
[Entretien] Jean-François Tosti (TAT) : "Nous sommes nous-mêmes en train de devenir une IP"
Devenu au fil des années un acteur phare de l’animation française, TAT retrouve le Festival d’Annecy avec Falcon Express, attendu en séance événement avant de débarquer dans les salles françaises le 2 juillet sous pavillon Apollo Films. L’occasion de revenir avec le cofondateur et codirigeant de TAT, Jean-François Tosti, sur les particularités du studio d’animation, qui vient de s’illustrer sur la fabrication du très remarqué Astérix & Obélix : le combat des chefs.
La 49e édition du Festival d'Annecy a démarré ce 8 juin. Que représente pour vous cette manifestation ?
Je crois que j’y suis allé pour la première fois en 2001 ou 2002, ça commence à remonter (rires). Le Festival a beaucoup grossi avec le temps. Quelque part, nous sommes un peu nostalgiques de l'époque où il était plus petit, mais il reste évidemment très important pour nous. Chaque année, nous y faisons des rencontres qui, plus tard, aboutissent sur quelque chose : un accord de distribution, la découverte d’un auteur… Et puis l’ambiance est géniale, c’est très bien organisé. C'est à mon sens l’un des rendez-vous incontournables du secteur. Si vous êtes une société qui fait de l’animation, il faut aller à Annecy.
Des deux volets des As de la jungle à Pattie et la colère de Poséidon en passant par Pil, pratiquement tous vos films d'animation ont rencontré un beau succès en salles. Comment l'expliquez-vous ?
Je pense que nous avons fait un choix courageux, celui de s'aventurer sur le domaine de l'animation familiale. Très tôt, nous avons eu la conviction que nous pouvions aller sur le terrain des studios américains – pas en espérant faire aussi bien ou mieux qu’eux, parce que c'est impossible au regard de leurs budgets de fabrication et de promotion –, mais sans leur ressembler pour autant. Comme nous l’avons à mon sens bien fait, nous avons réussi à formuler une proposition assez inédite pour un producteur français. Nous avons, de surcroît, fait le choix de prendre de gros risques financiers pour enchaîner les films, que nous livrons très régulièrement. Nous sommes finalement aujourd'hui les producteurs les plus prolifiques sur le long métrage d’animation. Petit à petit, nous installons notre marque, notre savoir-faire, auprès du public mais, aussi et surtout, des exploitants. C’est très important car, sans eux, il est très dur de faire vivre les films en salles. Les exploitants savent que nous allons livrer un long métrage de qualité, qui va s'adresser aux familles. Lorsqu’un film TAT arrive en salles, ils sont donc rassurés, et vont bien l'exposer et bien le promouvoir. C'est une stratégie de long terme : très tôt, nous nous sommes dit que, si nous livrions un film par an, tout le monde allait vouloir travailler avec nous, parce que nous serions les seuls à le faire. Tout cela implique une prise de risque bien plus importante que celle de nos camarades producteurs, qui, eux, financent film après film, mais explique aussi ce succès, je pense.
A ce titre, comment anticipez-vous la sortie de votre prochaine production, Falcon Express de Benoît Daffis et Jean-Christian Tassy, qu'Apollo Films sortira le 2 juillet ?
Nous y croyons très fort. Nous avons la conviction que c'est notre film le plus abordable. L'affiche, la bande-annonce, le concept… : tout est clair. Je pense par ailleurs que c'est notre film le plus familial, puisque c’est à notre sens le plus destiné aux adultes. Les enfants restent notre première cible, mais Falcon Express est beaucoup plus clairement adressé à leurs parents que nos précédentes productions. Nous pensons donc qu’il a tout le potentiel nécessaire pour séduire un très large public.
Vous évoquiez tout à l'heure la notion de prise de risque. Est-il aujourd’hui plus difficile de créer une nouvelle IP ?
Bien sûr. Développer une création 100% originale est beaucoup plus compliquée qu'il y a quatre ou cinq ans. Tous les financeurs "non institutionnels" – les acheteurs, les distributeurs, les télés… - veulent aller vers des IP parce que tout le monde a envie de se sécuriser. Ceci dit, nous sommes nous-mêmes en train de devenir une IP. Pour les exploitants, mais aussi pour les acheteurs internationaux, notre nouveau film, c'est avant tout un nouveau film TAT. S’il est beaucoup moins simple de financer nos productions qu’il y a trois ou quatre ans, nous y arrivons encore parce que, à mon sens, nous avons réussi à construire une mini-marque.
Vous travaillez justement sur un nouveau projet de long-métrage original, Lovebirds d’Hélène Blanchard et Laurent Bru, une comédie romantique avec des oiseaux...
