ambitieux. Nous sommes convaincus que nous contribuons à l'émergence de jeunes cinéastes en devenir à travers une œuvre cinématographique historique et holistique, qui sera le témoin de ce que le peuple ukrainien a traversé́.
Quelles étapes ont été franchies au cours de la période du développement ?
Les fonds culturels du gouvernement ukrainien ayant été suspendus et redirigés vers la défense nationale, l’environnement de cette production a avancé au gré des épreuves de la guerre. Nous avons présenté le projet à différentes sessions de pitch et ateliers de développement. Le projet à instantanément obtenu de nombreux prix, les jurys et professionnels ont souligné la dimension internationale et le caractère artistique du projet, porté par un collectif de cinéastes, comme une promesse d’un renouveau du cinéma ukrainien dans une période de désastre.
L'une des étapes les plus déterminantes dans le développement du projet a été sa sélection au sein de la collection Generation Ukraine, une initiative portée par le groupe Arte. Ce soutien ne s’est pas limité à un apport financier : il s’est également traduit par un accompagnement sous l’œil attentif de Boris Razon - Directeur éditorial d’Arte France - et de Fabrice Puchault - Directeur de l'unité Société / Culture chez Arte France - lors de chaque étape du développement, à travers plusieurs ateliers et rencontres organisés en Europe, notamment à Strasbourg, Leipzig et Amsterdam. Cette collection ambitieuse réunit douze documentaires réalisés par des cinéastes ukrainiens, qui proposent une lecture intime, incarnée et sur le long terme de la guerre en Ukraine. Elle vise à dépasser l’actualité immédiate pour offrir des perspectives profondes, humaines et singulières sur un conflit en constante évolution. Aux côtés de films déjà remarqués dans de grands festivals internationaux — comme Songs of Slow Burning Earth d’Olha Zhurba, présenté à la Mostra de Venise 2024, ou Intercepted d’Oksana Karpovych, sélectionné à la Berlinale 2024 — Militantropos s’inscrit dans cette dynamique engagée et artistique. Sa sélection à La Quinzaine des Cinéastes confirme non seulement la pertinence de cette collection, mais aussi la force de sa démarche cinématographique, ancrée dans le réel et portée par une volonté de témoignage.
Le film avait des besoins spécifiques en termes de production ?
Pour préserver une cohérence artistique empreinte par le réel et les effets de la guerre dès les premiers mois de l’invasion russe, le travail de développement s’est parfois mêlé à celui de la production. Eux-mêmes victimes de ce conflit, une attention particulière a été apportée à la santé psychologique des cinéastes car ils ont été confrontés à des images très dures et à des situations très violentes. Nous avons défendu cet esprit collectif indispensable lors des différentes demandes de financements en France (CNC et Nouvelle-Aquitaine). La capacité des cinéastes à saisir véritablement en profondeur cette réalité́ a été soulignée par les différentes commissions dont nous saluons le soutien. Notre tâche était de démontrer que ce film est une démarche forte, présageant d’une œuvre puissante, qui n’aurait jamais été possible sans un travail à plusieurs mains.
Les producteurs de documentaires savent à quel point il est difficile de présenter un projet sur le papier. Un exercice encore plus exigeant quand il s’agit d’un film tourné dans une zone de guerre, au cœur d’évènements terribles, où l’existence et la sensation d'être sont complètement chamboulés. Ces films méritent d’ouvrir la discussion sur certaines aides à la production documentaire qui exigent que le tournage n’ait pas commencé. Dans le cas par exemple de l’Aide aux Cinémas du Monde en France, nous avons reçu une écoute attentive de la part du département du CNC pour trouver une solution commune et permettre de déposer le projet tout en respectant la réglementation du fonds. Ce fut une concertation intelligente et technique qui a permis de financer les deux parties du film dont le tournage n’a pas commencé tout en présentant à la commission artistique l'œuvre dans son intégralité, Militantropos inclus.
Quand a-t-il été tourné et où ?
