Cinéma

Cannes 2025 – Pauline Loquès, réalisatrice de "Nino" : "Je voulais sauver un personnage, à défaut d’avoir pu sauver quelqu’un dans la vraie vie"

Date de publication : 20/05/2025 - 10:30

Ce premier long métrage, qui puise ses sources dans un épisode de vie personnel vécu par la cinéaste, fait partie de la compétition de la Semaine de la Critique.

Comment décrire Nino en quelques mots ?
Nino raconte trois jours dans la vie d’un jeune homme soudainement confronté à la maladie. Le film le suit dans ses déambulations, retrouvailles et rencontres à travers Paris, et explore avec lui les petits et grands moments de ces jours d’attente avant le début de son traitement.

Comment vous est venue l'idée de cette errance ?-
J’ai perdu un proche d’un cancer il y a quelques années, un jeune homme sur qui un cancer s’est subitement abattu. Bouleversée et amère, je me suis mise à écrire, pour retrouver l’espoir et la foi dans la vie. Le personnage de Nino m’est un peu tombée dessus, comme une rencontre au coin d’une rue. Un peu comme si j’avais aperçu ce jeune homme aux vêtements un peu trop larges et au regard baissé et que j’avais décidé de le suivre, au gré de son errance, sans savoir où il irait. J’avais cependant un désir fort : l’amener vers la lumière. Je voulais sauver un personnage à défaut d’avoir pu sauver quelqu’un dans la vraie vie.

Un lien quelconque avec La vie de jeune fille ?
La vie de jeune fille se déroulait déjà sur une temporalité réduite, le temps d’un week-end d’enterrement de vie de jeune fille. Cela tient sûrement à mon amour pour les récits chroniques au cinéma ! Je me suis ensuite rendu compte que les deux films étaient centrés sur des personnages qui ont du mal à annoncer une nouvelle réalité douloureuse à leurs proches. Je crois que j’aime explorer l’idée que tant que les choses ne sont pas dites, elles n’existent pas.

Comment avez-vous rencontré votre productrice Sandra da Fonseca ?
C’est après avoir découvert mon court-métrage sur Arte que Sandra a proposé qu’on se rencontre. Je connaissais son travail car elle avait produit Jeune Femme de Léonor Séraille, que j’avais adoré. La connexion a été immédiate entre nous. Elle m’a rapidement questionné sur mes désirs de long-métrage. Passer au long après avoir fait un seul court me paraissait ambitieux, mais Sandra m’a vraiment donnée confiance en m’en croyant capable. Je crois intimement que je n’aurais jamais fait ce film sans elle. Elle a porté toutes les étapes du film avec passion et détermination.

Le film fut-il difficile à financer ?
Un premier film est toujours un pari, mais nous avons eu de la chance, beaucoup de partenaires ont vu la promesse du film, notamment dans la révélation de l’acteur Théodore Pellerin mais aussi des comédiens et comédiennes qui l’entourent qui étaient attachés très tôt au projet. On avait parié sur ce travail précoce de casting sachant que l’incarnation était une des parties importantes de l’identité du film.

Vous avez développé le scénario seule. Quelles ont été les principales étapes ?
J’ai essayé de passer par les étapes classiques de l’écriture scénaristique : synopsis, traitement, séquencier, mais elles me sont rapidement apparues trop contraignantes, presque absurdes pour ce projet.  Un peu comme si je décidais pour Nino des grandes étapes de son errance avant que lui ne se mette en mouvement. Pendant de longs mois, j’ai donc écrit vraiment à l’instinct, dès que je me sentais inspirée ou suffisamment à l’écoute de Nino et des autres personnages. Cela prenait la forme de scènes, de dialogues, d’airs de musique. Ensuite il a fallu les assembler, leur donner une progression. J’ai été accompagnée par des consultations avec une scénariste très fine et délicate, Maud Ameline. Ensemble nous avons précisé la temporalité du film, mis de l’ordre dans ses rencontres, cherché du sens dans les scènes.

