Digital

Lumière MIFC 2021 - L'AVOD : une aubaine pour les films classiques ?

Date de publication : 13/10/2021 - 08:48

Face à la multiplication des plateformes de streaming, l’éventualité de bénéficier de tarifs réduits voire de la gratuité séduit de plus en plus d’internautes prêts à visionner des spots publicitaires pour satisfaire leur fringale de films et de séries. Plus que jamais, les programmes vont devenir un nouvel enjeu stratégique.

Il est des lieux cachés à ciel ouvert. C’est le cas de -certains films de patrimoine sur Netflix, par exemple. Récemment, la plateforme américaine a ainsi mis en ligne, dans l’indifférence générale, une collection impressionnante de films scandinaves. Des classiques signés Carl Theodor Dreyer ou Mauritz Stiller, souvent en noir et blanc et parfois muets, ainsi que des œuvres moins prestigieuses des années 1950 à 1980. Un véritable pactole difficile à dénicher, alors même qu’il est proposé dans des versions superbement restaurées, mais qu’il faut une bonne loupe pour détecter son identité. Voici l’un des secrets les mieux gardés du service de streaming, qui semble se moquer que ses abonnés aient à se perdre dans ses abysses pour y dénicher ces trésors cachés dont il a l’air d’avoir honte. Pourtant, -Netflix contribue ainsi à perpétuer la flamme ténue du patrimoine sans miser sur sa rareté et son prestige. Comme s’il s’agissait là d’un cabinet maudit et bien peu fréquentable.

Ce pactole correspond toutefois à une exigence légale : le décret relatif aux Services de médias audiovisuels à la demande (Smad), entré en vigueur le 1er juillet, en attendant une modernisation de la chronologie des médias davantage en phase avec les nouvelles pratiques de consommation. “Certaines plateformes procèdent par anticipation de quotas, explique Jérôme Soulet, le directeur du catalogue de Gaumont. 30% des œuvres devront être d’expression originale européenne. D’où l’acquisition récente par Netflix d’un fort volume de classiques destinés à enrichir ce quota. Le CSA a demandé aux plateformes de se conventionner dans un délai de quatre mois, donc elles vont définir leurs obligations de financement mais aussi d’exposition. En 2020, nous avons conclu un accord en France avec Amazon Prime Video sur tous les films d’Yves Robert, de même que sur ceux de Maurice Pialat, dont ils nous ont demandé une partie des droits en exclusivité parce qu’ils communiquaient dessus et ne voulaient pas que leur campagne soit polluée par la concurrence. C’est le grand écart, mais ils ont une approche très rationnelle et s’adressent à des cibles qu’ils savent identifier. La prochaine étape consistera à voir comment Disney va intégrer le cinéma français de patrimoine dans son offre…”

Régulièrement redécouvert, le cinéma de répertoire est devenu en quelques années une manne providentielle qui dynamise l’édition DVD-Blu-ray grâce au phénomène des restaurations. La problématique est quelque peu variable sur les plateformes de vidéo à la demande, SVOD (Subscription Video on Demand, soit la VOD par abonnement) et AVOD (Advertising Video on Demand, financée par la publicité) qui observent des politiques très diverses vis-à-vis du patrimoine. Il y a les opérateurs mondialisés comme Netflix, Amazon Prime Video ou Disney+ pour lesquels il s’agit davantage d’une variable d’ajustement et d’une contrainte statutaire, ceux dont c’est le fonds de commerce comme La Cinetek, et ceux qui le mettent en valeur grâce à une politique éditoriale dynamique, qu’il s’agisse -d’UniversCiné, du Vidéo Club de Carlotta Films ou de Filmo TV. Selon Jean Ollé-Laprune, le directeur cinéphile de cette dernière, “nous devons avoir dans notre offre VOD 12% à 15% de films antérieurs à 1970. En SVOD, nous proposons tous les mois à peu près 850 titres, dont 250 sont antérieurs à 1970. Nous les gardons 12, 18 ou 24 mois, mais le renouvellement est permanent. On estime par ailleurs que 30% des gens qui visionnent une œuvre regardent aussi ses bonus. Il y a aussi un effet de niche indéniable, la programmation de certains films entraînant le visionnage de certains autres. Au moment de la mort de Belmondo, nos spectateurs se sont ainsi précipités sur sa filmographie, mais ils sont moins allés regarder Un singe en hiver (photo) que Par un beau matin d’été qui est tout de même moins connu”.