C’est un petit pas de côté. Lovebirds est clairement destiné à une cible un peu plus âgée que nos précédentes productions, mais, comme à notre habitude, nous ferons bien attention à ne pas perdre les enfants. Il y a évidemment beaucoup d'humour, plein d'action…, ce qui va permettre de séduire les plus petits, mais aussi les plus grands, grâce à cette dimension de comédie romantique. Sur nos films, nous manquons souvent les spectateurs âgés de 12 à 25 ans, et je pense que Lovebirds a un énorme potentiel sur cette cible. Pour la première fois, nous travaillons avec KMBO. C’est un distributeur que nous connaissons depuis longtemps, et avec qui nous avions envie de travailler. Ils ont tout de suite accroché au concept, au scénario, aux graphismes, qui sont sublimes. Lovebirds sortira le 27 janvier 2027. Par ailleurs, Lovebirds a la particularité d’être le premier film que nous avons développé à partir d'un scénario qui n’a pas été écrit en interne. Ce scénario, développé par Amanda Sthers avec sa société américaine Idea(l), est arrivé un jour sur notre bureau, et nous en sommes tombés amoureux. Nous avons donc passé un accord de coproduction avec la société d’Amanda Sthers pour récupérer le projet, le développer et le mettre en production. Nous avons énormément progressé – en termes d'organisation, de manière de travailler, de qualité – grâce à notre expérience sur Astérix & Obélix : le combat des chefs [dont TAT a assuré la fabrication pour Netflix, Ndlr]. Nous n’avions jamais disposé d’autant de moyens, de temps, de talents aussi grands. Nous commençons à appliquer tous ces enseignements sur la fabrication de Lovebirds, et c'est impressionnant. Je vois déjà, au fur et à mesure que la fabrication avance, que nous avons gagné en qualité par rapport à nos précédentes productions. Je pense que nous allons passer un nouveau cap avec Lovebirds. C’est d’ailleurs le film le plus cher que nous avons réussi à financer, puisqu’il est doté d’un budget de 15M€.
Cette expérience sur Astérix et Obélix : Le combat des chefs vous a-t-elle donné envie de pratiquer davantage la production exécutive ?
Cette expérience a été à la fois très intéressante et très enrichissante. À l’avenir, nous pourrions envisager des productions similaires, mais uniquement dans le cadre de prestations premium. Ces projets doivent à la fois nous permettre de progresser en tant que studio et d’apporter du plaisir à nos équipes. Nous disposons déjà de nos propres IP que nous développons en série, comme Les aventures de Pil, un 52x13 min que nous produisons pour France Télévisions. Notre travail sur Astérix et Obélix : Le combat des chefs nous a surtout donné envie d’adapter de nouvelles œuvres. L’adaptation est un exercice très créatif qui nous motive. Nous échangeons donc avec plusieurs éditeurs et replongeons dans la lecture de bandes dessinées. Cette envie traduit aussi une forme de maturité. Depuis notre création il y a 25 ans, nous avons eu la chance de concrétiser tous les projets que nous rêvions de faire. Nous avons dépassé tous les objectifs que nous nous étions fixés. Aujourd’hui, tout ce que nous entreprenons est un bonus. Nous prenons le temps de réfléchir à nos futurs projets.
Justement, quels sont les projets sur lesquels vous travaillez aujourd’hui ?
Outre Lovebirds et Les aventures de Pil, nous venons de lancer la préproduction de Ringo at Summer Camp, l’histoire d’une colonie de vacances pour chiens dont le scénario est très réussi et très drôle. Le film devrait être livré entre fin 2027 et début 2028. Pour le reste, nous étudions plusieurs pistes.
TAT Studio a été lauréat de la Grande fabrique de l’image en 2023. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
Nous devions passer à la vitesse supérieure, il fallait produire en parallèle du long métrage, de la série et des prestations premium. Nous avions déjà une structure solide, mais il a fallu doubler pratiquement nos capacités de production. Cette ambition nécessitait un investissement conséquent. Le soutien de la Grande Fabrique de l’image nous a permis d’accélérer notre développement plus sereinement, en investissant dans du matériel, en recrutant de nouveaux talents. Pour la première fois, nous avons pu lancer des programmes de R&D, avec des effets immédiats. La première saison de Pil a, par exemple, été produite en temps réel, avec un rendu hautement qualitatif.
Vous évoluez au sein d’un secteur sous forte tension. Quel est votre regard sur la situation ?
Elle est très anxiogène. Tout est plus compliqué, même pour nous. L’animation traverse aujourd’hui une crise structurelle assez lourde. Nous cumulons les inquiétudes et les incertitudes. Malgré cela, j’essaie de rester concentré sur le positif. TAT a la chance d’avoir trois projets en cours et d’être, depuis quelques mois, sous le feu des projecteurs. J’espère que le marché se stabilisera d’ici à la fin de l’année prochaine et reprendra son cours. Je reste optimiste. L’envie de voir des œuvres est toujours là. Et nous avons la chance de nous adresser à la jeunesse, un public en renouvellement permanent. Les bons projets finiront toujours par trouver preneur. Ce qui nous sauvera, c’est la qualité de ce que nous proposons.
Kevin Bertrand et Florian Krieg
© crédit photo : MonxyVous avez déjà un compte
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