Cinéma

Congrès FNCF 2025 - L’exploitation en alerte

Date de publication : 25/09/2025 - 08:04

Proposé cette année dans un format quelque peu inédit, afin de favoriser les échanges entre les différentes instances de la Fédération nationale des cinémas français dans un contexte de crise, le Forum de discussion fut l’occasion pour les trois branches de l’exploitation d’alerter sur plusieurs problématiques clés.

C’est donc une forme inhabituelle que revêtait cette année le Forum de discussion du 80e Congrès de la FNCF. Ainsi, pas de billet d’humeur introductif, pas de points des différentes sous-commissions fédératives (affaires sociales, économique, etc.), le rendez-vous se réduisait ainsi à l’essentiel, rapports successifs des trois branches (Petite, Moyenne et Grande exploitations) puis échange avec le président Richard Patry, le délégué général Marc-Olivier Sebbag, et les présidents et porte-parole de chacune. Le tout, pour aborder frontalement, sans détours, les différentes alertes, problèmes voire cris d’alarme soulevés par les membres de la fédération, réunis en nombre au sein du Grand auditorium du CID, à Deauville ce mercredi 24 septembre au matin.

La Petite exploitation alarmiste mais déterminée
S’avançant en porte-parole de la branche Petite exploitation, Christine Bentabet - exploitante du Dunois de Châteaudun -, a principalement consacré son rapport au sujet premier abordé lors de la commission de branche la veille : l’état économique et financier des cinémas de la Petite exploitation. Avec un constat pour le moins paradoxal : si 25% des cinémas présents à la commission de mardi se déclaraient être dans une situation financière critique et vidées de trésorerie, 90% des cinémas de la branche présentent un compte de soutien positif.

"Nous avons le sentiment que si nos comptes ne sont pas mobilisés, c’est qu’il apparait compliqué de le faire", a ainsi commenté la rapportrice, qui a détaillé ainsi trois priorités pour la branche. Tout d’abord, le renouvellement du matériel numérique : "Beaucoup d’entre nous fonctionnent avec des projecteurs numériques de première génération", constate l’exploitante.

La branche articule, en deuxième priorité, plusieurs propositions pour faire évoluer les dépenses éligibles au compte de soutien, comme l’achat de matériel d’occasion (un cas concret sera d’ailleurs exposé lors des échanges avec la salle), les dépenses courantes notamment en communication et marketing, la formation continue des exploitants et équipes…

Enfin, la branche fait appel à des moyens simples et efficaces de communication, en partenariat avec le CNC, afin d’aider les exploitants en difficulté à mobiliser leur compte de soutien, "avec une attention particulière pour les cinémas en régie municipale et pour les exploitants en délégation", a pointé Christine Bentabet.

"Avec un taux d’occupation fauteuil de 10%, et 50% de séances à moins de 10 spectateurs, nos entrées ne suffisent plus à payer nos factures", a établi ensuite la porte-parole. "Ce constat fera l’objet d’un travail au sein de notre branche afin de refléter notre modèle économique et le calcul du point mort, ou seuil de rentabilité d’une séance dans nos établissements."

La branche a ensuite commenté la parution du rapport Hexacom, produit à la demande du syndicat des cinémas de proximité, qui fut d’ailleurs le sujet d’une cordiale passe-d’arme un peu plus tard lors des discussions entre l’exploitant du Méliès de Montreuil et le président de la Grande exploitation.

"Nous constatons surtout que les cinémas de la PE ont gagné en délai d’obtention des films depuis la fin des VPF. Ainsi 90% de notre public fidèle ne comprendraient pas un retour en arrière, ce qui ne bénéficierait à aucune autre salle ni aux distributeurs, mais renforcerait à coup sûr l’attractivité des plateformes", a commenté Christine Bentabet.

La rapportrice s’est ensuite exprimée sur une expérimentation collective portant de programmation, à laquelle 13 cinémas volontaires et 4 distributeur sollicités devaient participer cet été sous l’égide de la Médiateur du Cinéma, une expérience qui finalement n’a pas pu se concrétiser. "L’imposition du nombre de séances, désormais des horaires, le chantage à la KDM, les demandes d’à valoir, l’absence de négociation sur le taux de location, sont autant de sujets qui ne devraient pas en être, tant la situation économique des uns et des autres nous obligent à des relations plus sereines et surtout plus constructives."

Enfin, la porte-parole a témoigné de vives inquiétudes au sein de la branche concernant le cinéma non commercial, mais aussi la réforme du classement Art et Essai dans sa première phase :"nous ne comprenons ni le système de notation, ni son incidence sur le montant de la subvention", a-t-elle ajouté, en appelant à la création d’un moratoire avant la mise en œuvre de la deuxième phase, " que le CNC travaille à une modélisation des effets de la majoration/minoration prévue".