C’est en juin 2020 que le streaming a commencé à dépasser la télévision linéaire en durée de consommation moyenne sur le continent européen. Le confinement a provoqué une accélération de cette tendance constatée notamment au Royaume-Uni (59%), en France (55%) et en Espagne (52%), où la progression enregistrée par rapport au mois de janvier 2020 a été respectivement de +36%, +19% et +27%. “Aujourd’hui, explique Jérôme Soulet, la véritable bataille se situe entre la VOD et la SVOD, sous la forme de la fameuse AVOD qui pratique des coupures publicitaires à l’intérieur même des programmes. On est donc sur un modèle disruptif en termes de continuité narrative. Les plateformes de SVOD commencent pour leur part à demander une protection contre la VOD, ce qui n’est pas illégitime, bien que ça reste discutable.”

LES JEUNES GENERATIONS PLUS RECEPTIVES A L’AVOD

Au sein de l’offre, la progression de l’AVOD (+29%) s’est révélée beaucoup plus rapide que celle de la SVOD (+13%) pour devenir le premier service de vidéo à la demande en temps de visionnage. Ce qui incite les spécialistes à lui prédire un bel avenir, dans la mesure où il s’agit d’un service de streaming financé par les rentrées publicitaires, dont YouTube a été la pionnière, et qui permet de mieux cibler une audience de masse. Aux États-Unis, Hulu propose à ses abonnés depuis 2015 de diminuer de moitié le prix de leur abonnement en échange de quelques coupures publicitaires. Un marché dont la progression n’a cessé de s’accroître avec l’arrivée de Peacock de Comcast-NBCUniversal, du service de SVOD sur mobile Quibi, mais aussi de Tubi (acquis par la Fox pour 440 M$ en 2020), de Pluto TV (qui appartient à ViacomCBS Networks International), The Roku Channel, Xumo (racheté par Comcast), Plex (Apple TV), Rakuten TV et le service IMDb TV (ex-IMDb Freedive, propriété d’Amazon). Début 2020, une étude menée par The Trade Desk révélait que 53% des consommateurs américains étaient disposés à subir des spots promotionnels pour faire baisser les tarifs des services de streaming. Un pourcentage qui n’a fait que progresser depuis et indique un changement de paradigme. Les jeunes générations considèrent la gratuité comme un dogme acquis dont découle le piratage. Elle est donc plus réceptive aux sirènes de l’AVOD qu’aux pratiques de la VOD traditionnelle.

Selon les experts de Digital TV Research, en 2024, le marché -mondial de ces plateformes gratuites devrait peser environ 50 Md$ dans 138 pays, les États-Unis et l’Asie étant aujourd’hui les plus dynamiques. Le cabinet Ampere Analysis table, quant à lui, sur plus de 62 Md$ au même horizon. Cette croissance est aussi la conséquence de la politique des annonceurs qui consiste à délaisser la télévision linéaire au profit de la vidéo à la demande que la pandémie a boostée. Reste que l’AVOD fonctionne sur un modèle économique en vase clos dans lequel les recettes publicitaires sont réinvesties dans la production et l’acquisition de contenus. C’est le pari actuel des services de replay gratuits de TF1, Arte et France Télévisions, qui se livrent une nouvelle guerre sur ce terrain en friche en proposant désormais de plus en plus de contenus exclusifs, dont des films non programmés à l’antenne, afin de fidéliser un public plus habitué à surfer sur internet qu’à zapper sur les chaînes de télévision.