Comment avez-vous choisi votre comédien principal ? Puis les autres ?
J’étais tellement attachée à mon personnage pendant l’écriture que je n’arrivais à projeter aucun acteur dans le rôle ! C’est ma directrice de casting, Youna de Peretti, qui a eu l’instinct de me faire rencontrer Théodore Pellerin. J’ai su qu’il incarnerait Nino dès la première seconde ! Au-delà d’être un acteur prodigieux, j’ai immédiatement aimé le contraste entre sa grande sensibilité et sa carrure majestueuse. Je voulais que la vulnérabilité de ce personnage ne soit qu’intérieure, que la maladie s’attaque à un corps vaillant... Le personnage est assez taiseux, tout ce qu’il va être amené à vivre pendant ces trois jours est de l’ordre de l’intime. Théodore est capable d’une très grande subtilité dans son approche du jeu, il nous donne à voir les minuscules variations intérieures du personnage.
Je l’ai entouré de jeunes acteurs et actrices singuliers, extrêmement attachants, et très sensibles ! Salomé Dewaels, William Lebghil, Camille Rutherford, ont tous refermé le scénario en étant très touchés par le personnage de Nino. Je crois qu’ils sont aussi venus sur le film pour rencontrer et accompagner ce personnage dans son chemin.

Ou et quand avez-vous tourné en Ile de France ?
Nous avons tourné en octobre-novembre 2024 dans le nord-est de Paris, dans le 19e arrondissement. Place des Fêtes, Jourdain, Jaurès, des quartiers où je vis depuis 20 ans, qui n’ont rien du Paris de carte postale ! Je voulais montrer une ville en changement et en chantier perpétuel, un peu à l’image de l’existence où il faut régulièrement faire table rase, combler et reconstruire. Je voulais montrer une très grande ville, plus grande que soi, à laquelle on doit s’adapter, peu importe ce qu’on est en train de vivre. Nino reçoit cette annonce de cancer, c’est un grand coup un coup d’arrêt, mais la ville, elle, ne cesse ni son rythme, ni son tumulte. Il est une vie parmi d’autres.

Avez-vous fait des choix particuliers en tant que réalisatrice ? Aviez-vous une méthode de travail spécifique liée à votre sujet ?
Ma méthode de travail repose sur l’amour, la bienveillance, et le respect !  Il était fondamental pour Sandra et moi que ce film sur la maladie d’un jeune homme, qu’on souhaitait doux et délicat, soit fabriqué dans l’atmosphère la plus sereine possible. Tous ceux et celles qui ont fabriqué le film, de la préparation à la post-production, ont travaillé dans la joie et la gentillesse. J’ai mesuré à chaque étape la chance qui m’était offerte de pouvoir réaliser un long-métrage, j’ai voulu en profiter en étant la plus reconnaissante possible. J’ai donc tenu à assurer chaque personne présente de ma confiance. Sur mon plateau ou en salle de post-prod, il n’y a pas d’objectif de performance, on ne cherche pas à atteindre à tout prix à une idée que j’ai en tête. J’essaie de créer un espace d’échange riche, dans lequel on cherche la connexion organique et l’émotion juste.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières pendant le tournage ?
Le tournage s’est merveilleusement bien passé ! Et je le dois certainement à une équipe de production investie et enthousiaste qui m’a peut-être protégée de certaines difficultés rencontrées. 

Quand le film a-t-il été terminé ?
Le film s’est terminé le 2 mai 2025, soit quinze petits jours avant la projection cannoise.

Qu'attendez-vous de cette sélection pour la Compétition de la Semaine de la Critique ?
La Semaine de la Critique était mon endroit rêvé pour présenter le film. Je suis une grande spectatrice de cinéma français contemporain, et la Semaine est chaque année une mine d’or pour découvrir de nouveaux cinéastes du monde entier. A titre personnel, c’est aussi un endroit qui a contribué à faire émerger beaucoup de réalisatrices qui m’ont inspirée : Valérie Donzelli, Justine Triet, Julia Ducournau, Rebecca Zlotowski, Hafsia Herzi... Les voir réussir à porter leurs œuvres puissantes jusqu’au Festival Cannes, cela m’a donnée de la confiance en tant que jeune réalisatrice. La Semaine de la Critique, c’est un coup de projecteur pour un premier film d’autrice comme le nôtre. Être accompagné par une équipe aussi bienveillante et aimante que celle de la Semaine, c’est un vrai cadeau.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR


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