Cinéma

Lumière MIFC 2018 - Jeune public et patrimoine : le secteur en quête de solutions

Date de publication : 19/10/2018 - 08:50

Inaugurant cette troisième journée de marché, la table ronde de jeudi 18 octobre matin, organisée en collaboration avec l’Afcae et l’ADRC, s’attachait à débroussailler le grand enjeu du renouvellement du public du cinéma de patrimoine en France, à grand renfort d’exemples pratiques.

La salle de conférence du MIFC était comble pour cette table ronde placée sous l’intitulé "Quelles actions pour les publics jeunes (enfance, adolescence, jeunes adultes ? Pour un renouvellement des publics du patrimoine", et modérée par Anthony Bobeau. Elle réunissait un panel complet de professionnels de la diffusion des œuvres en salle, de la distribution à l’exploitation, en passant par l’institutionnel, et a été l’occasion d’éclairer ce sujet crucial pour la filière à la lumière de plusieurs exemples pratiques.

Directeur des Cinémas du Palais à Créteil en région parisienne et responsable du groupe Jeune public à l’Afcae, Guillaume Bachy a mis en avant son expérience de programmation de cinéma classique à destination des publics jeunes. Une opération concentrée sur un titre par mois, projeté quatre fois avec invité dans le cadre d’une séance événementialisée, avec la possibilité pour les lycéens locaux d’assister à chacune sur leur temps libre.

"Cela nous a convaincu qu’une programmation exigeante et pointue peut aussi avoir, à son niveau, un public qui se renouvelle", a témoigné l’exploitant, qui a listé plusieurs problématiques auxquelles il se confrontait. "L’obligation de garder des partenariats scolaires forts, même si les profs et les élèves changent d’une année sur l’autre, mais aussi celle d’accompagner chaque séance", ce en quoi "un projecteur numérique est bien utile car il permet par exemple d'organiser des analyses de séquences".

"Besoin d’un support"
Autre expérience marquante, celle de Victor Courgeon, adjoint chargé du développement des publics au Jean-Eustache de Pessac (Gironde), embauché en juin dernier dans le cadre du nouveau dispositif incitatif pour les médiateurs culturels. L’occasion d’aborder le problème sous l’angle provincial : "Il n’y a pas ou peu de public jeune cinéphile dans l’agglomération de Bordeaux, on ne peut pas programmer ainsi un film de répertoire ‘à sec’, c’est-à-dire sans préparation. Le cinéma de patrimoine ne se programme pas seul, il a besoin d’un support, d’un atout."

Et le jeune exploitant de lister trois vecteurs incitatifs pour mobiliser les 15 à 25 ans, soit le public dont il s’occupe au quotidien : "la transmission", par le biais des dispositifs d’éducation à l’image et de dossiers pédagogiques ; "l’émancipation", ou la programmation d’œuvres capables de susciter une envie chez un public qui cherche à construire sa propre identité et sa culture indépendemment de leurs aînés ; et enfin "la prescription", ou comment rallier des "passeurs" à chaque événement cinématographique, des individus référents auxquels le public peut s’identifier. Sur ce dernier point, Victor Courgeon a fait le pari de la proximité, en identifiant les influenceurs digitaux sur la région, mais également en développant des relations avec des "ambassadeurs" locaux, personnes influentes dans les jeunes communautés de l’agglomération.

Les cinéastes prescripteurs ?
Et l’exploitant de mettre un bémol sur l’attractivité des cinéastes et autres personnalités du cinéma à mobiliser une cible jeune. "La question est de savoir qui est prescripteurs pour ce public ?", s’est interrogé Victor Courgeon. En effet, si les professionnels du cinéma de patrimoine ont pour habitude de mobiliser leur public en faisant vibrer la corde cinéphile, en termes de public jeune, il est nécessaire de s’adapter à une cible qui n’a pas encore formé sa cinéphilie.