Militantropos a été tourné au cours des trois dernières années de guerre qui ont secoué le pays. Le collectif de réalisation s'est mobilisé pour filmer aux quatre coins du pays, parfois au péril de leur vie, dans des zones où les combats faisaient rage mais aussi dans des villes et villages ravagés par les combats. Ils ont été témoins de la mutilation de leur pays. La plus grande difficulté a été de garder leurs exigences de mise en scène artistique dans des situations très difficiles. L’un des moments les plus marquants du tournage a été celui de documenter les crimes de guerre en filmant le travail des enquêteurs dans les charniers laissés par l’armée russe.
Le financement fut-il long à boucler ?
Le projet est une coproduction européenne composée de Tabor Productions en Ukraine, Mischief Films en Autriche et Les Valseurs en France. Ensemble, il nous a fallu trouver des soutiens financiers à la hauteur de l’exigence du travail de réalisation du collectif pour produire une œuvre ambitieuse composée de Militantropos et des deux autres parties du triptyque qui sont à venir. Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes d’abord appuyés sur les fonds internationaux (Netflix & Ukraine Film Academy Grant, Filmboost Germany, Visions Sud Est, IDFA Bertha Fund, Goteborg fund, IWM). En Autriche nous avons obtenu les fonds nationaux de l’Austria Film Fund, du Vienna Film Fund et du Ministry of Culture Austria, et en France nous avons été soutenus par la Région Nouvelle-Aquitaine, le Fonds européen de solidarité pour les films ukrainiens (ESFUF) géré par le CNC et l’Aide aux Cinémas du Monde. De plus, le projet fait partie de la collection de documentaires Arte Generation Ukraine, ce qui nous a permis d’avoir un préachat de Arte/SWR en Allemagne. Enfin, le vendeur international Square Eyes a complété ces financement en s’engageant sur les ventes de l’ensemble de l'œuvre. Le financement du film n’aurait pas pu se faire sans une coproduction à dimension européenne avec nos partenaires autrichiens et ukrainiens. Ensemble, nous tenons à remercier tous les partenaires, organisations et fonds qui ont soutenu notre démarche.
Le montage a-t-il pris beaucoup de temps ?
Le choix d’une esthétique d’observation avec une caméra fixe qui prend le temps de peindre et dépeindre cette guerre avec nuances et paradoxes a généré une masse très importante d’images qu’il a fallu référencer et trier. Cela a demandé de mettre en place un workflow très lourd car nous avions des centaines de téraoctets d’images. Cette étape, longue et exigeante, a donné lieu à un travail approfondi en salle de montage, que les cinéastes ont souhaité assumer pleinement sur le plan artistique.
Ce fut également une étape psychologiquement dure car après la sidération du réel lors des différentes sessions de tournage, il fallait se confronter à nouveau à la violence des rushs sur la table de montage.
Malgré cette manière observatrice et distante de filmer, l’assemblage des images a permis de construire des séquences fortes, des contrastes narratifs et une continuité équilibrée – surtout pas de manière trop évidente et didactique – mais de façon à composer le film grâce à de multiples couches de récits. En laissant parler les images, le montage a offert toute la dimension extraordinaire du réel, la vie et la mort, l’espace et le temps.
Qu’attendez-vous de cette sélection à la Quinzaine ?
Cette sélection à la Quinzaine des Cinéastes est un moment très fort pour nous. C’est d’abord une reconnaissance forte pour un film né d’un élan collectif, porté par des cinéastes ukrainiens peu connus du grand public, qui vivent et filment dans un contexte bouleversé par la guerre. Nous remercions La Quinzaine d’avoir eu le courage de prendre cette œuvre sur un sujet difficile. C’est un espace rare, et précieux pour un documentaire comme Militantropos et qui le rend éligible à la compétition de L’Œil d’Or.
Grâce à cette sélection, nous remettons le sujet de la guerre en Ukraine sur la table, dans un contexte géopolitique actuel très agité depuis l’arrivée de Trump au pouvoir.
Pour nous c’est également un vrai enjeu de visibilité pour le film, car c’est une chance de faire entendre ces fragments de vie ukrainienne à un public plus large. Une manière de continuer à témoigner, à créer et à rester debout.
