Cinéma

Annecy 2025 - AnimFrance appelle à des actions immédiates

Date de publication : 12/06/2025 - 08:12

La conférence du syndicat, qui a ouvert le temps fort des quatre grands rendez-vous professionnels de la journée du mercredi, a permis de faire un point chiffré particulièrement précis sur "la crise la plus structurelle que nous ayons connu jusqu'ici" selon les mots de Samuel Kaminka, président d’AnimFrance.

"L'animation qui marche sur les deux jambes, que sont la production déléguée et la prestation, aujourd'hui avance plutôt à cloche-pied" a attaqué d’entrée de jeu Samuel Kaminka. "Les plateformes américaines ont brutalement réduit leurs dépenses en prestations ce qui représente en deux ans pour la France moins 40% d'activités sur le domaine de la prestation, soit moins 60 M€". "La raréfaction des financements étrangers pousse les producteurs à prendre des risques de plus en plus grands et parfois jusqu'à l'insoutenable" a-t-il poursuivi. "Et pendant ce temps, l'inflation, les taux d'intérêt maintiennent des coûts élevés. L’équation assez simple, baisse des financements plus coûts élevés égale effet de ciseaux, plus ou moins dévastateur selon les entreprises et les circonstances".
 
Le président d’AnimFrance a rappelé "qu’on a vu plus de redressements judiciaires et de liquidations en dix mois qu'en dix ans, que l’emploi décroche et que les producteurs portent des risques de plus en plus importants jusqu'à devoir se fragiliser". Pourtant la France ne manque pas d’atouts avec des réussites éclatantes malgré la crise. "L’animation représente environ 10% du volume de production, mais réalise environ 40% des exports. Le cinéma est particulièrement dynamique, comme le prouve l’Oscar pour Flow. Cette excellence de l'animation française fait absolument l'unanimité et nous donne toutes les raisons d'espérer et même de constater que nous avons en main tous les atouts pour rebondir, à la fois dans cette crise, mais dans la phase qui la suivra. Mais pour cela il ne faut pas juste regarder passer les trains, il faut agir maintenant, d'où ce titre de la conférence".

Samuel Kaminka n’a pas manqué de saluer au passage "Gaëtan Bruel, nouveau président du CNC, qui est particulièrement attentif, à l'écoute des problématiques du secteur et qui, avec toute son équipe a tout à fait pris la mesure de la situation dans laquelle nous étions et à quel point il était urgent d'intervenir dans notre secteur. Nous avons des conversations permanentes pour continuer d'améliorer le système".

Et le président d’Anim France de pointer deux anomalies majeures à corriger. "La première, ce sont les plateformes qui ne financent pas la création en animation. Ce n'était pas du tout l'esprit du décret SMAD. Cette anomalie tient en trois points dysfonctionnels, le taux de diversité inopérant, les droits à monde décomptés des obligations France, ce qui est inéquitable, et le taux d'inédit inexistant. Nous comptons sur les pouvoirs publics que nous avons très sollicités ces derniers mois. Et il y aura une annonce peut-être demain de la ministre, nous espérons avoir été entendu. Deuxième anomalie majeure à corriger, YouTube. En 2024, la directrice générale de YouTube France a déclaré, que YouTube était la première chaîne de télévision en France. Caché derrière son statut d'hébergeur, YouTube capte un tiers de l'audience jeunesse sans contribuer à la création et en échappant règles auxquelles sont assujettis ses concurrents, et capte des revenus publicitaires avec des oeuvres financées par des concurrents qu'elle affaiblit. C’est une anomalie majeure qu'on ne peut pas tolérer plus longtemps. Il faut agir dès maintenant pour que YouTube cesse d'être un perturbateur de marché et contribue enfin de manière équitable à l'écosystème de la création".

Stéphane Le Bars, délégué général du Spi et Amanda Borghino la déléguée générale adjointe ont ensuite pris la parole pour l’habituel état des lieux chiffré qui fait toujours le sel de ce rendez-vous.

QUELQUES INDICATEURS CLÉS
Premier constat flagrant, une liste de sociétés en difficultés qui s’allonge. Trois redressements judiciaires se sont soldés par des liquidation pour SolidAnime, o2o Studio et dernièrement Cyber Group Studio, qui était l'un des leaders du marché de l'animation française ces dernières années. Trois autres redressements ont débouché sur des reprise pour le studio Red Frog, repris par Gump, de TeamTO et de Technicolor, animation-production repris partiellement par Ouido Productions. Et récemment c’est Andarta Pictures qui est en RJ depuis mars 2025.