TOUCHER DES PUBLICS DIFFERENTS

Selon Vincent Paul-Boncour, le directeur de Carlotta Films, l’un des acteurs majeurs du 7e art de patrimoine indépendant, “La Cinetek et Filmo TV, par exemple, doivent obtenir la renommée que possèdent déjà France Télévisions et Arte à travers leurs chaînes de télévision. La notoriété des canaux TV est cruciale, mais elle ne vient pas du jour au lendemain. La VOD est aussi un moyen supplémentaire de toucher des amateurs de cinéma de patrimoine qui s’intéressent déjà à la salle, au DVD-Blu-ray et au petit écran. Car plus on les verra, sur quelque média que ce soit, plus on touchera des publics différents que l’on va développer, ce qui a le double avantage d’accroître la diffusion et de renforcer la transmission. L’inconvénient pour les ayants droit, c’est que les budgets d’acquisitions sont réduits en conséquence et que l’audience véritable reste encore assez floue”. C’est dans cet esprit que, le 9 juin dernier, Wild Bunch a lancé, en partenariat avec Filmo TV, sa propre offre AVOD, baptisé Wild Side TV et disponible sur Samsung TV Plus, un service accessible sur les Smart TV Samsung 2016-2021 et sur certains smartphones et tablettes Samsung Galaxy, mais aussi sur Molotov et Pluto TV. Avec à l’appui, un catalogue maison riche en classiques restaurés.
“CTV : anticiper le futur”, une étude publiée par Harris Interactive en février 2021, a révélé que 78% des consommateurs français pratiquent le streaming au moins une fois par semaine, dont près de la moitié une fois par jour, l’AVOD représentant 62% de ce volume contre 58% pour la SVOD. 70% des utilisateurs opteraient par ailleurs pour un abonnement financé par la publicité si on le leur proposait. 64% des accros de la télévision connectée (CTV) affirment accomplir une action concrète après y avoir vu une publicité, ce qui ressemble à une aubaine en termes de marketing. Selon Vincent Paul-Boncour, “il y a aussi une versatilité de plus en plus grande du public face à la recrudescence des offres à sa disposition, ce qui le rend de plus en plus difficile à convaincre et à conserver. C’est autant un enjeu pour les grosses plateformes comme Amazon Prime Video et Netflix où la déperdition est plus forte que pour les sites indépendants. C’est tellement facile de s’inscrire et de se désinscrire que les gens vont et viennent sans arrêt. Il y a donc une fidélité moins forte du spectateur par rapport aux autres médias, tant il est aisé de passer d’une plateforme à une autre.”

Cette offensive vise également les chaînes à s’arroger une partie du pactole publicitaire digital trusté jusqu’alors à près de 70% par Google et Facebook. Une proportion en augmentation permanente qui est en passe de devenir un enjeu prioritaire. Dans ce combat de titans, le cinéma va donc être un objectif majeur et la course aux films va s’intensifier, avec une prime au patrimoine, pour peu qu’il soit reconnu et restauré. Plus l’AVOD gagnera de terrain sur les services de vidéo à la demande concurrents, plus elle sera en mesure d’élargir son offre. Et là, le cinéma de répertoire constituera une manne dont la valeur marchande pourrait augmenter en conséquence, comme cela a été le cas lorsque les chaînes de télévision se sont multipliées en devenant de plus en plus voraces. Il s’agit là d’un cycle inéluctable qui ne fait que se répéter au fur et à mesure de la prolifération des nouveaux moyens de diffusion. Pour peu que les cataloguistes acceptent de jouer le jeu sans avoir nécessairement à baisser leurs tarifs, ou peut-être en négociant des aménagements au prorata de la fréquentation de ces sites appelée à exploser… Vincent Paul-Boncour tient toutefois à tempérer cet enthousiasme : “La VOD reste tout de même très marginale dans l’ensemble de l’écosystème et de la chaîne des droits que nous représentons. On se heurte toujours à l’écueil de trouver un vrai marché pour le patrimoine sur lequel nous travaillons, à savoir celui de la diversité. L’offre est abondante et éditorialisée, mais on sent qu’on a une conversion de la cinéphilie du patrimoine telle qu’on la travaille qui a toujours du mal à exister en VOD par rapport à tous les autres médias.” Reste une autre question déontologique épineuse à résoudre : les ayants droit accepteront-ils de voir les œuvres du patrimoine saucissonnées par la pub, sous peine d’être dénaturées ? Rien n’est moins sûr dans un pays qui considère encore le cinéma comme le 7e art.

Jean-Philippe Guérand
© crédit photo : Tamasa


L’accès à cet article est réservé aux abonnés.

Vous avez déjà un compte


Accès 24 heures

Pour lire cet article et accéder à tous les contenus du site durant 24 heures
cliquez ici


Recevez nos alertes email gratuites

s'inscrire