"Difficile de toucher ce public avec du cinéma de patrimoine, alors qu’il ne se rend déjà pas dans les salles art et essai pour voir des nouveautés", a confirmé Serge Frendikoff, distributeur et dirigeant de Splendor Films. "Difficile d’imaginer que ce que je considère comme un film culte l’est également pour une toute autre génération." Le distributeur se prépare en effet à élargir la cible de plusieurs titres cultes de John Carpenter, dont New York 1997 (photo) – présenté en copie restaurée aux projections Afcae-ADRC du MIFC –, aux spectateurs de 15 à 25 ans, en synergie avec la vague événementielle générée autour du cinéaste en ce mois d’octobre.

Le panel de la table ronde est resté quelque peu évasif sur la définition même des attentes et des habitudes de consommation des publics jeunes, et notamment adolescents. "C’est un problème qui nous dépasse tous un peu", a concédé Gabrielle Sébire, directrice adjointe de l’action culturelle et éducative à la Cinémathèque française. Pour autant, l’institution déploie des initiatives pertinentes auprès de ces cibles, en misant sur "la transmission". "La cinéphilie ne se pratique et ne s’entretient pas seul, c’est aussi de parler et d’échanger avant et après chaque film. Il en est de même pour ces publics jeunes, et ce n’est pas une notion nouvelle."

"On parlait de passeurs, mais les conférenciers peuvent aussi parfaitement tenir ce rôle", a ajouté Rodolphe Lerambert, responsable du département patrimoine de l’ADRC. L’occasion de mettre l’accent sur le dispositif d’ateliers d’initiation au cinéma, développés par la Cinémathèque française et diffuser dans les salles depuis deux ans, accompagnés par les équipes de l’institution, en coopération justement avec l’ADRC. En outre, sur la centaine de projets d’animation de séance que soutient l’agence chaque année, "une bonne moitié sont consacrés aux publics jeunes", a précisé Rodolphe Lerambert.

"Il faut des jeunes"
Ronald Chammah, distributeur des Films du Camélia, mais également néo-exploitant, a repris deux établissements très orienté patrimoine sur la rive gauche parisienne, rebaptisés Christine 21 et École 21. Soit des "salles indépendantes désastrées sur tous les niveaux, et surtout sur le public jeune" dans un quartier pourtant très universitaire. "Pour attirer les jeunes, il faut des jeunes", a constaté le dirigeant, qui a donc renouvelé totalement ses équipes d’accueil et de programmation en conséquence. Avec, là encore, un angle événementiel mais participatif, via l’organisation de plusieurs ciné-clubs avec les BDE, écoles et universités locales.

"Les publics jeunes sont intéressés par le 35mm", a également déclaré Ronald Chammah, dont l’École 21 programme pour 50% en pellicule. "Cela participe à la vibe nostalgique, comme pour le vynile en musique." Un "phénomène plutôt parisien", selon Victor Courgeon, qui précise que, de son côté, en Gironde, "les jeunes étaient plutôt attirés par l’innovation technologie et la promesse d’une image parfaite rendue possible grâce au numérique".

"Créer le désir de cinéma"
"Si l’on enseignait le cinéma autant que la littérature à l’école, nous n’aurions pas ces problèmes de renouvellement du public", a constaté Jean-Pierre Lavoignat, programmateur du dispositif UGC Culte du circuit UGC. Sans surprise, le sujet de l’éducation à l’image a été amplement abordé, et notamment pour alerter sur les différents manques des dispositifs en place, notamment le manque de soutien des académies, le déficit de formation des enseignants, et les moyens financiers et temporels qui y sont consacrés.

Mais cette question de formation a également été remontée au niveau des parents et familles. "Tout l’enjeu est de créer le désir de cinéma chez les enfants, et c’est avant dix ans que cela se forme", a commenté Lionel Ithurralde, distributeur de Malavida, intervenant dans l’assistance après l’ouverture des débats à la salle. "Il faut donc former les parents en priorité. S’il y a un travail d’éducation à l’image à faire, il doit l’être par les familles en première ligne."

Sylvain Devarieux
© crédit photo : Splendor Films


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