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Digital

Lumière MIFC 2019 - Marché de la vidéo physique de patrimoine : les éditeurs contre-attaquent

Date de publication : 15/10/2019 - 08:30

Offrant une belle résistance dans un marché de la vidéo physique baissier depuis une dizaine d’années, l’édition de DVD et de Blu-ray voit chaque année sortir son lot d’objets collector trouvant preneurs grâce à l’inventivité de ses principaux acteurs. Et l’apparition de petits éditeurs vient compléter l’action des grands groupes. Mais hypothèques et défis à relever sont légion.

Le festival Lumière et le Marché international du film classique (MIFC) ont choisi cette année de lancer leur premier Salon des éditeurs de DVD et du Blu-ray qui s'est tenu en amont du MIFC,  le dimanche 13 octobre, mettant en relation éditeurs et cinéphiles, une grande conférence publique sur le thème “L’avenir du DVD et du Blu-ray : durable ou incertain ?” (Lire le compte-rendu de la table ronde du 13 octobre ici).

Une initiative voulue par Thierry Frémaux, grand collectionneur de supports physiques, afin de faire le point sur un sujet qui préoccupe l’ensemble du secteur, au vu d’un monde où la vague de la dématérialisation semble tout emporter sur son passage. Or le DVD est rapidement apparu comme un vecteur fondamental pour la transmission du patrimoine, le Blu-ray offrant des possibilités d’éditorialisation supplémentaires tout en rendant enfin justice aux qualités des restaurations -effectuées, tant pour l’image que le son.

De prime abord, la situation globale du marché de la vidéo physique est inquiétante, ce dernier perdant en moyenne 12% par an. “Il va atteindre encore 400 M€ cette année, mais il était quasiment à 2 Md€. Une vague digitale a pris le relais, cependant elle ne compense pas complètement la baisse du marché physique”, résume Dominique -Masseran, -directeur général de Fox Pathé Europa et président du -Syndicat de -l’édition vidéo numérique (SEVN). Le segment des séries -télévisées, qui représente environ un quart du marché, baisse très -rapidement en raison de l’énorme offre disponible, notamment sur les plateformes, la nouveauté étant aussi en décroissance. “Finalement, le secteur qui résiste le mieux, c’est le fond de catalogue, qui est, je le rappelle quand même, un très gros marché.” Ce terme marketing, surtout utilisé dans le domaine de la vente de biens culturels, désigne généralement de vieux titres encore en stock, englobant ainsi naturellement le film de patrimoine.

Bon indicateur de l’état de santé du secteur, la liste des -participants au MIFC voit apparaître régulièrement de -nouveaux éditeurs. Il y a deux ans, on assistait à la montée en puissance de ESC Distribution, notamment avec sa collection Hollywood Legends. L’an passé, c’est Coin de Mire Cinéma qui faisait une entrée réussie grâce à son positionnement haut de gamme sur les films français en déshérence. “Le contexte est dur, mais la profession n’a jamais été aussi mobilisée. Certes, nous avons tous la conviction que le marché ne se retournera pas mais, parallèlement, nous assistons à l’émergence de projets d’édition magnifiques. Chacun veut capter l’attention de celles et ceux qui continuent d’aimer ces supports physiques, car c’est une clientèle de plus en plus exigeante. Les quantités sont moindres, mais avec des produits de très haut niveau chaque éditeur a la possibilité de jouer sa partition. C’est très tonique”, analyse Pierre Olivier, directeur home entertainment et catalogue chez TF1 Studio, parlant avec sa casquette de cosecrétaire du Syndicat des catalogues de films de patrimoine (SCFP), créé en début d’année par les principaux cataloguistes.

