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Cinéma

Congrès FNCF 2025 - Eddy Duquenne (Kinepolis) : "L’innovation a toujours fait partie de notre ADN"

Date de publication : 25/09/2025 - 08:30

Le CEO de Kinepolis s'exprime sur la stratégie de développement du sixième circuit d'Europe, l'évolution (positive) de sa fréquentation, sa vision du marché français, son appétence pour les salles premium, mais, aussi, les perspectives à court et moyen termes au regard notamment de l'offre de films.

Kinepolis a enregistré 14,28 millions d’entrées au premier semestre 2025, soit une hausse de 2,2% par rapport au premier semestre 2024. Comment analysez-vous ces résultats ?
Il me semble important d’évoquer d’abord les chiffres du premier trimestre, qui étaient plutôt décevants. Pourquoi ? Parce que nous n’avions pas suffisamment de blockbusters à proposer. Le deuxième trimestre a été bien plus positif, notamment grâce aux sorties de Minecraft, le film, Lilo & Stitch et Mission : Impossible – The Final Reckoning. Je crois que ceci illustre bien la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. À mon sens, il n’y a pas de problème au niveau de la demande de notre clientèle, mais, toujours, un problème d’offre de films, qui est insuffisante. Nous attendons donc qu’Hollywood – mais aussi un certain nombre de producteurs locaux – retrouve sa vitesse de croisière prépandémique. En France, structurellement parlant, il n’y a aucun problème sur la production locale. L’an dernier, nous avons même eu un très grand succès au premier semestre, Un p’tit truc en plus, ce qui nous a permis d’enregistrer une baisse de fréquentation moins forte que dans nos autres marchés, très impactés par les grèves hollywoodiennes. Cela explique le fait que, en 2025, nous enregistrons un recul plus fort dans ce territoire [-9,9%, Ndlr] que dans les autres pays où nous sommes implantés. C’était donc plutôt un p’tit truc en moins cette année [rires].

Pour rester sur la France, Kinepolis s’y est fortement développé ces trois dernières années : ouverture d’un cinéma à Metz, rachats des Pathé Amnéville et Belfort, reprise de l’exploitation de l’ancien Monciné de Béziers… Pour quelles raisons ? D’autres acquisitions ou créations de salles y sont-elles envisagées ?
Je tiens d’abord à signaler que le marché français nous intéresse toujours. Concernant les acquisitions que vous évoquez, il s’agissait surtout d’opportunités. Si demain, d’autres se présentent, nous les examinerons. La situation est très différente pour les créations de salles. Il y a peut-être encore quelques exceptions, mais je pense que nous sommes arrivés à un point de saturation du marché. Si on y ajoute la hausse des prix de construction et un volume d’offre de films toujours insuffisant entraînant une moindre fréquentation, cela revient à investir pour seulement prendre des parts de marché à son concurrent, ce qui n’a aucun sens.

Vous avez annoncé en avril l’ouverture prochaine de neuf salles Imax en Europe et en Amérique du Nord. Quelle place la premiumisation occupe-t-elle aujourd’hui dans votre stratégie de développement ?
C’est l’une de nos priorités. Depuis sa création, Kinepolis a toujours fait partie des circuits précurseurs en termes de nouvelles expériences, de nouveaux modèles : le premier multiplexe (à Gand), le premier mégaplexe (à Bruxelles), le passage au numérique… L’innovation a toujours fait partie de notre ADN. Beaucoup de groupes disposent, comme nous, de PLF [premium large format, Ndlr]. Mais chez nous, ces formats occupent une place significative : plus de 300 de nos 1150 salles proposent une expérience premium. Aujourd’hui, on peut regarder des films chez soi dans de très bonnes conditions. Lorsqu’un spectateur vient en salle, il attend donc davantage. Je compare toujours le cinéma à la restauration: même si vous disposez d’une cuisine chez vous, vous allez au restaurant. Mais il faut que ce restaurant soit bien entretenu, et vous offre l’expérience pour laquelle vous payez. Nous voyons bien que nos clients apprécient et valorisent de plus en plus l’expérience, surtout lorsqu’elle est adaptée au film qu’ils vont voir. Il est très important de combiner les bonnes expériences avec les bonnes typologies de films: on ne propose pas une comédie romantique dans des fauteuils qui bougent.

L’intelligence artificielle est de plus en plus utilisée dans la filière cinéma, mais très peu dans l’exploitation semble-t-il. Y avez-vous recours au sein de Kinepolis, afin, par exemple, d’améliorer encore l’expérience spectateur ?
Nous nous servons déjà, dans certains départements, d’instruments d’intelligence artificielle. Il existe énormément de facteurs susceptibles d’impacter le comportement et la décision des spectateurs. Chaque film est un "produit" différent des autres, qui s’adresse à un groupe cible distinct, avec de surcroît des demandes différentes en termes d’expérience. Aujourd’hui, nous adaptons même les gammes de produits de nos stands de confiserie en fonction des films programmés, et donc des groupes cibles concernés. Certains veulent des produits plus sucrés, d’autres moins sucrés… Nous voyons que c’est apprécié, puisque nous vendons davantage de boissons et confiseries à ces groupes cibles. Je pense que l’intelligence artificielle va nous aider à mieux maîtriser tout cela.