Ces difficultés s'accompagnent d'une crise majeure de l'emploi. Le marché s'est en effet retourné au printemps 2023 et n’a cessé de se dégrader tout au long du second semestre 2023 et en 2024. En 2024 le nombre de salariés est repassé sous la barre des 10 000 salariés et moins de 8 millions d'heures sont comptabilisées, ce qui représente une baisse de plus de 16 % par rapport à 2023. Les salariés en CDD d'usage, qui représentent 83 % des effectifs et 67 % de la masse salariale, sont malheureusement les plus impactés. La baisse du nombre d'heures travaillées des intermittents est de 30%.

Face à une telle situation, faisant suite aux échanges tenus lors des Radi-Raf, AnimFrance estime qu’il est plus que temps de restructurer l’offre de formation en France, se disant prêt à collaborer étroitement en ce sens avec le Reca qui vient de lancer son processus de labellisation des écoles.

La prestation de services est donc à la peine alors qu’elle a parfois représenté 50% du chiffre d'affaires du secteur. 200 M€ de dépenses avaient été réalisés sur le territoire français entre 2021 et 2023. Ces dépenses ont subi une baisse de 14% en 2024. Seule la prestation pour le long métrage résiste, avec plus de 100 M€ de dépenses éligibles réalisées en 2024. Mais ce n’est pas le cas de celle pour les œuvres destinées aux chaînes de télévision et aux plateformes, qui a été divisée par deux entre 2022 et 2024. Et les perspectives d’évolution sont à la baisse, les promesses de dépenses des projets d’animation agréés au C2I en 2024 n’étant que de 45 M€ pour l’audiovisuel soit une division par 3 par rapport au plus haut de 2022 qui était à 140 M€ de dépenses.

Mais si le crédit d'impôt international marque le pas, il reste un outil essentiel pour l'industrie française de l'animation, d’où la nécessité de sensibiliser dès à présent les pouvoirs publics et les parlementaires à sa prolongation.

Et 2023 a été marquée également par une baisse de plus de 40% des exportations, au regard du plus haut de 2020. La conséquence directe de cette situation, est que le risque producteur est de plus en plus difficile à assumer. Par ailleurs les transferts d'audience qui se font au détriment des acteurs historiques, entrainent des baisses de recettes publicitaires pour ces derniers, lesquels sont pourtant ceux qui investissent le plus aujourd'hui dans la production audiovisuelle.

Reste que l’animation française conserve une place de premier plan sur de nombreux marchés internationaux. Elle reste n°2 en Italie, Espagne, Allemagne derrière la production US mais toujours devant la production locale. Et la France est le 4ème pays le plus représenté dans les offres des plateformes de SVàD à l’étranger derrière les Etats-Unis, le Japon et le Royaume Uni. Le problème majeur est que des acteurs mal ou pas du tout régulés captent 50% du temps de consommation des enfants.

COMMENT RELANCER L’INDUSTRIE ?
Selon Anim France, relancer l’industrie en renforçant le marché français passe par quatre axes : consolider les accords avec les éditeurs français, tirer les conséquences de l’échec avéré du décret SMAD pour l’animation, renforcer les modalités de soutien à l’animation et faire évoluer le crédit d’impôt.

Plusieurs accords ont été conclus récemment avec les principaux éditeurs français pour sécuriser le marché et améliorer leur financement du secteur. Ce fut le cas avec TF1 en 2022, M6 en 2023 et récemment en 2024 avec France Télévisions. Reste Canal+, avec lequel des discussions vont s'engager dans les prochaines semaines. Tous ces acteurs ont investi 60 M€ en 2023. Par ailleurs la remontée de France 4 dans la numérotation de la TNT est une bonne nouvelle et devrait se traduire rapidement en termes d’audiences.

Et France Télévisions reste le partenaire de premier plan avec près de 30 M€ injectés dans la production TV en 2024 et près de 2,7 M€ dans la production cinéma, soit un total de 32,6 M€. Et la signature des deux accords, télévision et cinéma va déboucher sur un investissement global qui va passer progressivement de 32 M€ à 37 M€ en 2027. En contrepartie, les producteurs ont accompagné l'évolution digitale du groupe pour renforcer son offre.

De la même manière TF1 s'est réengagé à renforcer son investissement à hauteur de 15% à compter de 2025 avec un quota d'animation qui est passé à 6%, dont 93% dans l’inédit et 70% dans la production indépendante. Et en cette matinée du 11 juin a été annoncé que l'accord qui liait la profession, l'ensemble de la production audiovisuelle avec le groupe TF1, qui s'arrêtait au 31 décembre 2025, a été renouvelé pour une période de trois ans et va courir jusqu'au 31 décembre 2028, ce qui va permettre de faire perdurer ces engagements complémentaires de la part du groupe TF1 dans le secteur de l'innovation.