Evénementialiser les sorties

Le fait est que, dans le domaine du cinéma de patrimoine, le coffret luxueux que l’on peut ranger dans sa bibliothèque aux côtés d’éditions rares semble avoir de beaux jours devant lui. “Nous avons toujours suivi les nouveaux supports. Nous sommes l’un des premiers indépendants à avoir sorti du Blu-ray”, précise Vincent Paul-Boncour pour Carlotta Films, qui a fêté ses 20 ans l’an passé (cf. entretien p.27). “Cela tient à notre rapport à la cinéphilie, mais aussi au fait de suivre les évolutions de la technologie et les nouvelles générations de cinéphiles. Il y a l’envie d’éditorialiser et d’accompagner au mieux les œuvres. Nous développons aussi de plus en plus le côté collection au travers d’objets qui se situent entre le livre et le DVD.” Carlotta vient ainsi de ressortir Christine (1983) de John Carpenter en plusieurs versions, dont un coffret “ultra collector” au tirage limité, comprenant le film en combo -Blu-ray 4K, Blu-ray et DVD, des suppléments, un making of en trois parties et deux scènes coupées, le tout accompagné d’un livre inédit de 200 pages. Il sera suivi, le 13 novembre, par -Donnie Darko (2001) de Richard Kelly, qui bénéficiera d’une version tout aussi luxueuse. En novembre dernier, Wild Side sortait 1900 (1976) dans un packaging hors norme, une édition limitée incluant trois Blu-ray et trois DVD, avec des bonus conçus pour l’occasion, dont un entretien avec Bertolucci. “Depuis la sortie de La nuit du chasseur en 2012, qui a été un immense succès, en rupture de stock au bout de 15 jours, nous -cherchons à --événementialiser nos sorties”, souligne Aurore -Malétras, responsable marketing et collections. Malavida, qui vient seulement de faire sa toute première -édition Blu-ray cette année avec Le bateau phare (1985) de Jerzy Skolimowski, a développé toute une collection de DVD de patrimoine en les travaillant comme des beaux objets sous forme de digipacks, avec des livrets très nourris comprenant notamment des rééditions d’articles d’époque. Une politique payante : “Nous observons un maintien, voire une légère hausse des ventes cette année, note Anne-Laure Brénéol, directrice du pôle cinématographique. Il y a une sorte de petit regain, au-delà du fait que la tendance générale soit à la stabilité.”

Parmi les sorties de l’an passé, celle du coffret collector Memories of Murder de Bong Joon-ho, en juillet 2018 par La Rabbia, a suscité un véritable engouement. “On en a vendu -quasiment 10 000 à l’heure actuelle, mais je pense que c’est hors norme, tempère Manuel Chiche, fondateur de La Rabbia. Il y a eu d’abord la découverte en salle du film, par un public qui ne l’avait jamais vu, et puis nous avons effectué tout un accompagnement éditorial. C’était donc une édition d’exception pour un film datant de 2003. Aujourd’hui, nous avons un peu cette nouvelle donne qu’un film peut devenir un classique au bout de dix ans.”

Nouveau venu dans le secteur, Coin de Mire Cinéma est né de la passion de son créateur, Thierry Blondeau, collectionneur boulimique de films dont la sélection personnelle atteint les 12 000 titres. Jusqu’ici le passionné vendait et louait des grues et des excavatrices de chantier dans l’océan Indien. “J’ai été un peu pris pour un extraterrestre en me lançant dans l’édition haut de gamme, mais j’ai la conviction qu’il y a un marché pour ce type de cinéma et que ce n’est pas près de s’arrêter. J’ai envie de contribuer à faire revivre des films dont les gros éditeurs n’ont plus envie de s’occuper car ils considèrent qu’il n’y a pas assez de potentiel.” Son credo, remonter à la source sur des films un peu en déshérence et dont la majorité n’a jamais été éditée y compris en VHS. Chaque titre de sa collection La Séance, fait l’objet d’un coffret digibook inédit comprenant la version HD de l’œuvre sur DVD et Blu-ray, un livret cousu au boîtier reproduisant des archives du film ainsi qu’une affiche originale et une dizaine de photos d’exploitation. Coin de Mire présentera lors du MIFC six nouvelles sorties, dont Le baron de l’écluse (1960) de Jean Delannoy, et sortira en fin d’année une édition premium de La vérité (1960) d’Henri-Georges Clouzot, absent du coffret édité par TF1 en 2017, ses droits étant encore détenus à l’époque par René Chateau Vidéo dont les activités perdurent.

L’effet Collection

Et les grands éditeurs ne baissent pas les bras, bien au contraire. Pathé a sorti le 28 août Apocalypse Now Final Cut dans une édition limitée Blu-ray 4K UHD à la hauteur de l’événement que représente ce nouveau montage restauré, projeté en -clôture de Lumière en présence de Francis Ford Coppola. Quant à la collection Pathé Restaurations, lancée en 2013, elle se présente sous la forme de combos DVD/Blu-ray. Quatre films de René Clair, Le silence est d’or (1947), Le dernier milliardaire (1934) ainsi que les moyens métrages Paris qui dort et Entr’acte (1924) rejoindront la collection le 23 octobre. Chaque tirage est de 3 000 exemplaires, mais une fois la mise en place initiale écoulée, l’éditeur ressort ses titres séparément, à la fois sur support DVD et sur Blu-ray. “Au-delà d’une communauté pointue qui recherche du qualitatif, il existe également des consommateurs moins réguliers, qui seront plus sensibles au prix qu’à l’aspect bel objet. Il est important de ne pas les oublier”, explique Marine Dabezies, responsable vidéo et VàD chez Pathé avec Margot Abattu.