J’ai rencontré le producteur ukrainien Eugene Rachkovsky, membre du collectif Tabor, en février 2022. Nous participions tous les deux au programme Eurodoc quand l’invasion russe a commencé. Pour lui, il y avait une urgence à documenter ce moment terrible que vivait son pays. Il s’est entouré de réalisatrices et réalisateurs appartenant à son collectif pour initier une énergie commune et solidaire et mettre en images le chaos de la guerre. Malgré les risques encourus, j’ai été impressionné par leur détermination à filmer ce conflit qui marque encore aujourd’hui la vie en Europe et celle du monde entier. Au sein des Valseurs, notre engagement et d’accompagner des cinéastes qui parviennent à nous donner une lecture différente du monde dans lequel on vit, qu’il s’agisse de documentaires dits d'urgence comme Militantropos, car nés d’un bouleversement total, ou bien de films amenés à nous faire évoluer en tant qu’humains mais aussi en tant que société. Il était donc important pour Damien Megherbi, Justin Pechberty et moi - producteurs chez Les Valseurs - de contribuer à cette démarche en apportant notre soutien et nos capacités de financement. Le film s'inscrit pleinement dans une ligne éditoriale que nous avons imaginée comme un pont avec le public. La sélection à La Quinzaine nous permet d’amener une large audience vers de nouvelles voix sur le sujet difficile de la guerre en Ukraine, à travers une proposition de cinéma qui se veut être un témoignage historique et une œuvre cinématographique dans un temps long.
Qu’est ce qui caractérise le travail de ces cinéastes selon vous ?
L’expérience acquise par Yelizaveta Smith, Alina Gorlova, Simon Mozgovyi au sein du collectif Tabor a permis d’organiser le processus de fabrication de manière intégrale et horizontale. Toutes les décisions créatives ont été prises en commun. Ce projet est certes une œuvre collective, mais son approche cinématographique s’inscrit en totale cohérence avec les travaux précédents des cinéastes du collectif qui témoignent de ce lien créatif qui existe entre eux1. Sur ce film, une synergie particulière tirée de cet état de résistance face à l'agression russe, a permis aux cinéastes de fusionner leurs visions artistiques et humanistes distinctes en un seul monolithe. L’utilisation d’une caméra d’observation fixe a par exemple été un choix de réalisation important pour donner de la distance tout en construisant la dramaturgie du film à l’intérieur même du cadre.
On a déjà vu beaucoup d’images sur le conflit en Ukraine…. Quel est la spécificité de leur regard selon-vous ?
Beaucoup d’images sur le conflit en Ukraine ont circulé en effet. Tout ce que nous pouvons vous dire sur l’Ukraine, vous le savez certainement déjà. Tout ce qu’on a pu vous montrer sur l’Ukraine, vous l’avez également déjà vu. Mais ce que vous ne connaissez pas encore c’est le travail unique de ce collectif. Leur capacité à garder une exigence cinématographique tout en récoltant le réel sur le front et dans le quotidien du conflit. Ce n’est pas un film de guerre, c’est un film sur la vie et la mort en temps de guerre, sur la manière dont les gens continuent, résistent, aiment, créent malgré tout.
Quel fut votre apport ?
Notre contribution financière et artistique a débuté dès la phase de conception du projet. Les trois cinéastes ont spontanément commencé à filmer des événements qui ont secoué le pays dès les premiers mois de l’invasion. Dans ce contexte, nous avons d’abord accordé une grande importance à l’écriture du film ainsi qu’une attention particulière à la réalisation collective du projet pour proposer un regard singulier sur le conflit.
Face au constat évident sur la densité filmique du sujet, la multiplicité des facettes de la guerre et la lourdeur de la réalité filmée, nous avons décidé de s’inscrire dans un projet plus ambitieux, celui de la production d’un triptyque documentaire composé de trois parties indépendantes. Militantropos en est le premier chapitre. Les trois volets vont apporter une diversité d’angles sur un conflit qui dure. Notre apport artistique et financier se définit donc par un véritable engagement sur plusieurs années, avec le désir de proposer une œuvre somme sur la guerre en Ukraine.
