Cinéma

Annecy 2017 - Marcel Jean : "Inédit, le film Netflix 'Blame!' aurait été un candidat solide pour la compétition"

Date de publication : 13/06/2017 - 08:26

Le délégué artistique du Festival dévoile les temps forts de sa 5e sélection, revient sur le retrait du film chinois Have a Nice Day suite à des pressions officielles et révèle ce qui pourrait être "la doctrine Netflix" d'Annecy.

Peut-on parler à ce stade de grandes tendances pour cette édition 2017 ?
Pour les longs métrages, on remarque nettement que la sélection est très polarisée entre deux tendances qui semblent dos à dos. D'un côté, la présence d'un cinéma de divertissement destiné prioritairement à un public assez jeune, et de l'autre, un cinéma très politisé. C'est le cas notamment pour Téhéran Tabou d'Ali Soozandeh qui était déjà à Cannes, mais aussi pour In This Corner of the World de Sunao Katabuchi qui aborde Hiroshima. Nous avons un autre film japonais, A Silent Voice de Naoko Yamada, qui nous parle de suicide et d'intimidation.
On retrouve un peu la même chose pour les courts métrages. Le thème de la migration y est très présent, notamment avec des films réalisés par des cinéastes qui sont eux-mêmes des migrants, ou par d'autres qui s'intéressent de près à cette question. Et d'autre part, il y a toute une mouvance beaucoup plus formaliste qui contraste avec ces films très politiques.

Cette année, le pays mis à l'honneur est la Chine. Comment avez-vous construit ce focus et sur quels critères ?
Un certain nombre de facteurs nous ont amenés à nous pencher sur la production chinoise. Nous avons remarqué depuis 2010 que des auteurs, avec des voix très singulières, apparaissaient à travers des courts métrages. Ils avaient en commun d'évoluer dans le spectre de l'art contemporain plutôt que dans celui du cinéma, en étant projetés dans des galeries ou des musées, tout en étant sélectionné dans les festivals de films d'animation à travers le monde.
Par ailleurs, depuis environ cinq ans, nous avons constaté une amélioration notable de la qualité de l'animation industrielle. Des studios comme Light Chaser par exemple, commencent à produire des films dont le niveau technique n'avait rien à envier à celui des grands studios occidentaux. Il y avait donc une vraie diversité que nous avons souhaité mettre en lumière afin de montrer que la production chinoise, bien loin d'être un bloc monolithique, allait dans des directions très diverses.
On peut ajouter à cela que l'animation chinoise possède une véritable histoire, puisque les studios de Shanghai existent depuis plus de 50 ans. Mais toute cette production est assez occultée car en fin de compte, peu de copies circulent en occident, la France étant assez privilégiée puisque Marie-Claire Kuo-Quiquemelle (historienne et sinologue, Ndlr) s'est énormément investie pour faire connaître le patrimoine de l'animation chinoise. Par ailleurs, cette histoire n'est pas mise en valeur en Chine. Quand nous avons commencé à construire cette rétrospective nous avons constaté que, pour nos interlocuteurs chinois, le plus important était ce qui se faisait aujourd'hui, au détriment du patrimoine. Donc en rassemblant l'art contemporain, l'industrie et l'histoire, nous avions matière à faire un hommage assez captivant.

Comment interpréter le fait que vous ayez du déprogrammer Have a Nice Day de Liu Juan, suite à des pressions gouvernementales, puis à la demande du producteur, alors que le film a été présenté ailleurs ?
La lecture que nous en faisons est qu'Annecy est une vitrine internationale majeure. Le film n'a pas de visa pour être projeté à l'étranger. Il a été montré à Berlin en compétition, mais sans autorisation officielle. Et, selon moi, la conjugaison d'un hommage à la Chine avec la présentation de Have a Nice Day était insupportable pour les autorités. Les pressions reçues par le producteur et la demande qui nous été formulée de retirer le film, résultent du fait que tout le milieu de l'animation se retrouve ici. Il était inacceptable pour les nombreux officiels chinois qui seront présents d'être confrontés à la projection d'une œuvre sans visa. Mais nous le regrettons car Have a Nice Day est un film important. Annecy avait déjà sélectionné le premier opus de Liu Jan, Piercing 1 en 2010. C'est un cinéaste que nous suivons et soutenons. Et si nous avons cédé, c'est uniquement suite à la demande du producteur.

Vous avez reçu cette année plus de 2 800 films d'animation internationaux. Vous pistez des titres en amont ?
Oui, en particulier les longs métrages car c'est la section pour laquelle il est le plus facile de le faire, notamment au travers des bulletins publiés par le CNC ou des organismes équivalents à travers le monde. Nous sommes ainsi en mesure de suivre l'évolution des productions grâce à nos éclaireurs. J'ai en ce moment des discussions avec des producteurs à propos des films qui seront prêts l'an prochain. C'est un processus qui ne s'arrête jamais en fin de compte. C'est beaucoup plus difficile pour les courts métrages. Nous travaillons à partir de ce que nous recevons et cela débute dès le mois de novembre.

Peu de films français cette année en raison d'un cycle de production défavorable ?
Il n'y a pas de conclusion à tirer du fait que la présence française soit un peu moins solide cette année, en dehors des films destinés à un très jeune public comme Les as de la jungle ou Drôles de petites bêtes, lesquels sont d'ailleurs d'une excellente qualité, montrant une facette assez inhabituelle du long métrage d'animation français. Mais quand on voit ce qui est actuellement en production, je n'ai aucune inquiétude pour l'avenir. Il faut souligner aussi que 2015 et 2016 ont été des années assez exceptionnelles. En 2015, un tiers des longs métrages de la compétition était français.