Hormis quelques exceptions, l’effet collection joue un rôle de courroie d’entraînement. En octobre 2020, Gaumont fêtera les dix ans de sa collection Gaumont Classiques qui a écoulé à ce jour près de 1 million d’unités, environ un tiers des ventes étant effectué sur support Blu-ray. Et Gaumont Découverte dépasse les 600 000 DVD et 210 000 Blu-ray vendus. “C’est clairement un marché sur lequel on constate une légère baisse, mais elle peut être compensée par la force et la puissance d’une œuvre. Et on a toujours des surprises, commente Jérôme -Soulet, directeur du département vidéo, télévision et nouveaux médias. Je me souviens toujours du Franciscain de Bourges (film de Claude Autant-Lara de 1968, Ndlr) sur lequel je n’aurai pas parié. Or il se situe dans les six meilleurs ventes de Gaumont Découverte. On est sur 7 302 unités.”

En septembre 2018, -Studiocanal lançait la collection Make my Day, sous l’impulsion de son directeur vidéo et VàD France, Olivier Valton, qui en raconte la genèse. “Nous avons la particularité d’avoir un énorme catalogue, avec des films qui se vendent très bien, d’autres étant moins bien exploités. Nous avons donc tenté de valoriser cette part de notre catalogue. Ce travail est passé par la négociation des droits mais aussi par une restauration du matériel. Nous avons ainsi établi une liste de titres et trouvé une ligne directrice en nous associant avec Jean-Baptiste Thoret. Make my Day, ce sont donc ses goûts et ses envies autour de titres connus ou méconnus. Des choix assumés et expliqués au travers de bonus.” La collection s’est ouverte avec des titres tels que Max mon amour (1986) de Nagisa Ôshima, Aux frontières de l’aube (1987) de Kathryn Bigelow, Six femmes pour l’assassin (1964) de Mario Bava et Sans mobile apparent (1971) de Philippe Labro. Elle devrait à terme compter une cinquantaine de titres. Chaque film représente une moyenne de 1 000 ventes, la stratégie retenue étant de ne pas baisser les prix rapidement, contrairement à ce qui se pratique dans le marché de la nouveauté. “On s’adresse à un public, qui est prêt à mettre le prix si le produit est là.” Et Olivier Valton de citer l’exemple, hors -collection, du somptueux coffret Melville, sorti en octobre 2017, dont 3 000 exemplaires ont été vendus alors que le prix à l’unité dépasse les 100 €.

La distribution dépend des réseaux spécialisés

“C’est un marché d’offre et d’exposition, explique Jérôme -Soulet. Or la vraie difficulté que rencontre aujourd’hui un éditeur, c’est sa capacité de faire en sorte que ses produits se retrouvent dans des rayons. Le marché global étant baissier, les rayons s’amoindrissent en mètres linéaires.” Circonstance aggravante, la disparition d’une enseigne comme Virgin. L’édition patrimoniale dépend donc des réseaux spécialisés de la Fnac, de Gibert ou encore des espaces culturels Leclerc, réputés pour jouer le jeu à fond. Des paramètres sur -lesquels les éditeurs peuvent difficilement faire levier. Le risque, en cas de retrait de ces enseignes, étant de voir le marché se concentrer autour d’une niche ultraspécialisée qui se tiendra au courant des sorties via des forums ou des publications spécialisées comme Les Années Laser. Par ailleurs, hormis sur Arte, où le cinéma de patrimoine offre d’ailleurs de très beaux scores d’audience, les classiques ont quasiment disparu des écrans du service public. “Plus un film est diffusé en télévision, plus nos ventes augmentent -derrière, parce que les gens veulent avoir l’objet chez eux, sur leurs étagères. C’est un réflexe qui perdure encore chez certains, rappelle Serge Sarve pour LCJ éditions. Pendant longtemps, on ne souhaitait pas que nos films soient diffusés sur les chaînes afin de pouvoir les vendre en DVD. Aujourd’hui c’est le contraire.” Du côté des fabricants de matériel, des signaux contradictoires commencent à apparaître, le Blu-ray pouvant bien être le dernier format optique de l’Histoire. En février dernier, Samsung annonçait en effet officiellement qu’il ne produirait plus aucun nouveau lecteur Blu-ray, 1080p comme 4K. Mais parallèlement d’autres constructeurs, tels que Panasonic et plus récemment Pioneer, ont adopté le format, synonyme d’excellence pour le home cinema. Pour le moment, la résistance passe par la créativité débridée des éditeurs. “Ce marché est une équation à plusieurs inconnues, mais avec du pragmatisme, de la persévérance et beaucoup de passion, on devrait pouvoir y arriver”, résume Aurore Malétras.