Par ailleurs, ce film nous a interrogé sur la notion d’auteur car c’est un film collectif. Comment rendre compte de la guerre dans toutes ses dimensions autrement qu’avec ce film collectif ? Comment parvenir à trouver une unité artistique sur un projet aussi complexe ? Comment présenter un dossier homogène aux différentes commissions de financement ? Notre accompagnement s’est révélé être un vrai défi de production qui a provoqué des réflexions passionnantes pour trouver les ressources nécessaires pour financer ce triptyque ambitieux. Nous sommes convaincus que nous contribuons à l'émergence de jeunes cinéastes en devenir à travers une œuvre cinématographique historique et holistique, qui sera le témoin de ce que le peuple ukrainien a traversé́.
Quelles étapes ont été franchies au cours de la période du développement ?
Les fonds culturels du gouvernement ukrainien ayant été suspendus et redirigés vers la défense nationale, l’environnement de cette production a avancé au gré des épreuves de la guerre. Nous avons présenté le projet à différentes sessions de pitch et ateliers de développement. Le projet à instantanément obtenu de nombreux prix, les jurys et professionnels ont souligné la dimension internationale et le caractère artistique du projet, porté par un collectif de cinéastes, comme une promesse d’un renouveau du cinéma ukrainien dans une période de désastre.
L'une des étapes les plus déterminantes dans le développement du projet a été sa sélection au sein de la collection Generation Ukraine, une initiative portée par le groupe Arte. Ce soutien ne s’est pas limité à un apport financier : il s’est également traduit par un accompagnement sous l’œil attentif de Boris Razon - Directeur éditorial d’Arte France - et de Fabrice Puchault - Directeur de l'unité Société / Culture chez Arte France - lors de chaque étape du développement, à travers plusieurs ateliers et rencontres organisés en Europe, notamment à Strasbourg, Leipzig et Amsterdam. Cette collection ambitieuse réunit douze documentaires réalisés par des cinéastes ukrainiens, qui proposent une lecture intime, incarnée et sur le long terme de la guerre en Ukraine. Elle vise à dépasser l’actualité immédiate pour offrir des perspectives profondes, humaines et singulières sur un conflit en constante évolution. Aux côtés de films déjà remarqués dans de grands festivals internationaux — comme Songs of Slow Burning Earth d’Olha Zhurba, présenté à la Mostra de Venise 2024, ou Intercepted d’Oksana Karpovych, sélectionné à la Berlinale 2024 — Militantropos s’inscrit dans cette dynamique engagée et artistique. Sa sélection à La Quinzaine des Cinéastes confirme non seulement la pertinence de cette collection, mais aussi la force de sa démarche cinématographique, ancrée dans le réel et portée par une volonté de témoignage.
Le film avait des besoins spécifiques en termes de production ?
Pour préserver une cohérence artistique empreinte par le réel et les effets de la guerre dès les premiers mois de l’invasion russe, le travail de développement s’est parfois mêlé à celui de la production. Eux-mêmes victimes de ce conflit, une attention particulière a été apportée à la santé psychologique des cinéastes car ils ont été confrontés à des images très dures et à des situations très violentes. Nous avons défendu cet esprit collectif indispensable lors des différentes demandes de financements en France (CNC et Nouvelle-Aquitaine). La capacité des cinéastes à saisir véritablement en profondeur cette réalité́ a été soulignée par les différentes commissions dont nous saluons le soutien. Notre tâche était de démontrer que ce film est une démarche forte, présageant d’une œuvre puissante, qui n’aurait jamais été possible sans un travail à plusieurs mains.
Les producteurs de documentaires savent à quel point il est difficile de présenter un projet sur le papier. Un exercice encore plus exigeant quand il s’agit d’un film tourné dans une zone de guerre, au cœur d’évènements terribles, où l’existence et la sensation d'être sont complètement chamboulés. Ces films méritent d’ouvrir la discussion sur certaines aides à la production documentaire qui exigent que le tournage n’ait pas commencé. Dans le cas par exemple de l’Aide aux Cinémas du Monde en France, nous avons reçu une écoute attentive de la part du département du CNC pour trouver une solution commune et permettre de déposer le projet tout en respectant la réglementation du fonds. Ce fut une concertation intelligente et technique qui a permis de financer les deux parties du film dont le tournage n’a pas commencé tout en présentant à la commission artistique l'œuvre dans son intégralité, Militantropos inclus.
Quand a-t-il été tourné et où ?