Annecy a aussi son film Netflix, Blame! présenté en séance événement, donc hors compétition car plus inédit. Mais aurait-il pu être en compétition s'il l'avait été ?
Oui, et je le dis clairement, Blame! aurait été un candidat solide pour la compétition s'il avait été inédit. Pour moi, c'est le traitement de la science-fiction par l'animation japonaise à son plus haut niveau. Et je suis très content de pouvoir le montrer sur grand écran au public français et international.

Allez-vous élaborer à ce sujet une doctrine du type de celle adoptée après coup par Cannes ?
Il n'y a pas encore beaucoup de longs métrages d'animation destinés spécifiquement à Netflix ou à toute autre plateforme similaire. Nous ne sommes donc pas dans la même urgence que Cannes qui se retrouve confronté au fait qu'un nombre important de grands cinéastes trouvent en Netflix un nouvel allié en termes de production.
L'animation n'en est pas encore à ce stade. Mais nous restons à l'affut. Si nous commencions à voir des cinéastes comme Michael Dudok de Wit ou d'autres grands noms se tourner vers Netflix, nous serions obligés de nous poser la question. Mais il ne faut pas oublier que nous avons aussi une section compétitive Films de télévision. Nous l'avons ainsi baptisée, faute de mieux, car elle regroupe des œuvres conçues pour des chaînes traditionnelles aux côtés d'autres produites pour des plateformes, certaines étant même exploités directement sur le web. Nous pourrions donc présenter dans le cadre de cette compétition un long métrage qui aurait été produit exclusivement par et pour Netflix.

L'une des particularités de la programmation cette année, c'est la mise en place des Midnight Specials et de deux nouvelles sections court métrage. Pourquoi ce choix ?
Cette année, nous avons voulu faire évoluer la grille. Annecy regroupe un public jeune et assez festif qui est disposé à voir des films en fin de soirée. Ce genre de séance n'est pas destiné à tous les films, mais à un type de cinéma assez spécifique.
L'année dernière, nous avions invité John Kricfalusi pour une leçon de cinéma et nous avons projeté son dernier court accompagné d'un autre film. Deux œuvres très irrévérencieuses dont la projection a constitué l'un des moments forts du Festival, en suscitant une ambiance très festive dans la salle. Cela m'a vraiment interpellé et je me suis dit qu'il nous fallait pérenniser de telles expériences. Or chaque année, nous recevons des films très appropriés à ce genre de case. C'est la raison pour laquelle nous avons créé ces Midnight Specials qui vont se poursuivre.
Par ailleurs, nous avons aussi créé une section compétitive Jeune public. Nous avons aboli le hors compétition court métrage pour créer une section destinée à ce public, notamment parce qu'il y a beaucoup de programmateurs et d'acheteurs qui se déplacent à Annecy. Nous avons donc voulu répondre à la fois à une demande des festivaliers et du secteur lui-même. Il y a en effet de plus en plus de productions unitaires destinées au jeune public, qui n'étaient pas assez mises en valeur dans la compétition court métrage.
Et toujours autour de ce format, nous avons créé également la section Perspectives, qui cherche à montrer des films venant de cinématographies émergentes et produits dans des conditions très différentes, par exemple dans le cadre d'ateliers en prison. Des foyers de production atypiques surgissent ainsi un peu partout dans le monde. Nous avons voulu donner une place à ces films un peu plus fragiles qui avaient besoin d'être à la fois mis en lumière et contextualisés.

La VR est de plus en plus présente. Envisageriez vous une compétition dédiée dans les années à venir ?
Oui, c'est une possibilité. Maintenant je ne saurai vous dire où en sera la réalité virtuelle dans deux ou trois ans. Actuellement, nous savons qu'il n'y a pas encore de modèle économique permettant une production soutenue. Au total, nous avons reçu une vingtaine de propositions pour en retenir une dizaine. Ce n'est pas suffisant pour créer une section compétitive à l'heure actuelle. Il y a une quinzaine d'années, Annecy avait créé une section compétitive Internet, qui a existé pendant quatre ans pour ensuite disparaître parce que cette animation pour internet a été assimilée à de l'animation pour la télévision. Nous allons donc voir comment va évoluer la VR. Pour le moment, nous jugeons qu'il est capital de lui faire une place afin d'offrir la vision la plus large possible du monde de l'animation.

Votre départ avait été évoqué, mais vous êtes reconduit pour trois ans. Vous envisagez des développements particuliers qui pourraient aller au-delà de cette période ?
Ce qui est important pour un Festival comme Annecy, c'est de ne pas se figer dans une formule mais de rester en capacité d'évoluer constamment. Dans le cas contraire, toute manifestation est condamnée à une forme de décroissance. En ce qui concerne Annecy, on remarque qu'il y a de plus en plus d'acteurs dans le milieu de l'animation, aussi bien en termes de sociétés que de foyers de productions. Donc nous avons encore beaucoup de travail à faire pour être connus partout. Et si notre réputation est grande, il y a toujours des sociétés japonaises, voire même américaines qui ne sont encore jamais venues ici par exemple. Un événement comme le nôtre doit se renouveler tout le temps. C'est dans ce sens là que doivent évoluer les sections que nous avons créées récemment.

Propos recueillis par Patrice Carré
© crédit photo : © G. Piel


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