"Nous nous sommes tous adaptés pour faire face à l’augmentation des charges, à la préservation des emplois, à la qualité de l’accueil de nos publics. Mais les derniers mois sont tellement rudes et éprouvants, que nous attendons aujourd’hui des réponses simples et rapides", a conclu l’exploitante.
 
La Moyenne exploitation alerte sur l'écosystème
Pour sa part, Michel Ferry, exploitant des Carmes à Orléans et porte-parole de la branche Moyenne exploitation, avait fait le choix de l’allégorie forestière pour représenter un écosystème cinématographique français en danger, filant l’imagerie tout au long de son rapport. Ce qui n’empêche pas de remettre la branche en chiffres, elle qui comptait ainsi 461 établissements pour 53,6% des recettes, 53,3% des entrées et 59,4% des séances, avec un prix moyen de 7€ en 2024. "Néanmoins, en 2025, la souffrance économique de la Moyenne exploitation est grande", a pointé le rapporteur.

Sans rentrer encore une fois dans le détail de la chute des entrées, des difficultés financières consécutives renforcées par l’endettement post-crise sanitaire, le porte-parole a lancé l’alerte : "nous avons tous besoin de soutien pour pallier à l’urgence des trésoreries, en péril par ailleurs. Nous avons besoin d’une aide efficiente et immédiate, pour les cinémas en grande difficulté", en appelant au passage à des annonces significatives de la part du CNC. "Nous ne pouvons qu’insister sur l’urgence de mesures économiques pour des cinémas qui pourraient fermer, faute d’intervention rapide. Sachant qu’un cinéma qui ferme rouvre rarement, et sans cinéma, il n’y a pas de cinéma."

Le porte-parole est en outre revenu sur les "tensions" et "exacerbations de concurrence" engendrées par le contexte de crise, "nuisibles à l’exposition des œuvres", appelant à une solidarité "indispensable" au sein du secteur comme de la filière. "Une concurrence saine et loyale pourrait encourager une forme d’émulation au bénéfice des publics et des films."

"Il est nécessaire que nous œuvrions ensemble, distributeurs comme exploitants, à une exposition des films qui servent à la fois les œuvres, leurs ayants-droits, les publics et l’économie des salles, dont il faut malheureusement rappeler que le pourcentage de séance à perte reste trop important. Travaillons ensemble la programmation des salles à la séance pour parachever le passage au numérique, en gardant à l’esprit que les exigences de certains, rendent parfois difficile le respect des engagements de diversité ou de programmation." L’exploitant a en outre souligné le caractère essentiel d’un accès au film ouvert et libre.

Ce, avant de se projeter dans la nécessité de repenser le modèle économique des salles à l’aune d’un nouveau contexte dont les perspectives ne permettront pas de retrouver des niveaux antérieurs à la pandémie. "Il faudrait peut-être envisager un futur où 160 millions d’entrées seraient la norme, et 180 millions, l’exception. Cela appelle à prendre des mesures afin que l’économie des cinémas soit à nouveau équilibrée, en redéfinissant les points d’équilibre." Devant l’impossibilité de trouver ces points d’équilibre, faute d’un contexte favorable, "nous nous retrouvons contraints de repenser notre modèle économique."

La branche appelle en outre l’élaboration d’une "opération de grande envergure, qui renouvelle l’attractivité des cinémas. Souligner le fait qu’aller voir des films au cinéma reste une activité très accessible, notamment économiquement, mais aussi par son maillage territorial de salles, inégalé dans le monde. Redonner envie d’aller au cinéma, c’est aussi facilité l’accès au cinéma de catalogue, qui constitue les racines de la cinéphilie et de la Culture."

Le porte-parole a toutefois signalé l’"espoir" inspiré par les déclarations de Gaëtan Bruel, la veille, lors de la table-ronde consacrée à l’éducation à l’image et les politiques scolaires, en accompagnement du rapport Geffray. "Nous espérons qu’elles soient accompagnées d’une politique volontariste" de la part des ministères de la Culture et de l’Education nationale.

Sur un plan plus pratique, rejoignant là une revendication déjà exprimée par la Petite exploitation et qui sera l’un des fils rouges de cette journée de débats, la branche demande également une rationalisation du nouveau questionnaire art et essai et une clarification des premiers effets de la première phase de la réforme dédiée.

"Le cinéma a traversé de nombreuses crises par le passé. Seule une solidarité interprofessionnelle permettra de dépasser celle-ci, et assurer notre avenir."
 
Les CDAC dans le viseur de la Grande exploitation
Ce fut ensuite à la branche de la Grande exploitation de prendre la parole. Là aussi, la fréquentation est "préoccupante", a souligné la porte-parole Cathy Coppey, avec un repli annuel de 14% et de 37% par rapport à la moyenne 2017-2019. Une tendance baissière s'inscrivant dans la durée avec huit mois consécutifs de recul. Les exploitants font aussi face à des difficultés de trésorerie croissantes. "Adapter le modèle économique du secteur deviendra nécessaire si la fréquentation moyenne se mobilise autour des 180 millions d'entrées tout en surveillant les investissements nécessaires pour la modernisation des équipements et la gestion énergétique", prévient la rapporteure.

