Cinéma

Congrès FNCF 2025 - Richard Patry : "Il faut recréer et revaloriser le désir d’aller en salle"

Date de publication : 23/09/2025 - 08:02

Alors que s’ouvre, ce mardi 23 septembre, le 80e Congrès de la Fédération nationale des cinémas français, retour avec son président sur les grands sujets qui traversent aujourd'hui le secteur : chute de la fréquentation, éducation à l’image, tarification, comité de concertation, chronologie des médias…

Selon les estimations du CNC, la fréquentation s’élevait, fin août, à un total de 99,98 millions d’entrées annuelles, en recul de 15,1% par rapport à 2024. Quelle analyse faites-vous de ces chiffres ?
Il faut remonter à 1999 pour retrouver un niveau équivalent, aussi faible, à cette période de l’année – en excluant bien entendu les deux années Covid. Je comprends donc la grande inquiétude de l’ensemble des salles. Même si nous avons l’habitude de rester positifs, nous traversons bien une crise grave. Elle est d’autant plus sensible que ces huit mois de dépression de la fréquentation interviennent après une période très positive en 2024, avec le meilleur mois de décembre enregistré depuis 2019. Cela dit, nous sommes convaincus que cette crise est conjoncturelle et non structurelle, car elle est liée à un véritable manque d’offre attractive de films. Nous sommes dans une phase de grande faiblesse du marché, et il va falloir désormais le réamorcer.
Sur le papier, le dernier trimestre permet d’être optimisme, mais il ne pourra jamais rattraper le retard accumulé entre le premier semestre et l’été et ne sera pas suffisant pour redresser complètement les situations financières très dégradées, voire critiques, de plusieurs de nos collègues. Car, et c’est la particularité de cette crise, toutes les catégories d’exploitation sont touchées. Le plus à craindre serait que la crise devienne structurelle, avec la multiplication des défaillances des salles, en menaçant alors les distributeurs puis les producteurs. Nous allons donc solliciter en urgence des solutions auprès des pouvoirs publics et des collectivités territoriales. Il faut des mesures d’accompagnement, concrètes et rapides, à destination des exploitants qui souffrent.

Dans un contexte d’inflation affaiblissant le pouvoir d’achat des Français, l’image d’une place de cinéma “trop chère” semble gagner de plus en plus de terrain…
Cette question du prix n’apparaît que lorsqu’il n’y a pas d’engouement autour de l’offre de films. Lorsque cette dernière est séduisante et populaire, personne ne regarde les tarifs. L’an dernier, à l’aune des succès du Comte de Monte-Cristo et d’Un p’tit truc en plus, plus personne ne s’en plaignait : quand les gens sont heureux d’aller au cinéma, le prix ne compte pas. En fait, nous avons surtout un problème de désirabilité. Globalement, les gens ont moins envie d’aller au cinéma en ce moment, faute d’offre capable de les mobiliser. Nous sommes bien face à une problématique de désir, et il faut collectivement, à l’échelle de la filière, nous mobiliser fortement pour y remédier. Il faut recréer et revaloriser le désir d’aller en salle.

L’éducation à l’image est un sujet d’inquiétude majeur pour l’exploitation. Dans ce contexte, comment accueillez-vous les préconisations du rapport d’Édouard Geffray ?
Pour beaucoup d’exploitations, l’éducation à l’image est un élément économique de stabilité, doublé d’un levier de croissance pour l’avenir, puisque l’on forme les publics de demain. C’est un sujet extrêmement important pour l’économie des salles et pour l’avenir de la pratique culturelle du cinéma en salle et leurs perspectives. Le rapport d’Édouard Geffray est une base considérable pour la réflexion et l’action en faveur de Ma classe au cinéma. Il viendra détailler ses propositions au congrès, et nous en débattrons avec tous nos invités et le CNC. Je ne vais pas anticiper sur ce qui promet d’être un rendez-vous majeur de notre congrès mais aussi un signal très fort pour les salles elles-mêmes.