Une valeur d’entreprise

Pourtant, les grands groupes ne seront-ils pas tentés un jour de laisser choir une niche permettant de vendre à peine quelques milliers de titres ? “Il ne faut pas faire le raccourci ‘les gens n’achètent plus de DVD, donc on arrête de faire du support’, répond Pierre Olivier. Il y a encore un intérêt pour le patrimoine. Or le DVD et le Blu-ray jouent un rôle majeur pour des films peu visibles à la télévision et largement oubliés des plateformes, hormis celles un peu spécialisées.” Même opinion du côté de Pathé. “Nous avons mis en place une vraie politique éditoriale de valorisation du patrimoine. C’est une valeur d’entreprise, une volonté de mettre en avant ce patrimoine en le restaurant, que nous continuerons à mener quoi qu’il arrive. Le facteur commercial n’est absolument pas décisif”, affirme Margot Abattu. Et TF1 studio, qui a réorganisé son activité vidéo l’année dernière, essentiellement sur le secteur de la nouveauté, et poursuit sa collection Héritage, vient de passer des accords avec Coin de Mire et plus récemment avec Le Chat qui Fume et Tamasa pour éditer certains titres. “Comme nous avons décidé de nous recentrer sur l’édition vidéo physique ou digitale de film frais, nous avons choisi de passer des accords avec des tiers, dont le travail nous donne totalement satisfaction, sur des typologies de films de répertoire très précises”, confirme Pierre Olivier pour TF1 studio.

Maintien des aides à la numérisation du CNC et soutien via le mécénat

Le marché est aussi confronté à la nécessité de conquérir un public plus jeune, le cinéma de patrimoine représentant un enjeu éducatif majeur. Le SCFP entend mener des discussions en ce sens avec le ministère de l’éducation nationale en attendant les conclusions de la députée Aurore Bergé, nommée en septembre en mission auprès de Franck Riester pour “définir les objectifs, les principes d’action et les leviers d’une politique d’émancipation artistique et culturelle renouvelée”. Mais l’hypothèque majeure pesant sur le secteur reste la baisse drastique des aides du CNC, voire leur arrêt complet dans les projections les plus pessimistes, le fonds de réserve numérique étant épuisé. “Numev, qui est notre aide sélective à la numérisation et à la diffusion des œuvres cinématographiques du patrimoine en vidéo et en VàD, se poursuivra sur le long terme”, rassure le directeur du patrimoine du CNC, Laurent Cormier. Même réponse pour l’aide sélective à la numérisation des œuvres du patrimoine, qui aura eu deux sessions en 2019. “Le CNC s’est engagé, à l’avenir, à maintenir à leur niveau actuel le versement d’aides directes. Mais il est indispensable qu’en complément de ce dispositif d’aide à la numérisation et à la restauration, d’autres partenaires, entreprises comme particuliers, viennent apporter leur soutien à la préservation du patrimoine cinématographique dans le cadre d’une démarche de mécénat.” C’est en ce sens que le Centre, après autorisation du ministère de l’Économie et des Finances, a été autorisé à rechercher des recettes de mécénat auprès des entreprises comme des particuliers. Des échanges ont eu lieu en ce sens avec la filière sur le cadre de mise en œuvre d’une telle action. “Nous nous sommes mis d’accord sur un cadre contractuel global pour les ayants droit qui souhaiteraient s’inscrire dans cette démarche, en partenariat avec le CNC. Ainsi, des listes de films du XXe siècle ayant besoin d’une restauration adaptée aux technologies actuelles de diffusion seront proposées aux mécènes potentiels, en lien étroit avec leurs ayants droit.” Un dispositif déjà opérationnel, bien qu’il n’ait pas encore été notifié à la profession, l’appel à projets étant disponible sur le site du CNC.

Patrice Carré
© crédit photo : Jean-Luc Mège


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