Le mérite de ces différents accords est non seulement d'irriguer financièrement le secteur, mais aussi d’accroître le préfinancement par série, ce qui permet de réduire le risque producteur. Et le volume de production télé, soutenu par les acteurs historiques, a redépassé la barre des 300 heures passant à 316 heures en 2024.  Mais l’intégration des acteurs étrangers reste lente et imparfaite.

Fin 2024 et début 2025, ont été signés trois nouveaux accords avec des plateformes étrangères : Apple TV+, Crunchyroll et Disney+. Et dès 2025, Paramount Plus va entrer dans le régime des obligations, ce qui va lancer des discussions. Et en 2026 HBO Max devrait atteindre ses seuils d'obligation notamment en termes d'audience.

Du point de vue d’AnimFrance, l’accord avec Disney est exemplaire, puisque c'est la première plateforme nord-américaine ayant pris un d'engagement à hauteur de 25% de son CA. "C'est le premier accord conclu avec une plateforme américaine qui coche toutes les cases des objectifs que nous poursuivons" a précisé Amanda Borghino. "Il a été négocié dans des conditions particulières avec la volonté de Disney plus d'accéder à une fenêtre de diffusion raccourcie au titre de la chronologie des médias, mais il démontre que les demandes formulées par AnimFrance depuis un certain temps sont légitimes et réalistes puisqu’elles peuvent être mises en oeuvre à travers un accord".

Sur le bilan du décret SMAD, opéré en novembre dernier par l'Arcom et le CNC le constat est sans appel. Les conventions conclues en 2021 avaient mis en place des taux très faibles. Les premiers accords signés en 2022 et en 2023 avec Prime Vidéo et Netflix ont corrigé un peu le pire, mais sans part réservé à l’inédit et en contrepartie d'un lissage de l'obligation animation sur plusieurs années. Le bilan fait ressortir que les différentes plateformes ont consacré en 2023 moins de 10 M€ à l'animation contre 265 M€ dans la fiction. Mais surtout l'essentiel de ces investissements, soit 94% a été consacré à des achats de catalogues, donc des propriétés de France Télévisions, de TF1, de Gulli M6, qui font des belles d'audience sur Netflix, Disney ou Prime Video. Très clairement ces acteurs, profitent donc de la puissance de l'animation française sans participer à la création ou très marginalement.

AnimFrance demande donc aux pouvoirs publics de rouvrir ce décret en inscrivant une clause de diversité d’au moins 20% avec un minimum de 12% dans l'animation. Reste aussi à trouver la façon de forcer YouTube à jouer le jeu. L’exemple belge flamand prouve qu’il est tout à fait possible d’intégrer des plateformes de vidéo et réseaux sociaux dans le régime de contribution à la création.

ÉCHANGES PRODUCTIFS AVEC LE CNC
Un certain nombre de mesures encourageantes ont été adoptées au Conseil d'administration de décembre du CNC afin de venir corriger un certain nombre de points du RGA et d’en améliorer d’autres, l’idée centrale étant de mieux accompagner la création originale. Un geste a aussi été fait en faveur des œuvres dites difficiles (pour lesquelles le plafond d’intensité d’aides publiques peut être porté à 60% au lieu du plafond de 50%) avec un élargissement aux séries feuilletonnantes et aux séries ado/adultes

Reste que les fondamentaux de l’ensemble du modèle français ont été posés il y a 10 ans en se basant une production haut de gamme basée sur un marché national puissant et un financement étranger reposant essentiellement sur les préventes, ce qui permettait le contrôle de l’IP et la localisation maximale de la dépense sur le territoire français. Or les préventes ne cessent de diminuer, et la plupart des pays, notamment européens, commencent à imposer via leurs producteurs que des dépenses soient effectuées sur leur territoire. La bascule d’un modèle basé sur les préventes à un autre centré sur la coproduction est donc effective, ce qui suppose de revoir le dispositif, sans renoncer pour autant à ses fondamentaux.

TROIS PRIORITÉS FACE À L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE GÉNÉRATIVE 
Les producteurs ne sont pas restés inactifs, face à la montée en puissance des IAG. AnimFrance a tenu à rappeler que ces derniers avaient trois priorités : la protection de la propriété intellectuelle, la maîtrise de l'exploitation des catalogues et une juste rémunération pour tous les ayants droit dans un contexte d'entraînement des données liés aux oeuvres passées par des outils d'IAG. Un processus long et complexe pour parvenir à atteindre ces objectifs avec un travail en cours à plusieurs échelons, au plan national mais aussi européen, devant impliquer l’ensemble de la chaîne.