Le Comité de concertation distributeurs-exploitants, dont vous êtes vous-même membre, a émis en juillet une première recommandation sur les avant-premières massives et les sorties anticipées. Êtes-vous satisfait de ce travail collectif ? Quid de la suite ?
Nous étions, dès l’origine, l’un des promoteurs de ce comité de concertation. Dans la période de crise que nous traversons, les tensions entre exploitants et distributeurs sont évidentes et exacerbées, pour beaucoup sur des questions économiques, de programmation et sur des problématiques liées à l’offre. Ce qui est tout à fait compréhensible : quand les temps sont difficiles, les rapports se tendent. Ce comité vient donc à point pour examiner et recommander les bonnes pratiques pour faciliter et favoriser les relations entre exploitants et distributeurs. La première recommandation n’était pas la plus facile à formuler. Le sujet était compliqué et, surtout, il fallait nous roder. Je suis ravi de ce comité, au sein duquel je place beaucoup d’espoir. Il y a du respect et de l’écoute, de part et d’autre. Notre prochain sujet sera celui des plans de sortie et de l’exposition des films. Les premières auditions débuteront dans les prochaines semaines, avec l’objectif d’une recommandation en fin d’année ou début 2026.

"En ces temps difficiles que nous traversons, l’unité du secteur est primordiale", aviez-vous déclaré lors du précédent congrès. Un an plus tard, les tensions sont toujours vives au sein de l’exploitation…
Les tensions existent, oui. Les équilibres peuvent être plus complexes à trouver au sein de la fédération aujourd’hui que quand tout va bien, c’est évident. En période de crise, les tensions entre les uns et les autres sont en effet exacerbées, parce que tout le monde est en difficulté. Néanmoins, des éléments permettent d’aller chercher des solutions plus constructives par le dialogue. Parmi eux figure le comité de concertation, qui ne se borne pas aux sujets transversaux entre distribution et exploitation mais va aussi permettre d’aborder des problématiques entre exploitants, ou entre distributeurs. Et puis, il y a le fait que la crise est générale. Toutes les exploitations sont en difficulté. Les solutions qu’appelle cette crise doivent être collectives. Dans ce contexte, notre rôle est de tout mettre en œuvre pour qu’elles apparaissent, aussi bien dans le champ financier que dans celui de la régulation. Nous maintenons le dialogue, surtout dans la situation politique générale dans laquelle nous sommes, doublée d’une crise budgétaire de l’État ; nous allons probablement encore voir la trésorerie du CNC se faire ponctionner de quelques dizaines de millions d’euros. L’unité ne doit pas concerner le seul secteur de l’exploitation, mais l’ensemble de la filière. Nous avons, toutes et tous, la responsabilité de nous mobiliser pour défendre le modèle français.

Amazon et Netflix ont attaqué en début d’année l’arrêté d’extension de la chronologie des médias. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cela nous inquiète, évidemment. Nous restons convaincus que la chronologie des médias, quand bien même certains considèrent qu’elle n’est pas parfaite, est un élément structurant de notre système. Forcément, dans un marché qui accuse 15% de recul, certains se demandent si cette chronologie est vraiment nécessaire, si nous ne nous porterions pas mieux sans, comme c’est le cas dans d’autres pays. À mon sens, c’est une réflexion de très court terme. Nous avons besoin de cette chronologie, qui nous donne une stabilité de long terme, en particulier dans un monde où notre partenaire historique, privilégié, à savoir Canal+, prend un peu de recul, et où les plateformes prennent de l’importance. Au sein d’un univers audiovisuel en pleine mutation, nous avons besoin de tous ces partenaires diffuseurs parce que, comme eux, nous avons besoin de films. Certains ont fait le choix de s’intégrer. D’autres continuent les négociations et, au sein de ces négociations, ont jugé utile de déposer un recours. Pour autant, le dialogue avec Amazon comme avec Netflix reste ouvert et toujours actif. Je les invite donc à poursuivre le dialogue avec la task force cinéma, afin de trouver un accord. Je suis persuadé qu’il existe un chemin pour intégrer chacun d’eux dans cette chronologie, en respectant le modèle français.

Propos recueillis par Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
© crédit photo : Photo Thomas Laisné pour la FNCF


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