Kinepolis est entré sur le marché nord-américain en 2017 en rachetant Landmark Cinemas au Canada, avant de faire ses premiers pas aux États-Unis deux ans plus tard via l’acquisition de MJR Digital Cinemas. D’autres développements sont-il prévus dans cette zone ?
C’est un territoire qui continue à nous intéresser, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, nous y avons pas mal investi dans l’expérience client, et cela fonctionne très bien. Ensuite, s’il est dominé par de grands acteurs tels que AMC ou Regal, le marché nord-américain reste très fragmenté, avec beaucoup de familles à la tête de réseaux de salles. Un certain nombre d’entre elles sont dans une logique de transmission, mais sans avoir de successeur pour autant. Aujourd’hui, beaucoup attendent le bon moment pour vendre, puisque les blockbusters continuent à manquer, ce qui impacte leur fréquentation et, donc, la valorisation de leurs salles. Nous attendons donc avec elles. Certains marchés européens nous intéressent également. Je ne parle pas d’ajouter un ou deux cinémas – ce que nous continuons à faire, en Espagne notamment –, mais de reprendre des groupes de grandes tailles.

Regardez-vous du côté de territoires européens où vous n’êtes pas présent à ce jour ?
Absolument. Nous sommes à la recherche d’actifs de qualité, et que nous pouvons maîtriser. Dans le passé, on a souvent vu des groupes disposant de la capacité financière de racheter d’importants réseaux de salles le faire sans être nécessairement dans une bonne situation en termes de management et de ressources humaines. C’est toujours un exercice d’équilibriste. Lorsque Kinepolis a doublé de taille à la suite du rachat de Landmark Cinemas, nous avons eu la chance de pouvoir compter sur place sur une très bonne équipe. Nous décentralisons beaucoup, parce que nous avons la conviction que plus l’on est proche du client, mieux l’on observe ce qu’il veut.
 
Avez-vous, au regard de la nouvelle facilité de crédit de 160 M€ que vous avez signée en juin, un plan d’expansion précis ?
Nous avons les moyens et l’ambition de nous développer, mais pas à n’importe quel prix ni avec n’importe qui. C’est avant tout une question d’opportunité. Nous avons réalisé beaucoup de transactions et, à chaque fois, nous avons gardé de bonnes relations avec les vendeurs. Ainsi, aujourd’hui, certains nous disent qu’ils ne sont pas encore prêts à vendre mais que, le moment venu, ils nous appelleront. Nous estimons que réserver nos moyens à une croissance du groupe est, sur le long terme, la bonne approche.

Au regard de l’offre prévue, êtes‑vous confiant pour le second semestre, déjà bien entamé ?
On voit qu’il y a pas mal de films, et c’est une bonne chose. Le quatrième trimestre s’annonce prometteur, avec des titres susceptibles d’attirer différents groupes cibles. L’année 2026 semble elle aussi plutôt prometteuse. Il est vrai que, depuis la Covid, on a souvent entendu que l’année d’après serait une très bonne année… Sortant de la pandémie, avec des studios qui n’avaient pratiquement pas validé de films pendant de longs mois, beaucoup de professionnels estimaient à l’époque que deux années seraient nécessaires avant que ceux-ci retrouvent leurs rythme et volume de sorties habituels. Mais ils n’avaient pas anticipé que nombre de ces studios, en particulier ceux qui ont perdu beaucoup d’argent dans leurs plateformes de streaming, étaient confrontés à des bilans financiers affaiblis, avec donc moins de moyens à investir dans de nouveaux films. Et puis, à cela, se sont ajoutées les grèves des acteurs et scénaristes américains… Aujourd’hui, on voit que certains studios se réorganisent ou sont repris par d’autres investisseurs et recapitalisés, ce qui est plutôt encourageant.
 
Certains observateurs s’interrogent justement – notamment à l’échelle de la France – sur la capacité du marché à retrouver ses niveaux pré-Covid. Qu’en pensez-vous ?
Je l’espère, mais pour être honnête, je n’en ai aucune idée. Quoi qu’il en soit, je suis très optimiste, à l’échelle de ce métier comme de notre entreprise. Nous avons des spectateurs qui veulent voir des films, et demandent plus d’événementiel, plus d’expérience. Le cinéma a survécu à la télévision, au câble, au DVD et, aujourd’hui, aux plateformes, parce que nous rassemblons des gens qui peuvent vivre ensemble des émotions. Certes, notre métier va devenir plus difficile. Nous allons avoir besoin de plus de diversification, d’expériences et de contenus en fonction du type de clients que nous accueillons. Nous devrons davantage nous interroger sur qui veut voir quoi, comment s’adresser à chaque spectateur, de quelle façon se distinguer des autres expériences… Là aussi, l’intelligence artificielle va nous aider, au même titre que la créativité de l’être humain évidemment. Cette créativité devra également s’exprimer au niveau des producteurs et des créateurs de films. Nous avons aujourd’hui trop de suites, qui n’innovent plus et, à force, fatiguent les spectateurs. Les succès de Barbie, Oppenheimer ou F1 ® le film le prouvent: les gens veulent voir de nouvelles choses.

Propos recueillis par Kevin Bertrand
© crédit photo : Jeroen Willems


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