Des actions concrètes ont d’ores et déjà été menées au niveau des syndicats d’employeurs. En octobre 2024, avec la SACD ceux-ci ont adopté des recommandations relatives à l'insertion de clauses dans les contrats qui lient auteurs et producteurs pour mieux accompagner le développement de l'IAG et mettre en œuvre une information et une autorisation réciproque des parties pour l'utilisation de ces outils.

Les producteurs ont été incités, notamment par leur syndicat, à déclarer leur opt-out à travers leurs conditions générales afin de se prévenir dans le cadre d'un litige devant les juges tout en essayant de créer une forme de présomption de réutilisation des œuvres, si un opt-out avait été déclaré au préalable.

Et des discussions interprofessionnelles, notamment au sein de la Procirep, sont en cours pour analyser les modalités de licitation des œuvres. AnimFrance explique essayer d’inventer un système de gestion collective volontaire. "Nous avons la conviction que l'IA n'est pas un outil comme les autres, mais que malgré tout, il doit rester un outil au service du talent humain, créatif et technique" résume Amanda Borghino. "Nous savons que cela suscite beaucoup d'inquiétudes et nous voulions vous rappeler que c'est une problématique qui n'est absolument pas négligée par les producteurs. Il est de notre responsabilité de mener ce débat". Le fait que pour ce jeudi 12 juin sur le Pâquier a été lancé un appel à réguler impérativement l’usage des IAG, à l’initiative de près de 25 syndicats et organisations françaises, mais aussi européennes et américaines.

LE CAP DES 10 LONGS MÉTRAGES PRODUITS PAR AN FRANCHI DEPUIS 2019
Du côté du cinéma, le cap des 10 longs-métrages d’animation produits par an a été franchi durablement depuis 2019. 13 ont été produits en 2024 dont neuf d'initiatives françaises. Reste que le chiffre reste relativement limité à l'échelle du cinéma français, puisqu’il représente moins de 5 % de l’ensemble des films de cinéma agréés par le CNC chaque année.
 
Une meilleure dynamique pourrait donc être enclenchée. D’ores et déjà France TV s'est engagée à investir dans 25 films entre 2024 et 2028, Crunchyroll va consacrer 4% de son CA à la production de longs-métrages d'animation, et l'obligation qui pèse désormais sur Disney+, va aussi permettre d'irriguer le financement des longs-métrages d'animation. Reste la question de la place de l’animation dans le cadre du nouvel accord cinéma de Canal+, revu à la baisse, le principe d’une obligation propre à l'animation ayant été repoussé.

Le fait est que le financement du long métrage reste d’une grande complexité. Le soutien public est à la hauteur de celui constaté dans la fiction, soit près de 14%, les financements étrangers pesant pour près de 20%.

En fin de présentation, AnimFrance a confirmé la tenue des Assises de l’Animation organisées avec l’Afca et le Spi qui auront lieu le 1e octobre au Forum des Images à Paris. Elles seront organisées autour de quatre temps forts, sous forme de tables rondes : sur l’écriture/développement, le financement de la production, la distribution et enfin la diffusion au sens large soit festivals, action culturelle et autres.

10 FÉVRIER 2025 : HOMOLOGATION DU CARBULATOR
Hanna Mouchez et Jean-Baptiste Wery ont ensuite évoqué l’homologation du carbulator intervenue juste avant que le CNC ne mette en place l’éco-conditionnalité des aides pour les œuvres d’animation à compter du 1e mars. Ce calculateur d’empreinte carbone, adapté aux spécificités du secteur de l’animation a été développé avec plus d’une dizaine de studios partenaires qui ont accompagné le projet au cours de son développement. 400 comptes utilisateurs ont déjà été enregistrés et 60 bilans de type CNC (prévisionnel et définitif confondus) ont été déjà réalisés.
 
La prochaine étape passe par le positionner comme l'outil de référence en Europe, afin de garantir une souveraineté européenne en la matière et ne pas se voir imposer d'autres calculateurs extra-européens. AnimFrance a pris les devants en rencontrant un certain nombre de syndicats européens, comme Animation in Ireland, des régions dynamiques sur le sujet comme Wallonie-Bruxelles et des centres audiovisuels nationaux. Et Philippe Alessandri, en tant que président de l'association Animation in Europe, a également rencontré Europe Créative pour solliciter leur appui. De nombreux producteurs et studios sont actuellement en train de bêta tester l'outil, un chantier qu'il conviendra de financer dans les mois à venir.

La conférence s’est conclue par un hommage à une figure emblématique de l’animation française, le producteur Didier Brunner, récipiendaire cette année du Mifa Animation Industry Award, qui a eu droit à une standing ovation de la salle.

Patrice Carré
© crédit photo : Patrice Carré


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