Concernant la réforme du classement Art et essai, son nouveau système de notation et la pondération sur les entrées, la branche a demandé des ajustements pour garantir l'équité du dispositif. "Les exploitants rencontrent des difficultés pratiques pour remplir les dossiers, notamment pour les établissements multisites.  Des améliorations sont souhaitées comme l'ouverture de la plateforme de saisie toute l'année, la révision de la part subjective dans l'attribution des primes et l'encouragement d'une plus grande objectivité basée sur la programmation et les données factuelles. La composition des commissions mériterait également un meilleur équilibre entre les différents types d'exploitation", a énuméré Cathy Coppey.

La branche salue le comité de concertation avec les distributeurs "dans l'espoir d'une meilleure compréhension." Si la première recommandation est considérée comme une avancée, elle est jugée insuffisante pour résoudre tous les dysfonctionnements. "Des divergences persistent entre exploitants et distributeurs sur l'application des recommandations, notamment le nombre de séances autorisées par multiplexe avec des distributeurs imposant leurs propres règles alimentant une rupture de confiance et la nécessité de compromis".

La branche a appellé à des engagements de distribution au même titre que ceux de programmation afin de réguler le marché du film en salles dans les zones à forte concurrence.

La grande exploitation a réagi également sur le sujet de la création de salles estimant une réforme de la CDAC plus que jamais nécessaire pour trouver un "meilleur équilibre entre toutes les salle". Elle a ainsi proposé de revoir les critères d'évaluation en CDAC afin de freiner la création de nouvelles salles "aggravant la concurrence et mettant en danger l'équilibre économique du secteur". La branche a demandé la réalisation d'études spécifiques par la FNCF ou CNC pour objectiver l'impact de la concurrence et mieux répartir les parts de marché en tenant compte des différences de modèles économiques entre les salles.

La grande exploitation a en outre salué les améliorations concrètes du rapport Geffray en matière d'éducation à l'image. "L'inclusion de tous types de salles, privées comme publics, dans les dispositifs scolaires est une priorité pour garantir l'accès à la culture pour tous", a souligné la rapportrice.

Sur l'aspect social, la branche a précisé que les négociations se poursuivent dans un contexte de baisse de la fréquentation. Les discussions portent sur les hausses salariales et les mesures sociales.
 
Laurent Desmoulins, président de la branche et directeur général chez CGR Cinémas, est également intervenu sur la distorsion de concurrence. "Certaines salles à proximité d'investisseurs privés sont lourdement subventionnées et peuvent se permettre de pratiquer des tarifs extrêmement bas, approche que nous sommes incapables de faire au regard de notre modèle économique." Ces sujets sont d'autant plus exacerbés par la fréquentation en forte baisse. Concernant la création de salles, le dirigeant a souligné que certains endroits ne nécessitaient absolument pas de nouveaux établissements. "Ce sont bien souvent des projets portés par les municipalités et à caractère associatif. Nous subissons ces arrivées dans des lieux où nous constatons une baisse de 35% de la fréquentation. Cela n'empêche des élus de vouloir développer des salles supplémentaires. Le maillage territorial est déjà suffisamment établi." 
Calendrier législatif
L’ouverture des débats à la salle ne fut pas, pour sa part, dénuée d’émotion, car ponctuée de témoignages pour certains poignants. Un texte lu par Xavier Orsel au nom des cinémas Cinéo, que nous avons relayé, a d’ailleurs provoqué une standing ovation. Au-delà, les problématiques posées par la réforme art et essai, le cas du cinéma non-commercial avec l’émergence de l’initiative gratuite CinéMo – avec un appel à la reprise des travaux visant à changer la législation cadre, interrompus par la crise sanitaire -, l’éducation à l’image et la concurrence entre salles publiques et parapubliques et grands circuits de centre-ville, objectivée par l’étude Hexacom, ont constitué le gros des interventions dans la salle.

Sur un plan plus prospectif, un point d’inquiétude a aussi émergé concernant l’approche d’un calendrier électoral chargé, aussi bien en local qu’en national, avec un possible renouvellement des élus. "De nouveaux élus peut-être moins enclins à la Culture", comme l’a souligné Guillaume Bachy, président de l’Afcae. "Je suis assez inquiet pour nos salles, qu’elles soient publiques, parapubliques, associatives, indépendantes… parce que le rapport va se tendre. Or, aujourd’hui, dans une économie fragile, nous avons besoin d’un soutien politique fort, et je ne suis pas sûr qu’à l’avenir, nous l’ayons."

Sylvain Devarieux et Florian Krieg
© crédit photo : SDE


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