Militantropos a été tourné au cours des trois dernières années de guerre qui ont secoué le pays. Le collectif de réalisation s'est mobilisé pour filmer aux quatre coins du pays, parfois au péril de leur vie, dans des zones où les combats faisaient rage mais aussi dans des villes et villages ravagés par les combats. Ils ont été témoins de la mutilation de leur pays. La plus grande difficulté a été de garder leurs exigences de mise en scène artistique dans des situations très difficiles. L’un des moments les plus marquants du tournage a été celui de documenter les crimes de guerre en filmant le travail des enquêteurs dans les charniers laissés par l’armée russe.
Le financement fut-il long à boucler ?
Le projet est une coproduction européenne composée de Tabor Productions en Ukraine, Mischief Films en Autriche et Les Valseurs en France. Ensemble, il nous a fallu trouver des soutiens financiers à la hauteur de l’exigence du travail de réalisation du collectif pour produire une œuvre ambitieuse composée de Militantropos et des deux autres parties du triptyque qui sont à venir. Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes d’abord appuyés sur les fonds internationaux (Netflix & Ukraine Film Academy Grant, Filmboost Germany, Visions Sud Est, IDFA Bertha Fund, Goteborg fund, IWM). En Autriche nous avons obtenu les fonds nationaux de l’Austria Film Fund, du Vienna Film Fund et du Ministry of Culture Austria, et en France nous avons été soutenus par la Région Nouvelle-Aquitaine, le Fonds européen de solidarité pour les films ukrainiens (ESFUF) géré par le CNC et l’Aide aux Cinémas du Monde. De plus, le projet fait partie de la collection de documentaires Arte Generation Ukraine, ce qui nous a permis d’avoir un préachat de Arte/SWR en Allemagne. Enfin, le vendeur international Square Eyes a complété ces financement en s’engageant sur les ventes de l’ensemble de l'œuvre. Le financement du film n’aurait pas pu se faire sans une coproduction à dimension européenne avec nos partenaires autrichiens et ukrainiens. Ensemble, nous tenons à remercier tous les partenaires, organisations et fonds qui ont soutenu notre démarche.
Le montage a-t-il pris beaucoup de temps ?
Le choix d’une esthétique d’observation avec une caméra fixe qui prend le temps de peindre et dépeindre cette guerre avec nuances et paradoxes a généré une masse très importante d’images qu’il a fallu référencer et trier. Cela a demandé de mettre en place un workflow très lourd car nous avions des centaines de téraoctets d’images. Cette étape, longue et exigeante, a donné lieu à un travail approfondi en salle de montage, que les cinéastes ont souhaité assumer pleinement sur le plan artistique.
Ce fut également une étape psychologiquement dure car après la sidération du réel lors des différentes sessions de tournage, il fallait se confronter à nouveau à la violence des rushs sur la table de montage.
Malgré cette manière observatrice et distante de filmer, l’assemblage des images a permis de construire des séquences fortes, des contrastes narratifs et une continuité équilibrée – surtout pas de manière trop évidente et didactique – mais de façon à composer le film grâce à de multiples couches de récits. En laissant parler les images, le montage a offert toute la dimension extraordinaire du réel, la vie et la mort, l’espace et le temps.
Qu’attendez-vous de cette sélection à la Quinzaine ?
Cette sélection à la Quinzaine des Cinéastes est un moment très fort pour nous. C’est d’abord une reconnaissance forte pour un film né d’un élan collectif, porté par des cinéastes ukrainiens peu connus du grand public, qui vivent et filment dans un contexte bouleversé par la guerre. Nous remercions La Quinzaine d’avoir eu le courage de prendre cette œuvre sur un sujet difficile. C’est un espace rare, et précieux pour un documentaire comme Militantropos et qui le rend éligible à la compétition de L’Œil d’Or.
Grâce à cette sélection, nous remettons le sujet de la guerre en Ukraine sur la table, dans un contexte géopolitique actuel très agité depuis l’arrivée de Trump au pouvoir.
Pour nous c’est également un vrai enjeu de visibilité pour le film, car c’est une chance de faire entendre ces fragments de vie ukrainienne à un public plus large. Une manière de continuer à témoigner, à créer et à rester debout.
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Tabor
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