Cinéma

Cannes 2021 - Rencontre avec le producteur William Horberg

Date de publication : 10/07/2021 - 08:30

Le nouveau film de Sean Penn est indissociable de la personnalité de son producteur, William Horberg, également à l'origine de la minisérie de Netflix Le jeu de la dame. Il nous en raconte ici la genèse et évoque ses nouveaux projets.

Dans quelles conditions Flag Day a-t-il été tourné ?
William Horberg : Le film a été tourné à Winnipeg, au Canada, où nous avons trouvé divers lieux de tournage qui rappellent les paysages du Middle West américain des années 1970 et 1990, en allant tourner également en équipe réduite en Californie. L’histoire se déroulant sur de nombreuses années et plusieurs saisons, l’essentiel du tournage s’est déroulé pendant sept semaines de l’été 2019, mais nous avons également fait appel à des renforts pendant l’automne (une semaine) et l’hiver 2020 (quelques jours) dans un souci d’authenticité. La postproduction a été réalisée à Los Angeles. Comme nous tournions en pellicule Super 16 mm, nous avons fait appel au laboratoire photochimique Mels de Montréal, qui est le dernier à développer et à traiter la pellicule au Canada.

Quelle est la principale difficulté que vous ayez rencontrée au cours de cette aventure ?
W. H. : Nos plus grands défis ont été d’ordre financier. Les longs métrages de cinéma intelligents, adultes et indépendants subissent des pressions considérables sur les marchés. Le scénario ne correspondait pas aux thématiques traitées habituellement par le cinéma indépendant. Il couvrait une période de 25 ans, de nombreux lieux de tournage et personnages, de grandes scènes de foule, des cascades, l’incendie d’une maison, etc., ce qui était compliqué par rapport au financement que nous avons réussi à réunir. Tourner à Winnipeg avec une équipe majoritairement locale réunie par nos partenaires de Buffalo Gals Productions a été un facteur clé dans notre capacité à tout faire exister à l’écran. L’autre élément crucial était le dévouement extrême de Sean et de l’intégralité de l’équipe, qui ont consenti à de nombreux sacrifices par amour pour cette histoire et sa vision du film.

Quelle conception vous faites-vous de votre métier de producteur ?
W. H. : Le cinéma est un sport d’équipe. J’ai eu la chance d’avoir des partenaires de production très expérimentés en la personne de Jon Kilik et Fernando Sulichin, un réalisateur expérimenté en Sean Penn, et une équipe de base fantastique comprenant le chef opérateur Danny Moder et le premier assistant réalisateur John Wildermuth, qui se trouvaient être les voisins de Sean, et ont consacré une bonne partie de leur temps au préplanning du film. Chaque producteur possède un compas qui pointe dans la direction de ce que nécessite le film pour être le meilleur possible sur les plans créatif, logistiques, éditoriaux, et avec un cinéaste comme Sean, vous vous efforcez surtout d’essayer de le soutenir au maximum, de résoudre autant de problèmes que possible avant qu’ils ne l’atteignent, particulièrement lorsqu’il porte deux casquettes, en tant que réalisateur et acteur principal, comme c’était le cas sur ce film.

Quel est le stade de la production qui vous passionne le plus ?
W. H. : Personnellement, j’aime monter des projets, travailler avec le scénariste et ou le scénariste-réalisateur à mettre l’histoire en forme, et ensuite à réécrire l’histoire jusqu’à sa version finale, au fil du montage, la musique, le mixage. J’ai passé des décennies sur la route à travers le monde à tourner des films, mais à ce moment de ma vie, je ne trouve pas qu’être sur le plateau soit la partie la plus intéressante du processus. Et je suis persuadé que cela convient mieux à d’autres.

De quelle façon avez-vous vu évoluer votre métier depuis vos débuts en 1990 ?
W. H. : J’appartiens à la génération des baby-boomers qui a grandi dans l’amour du cinéma. Dans ma jeunesse, on ne pouvait voir les films qu’au cinéma ou à la télévision, et seulement quand ils étaient disponibles. Ça rendait chaque rencontre avec un film un petit peu plus particulière. J’ai étudié au conservatoire de musique, mais j’en suis parti pour me lancer dans la création d’une entreprise et diriger un cinéma à Chicago qui programmait des vieux films et des films étrangers. C’était à la fin des années 1970. Je suis convaincu que ces deux éléments ont déterminé ma carrière ultérieure à Hollywood : en façonnant mon esprit d’entreprise et en me donnant un sens de la structure musicale, de la composition et de l’improvisation. Je continue à me sentir comme un outsider, mais au bout de 40 ans, je travaille avec la MGM. Les choses ont incroyablement changé depuis que je suis arrivé à Los Angeles au début des années 1980, mais les éléments fondamentaux du storytelling et du travail collaboratif avec des artistes créatifs restent quant à eux immuables.

Pensez-vous que la vulgarisation des nouvelles technologies soit de nature à faire évoluer votre conception du cinéma ?
W. H. : J’ai un bagage limité en matière de nouvelles technologies. Je suis davantage intéressé par les livres, l’écriture, l’art, la composition visuelle, des éléments musicaux tels que le rythme et le tempo, bref toutes les facettes que peut revêtir le storytelling. La technologie a démocratisé la possibilité pour n’importe qui de raconter une histoire au moyen d’un medium visuel et de le rendre accessible par n’importe qui et par tout le monde. Elle a aussi créé un tel tsunami de contenu que c’est plus difficile que jamais d’en faire abstraction.

Quel impact la Covid-19 a-t-elle exercé sur vous et ce film en particulier ?
W. H. : Nous avons dû relever des défis exceptionnels en nous adaptant pour travailler à distance quand tout a fermé en mars 2020. En particulier, notre monteur de nationalité islandaise qui a dû rentrer dans son pays en prenant l’un des derniers vols disponibles. Comme je l’ai mentionné, nous avons tourné en pellicule et notre laboratoire se trouvait à Montréal, donc quand les frontières se sont refermées et que le labo a fermé, nous avons cessé de pouvoir accéder à ce que nous avions tourné, alors même que nous nous trouvions en plein milieu de notre travail sur les effets numériques. Nous avons donc dû tout arrêter et attendre que tout rouvre. Nous avons bénéficié d’une aide précieuse de Stefan Sonnenfeld de Company 3, de Formosa Sound et de notre responsable de postproduction Dana Mulligan, pour nous aider à aller jusqu’au bout du chemin qui menait le film à son terme.

Pensez-vous que cette pandémie soit de nature à faire évoluer votre conception du cinéma et puisse agir éventuellement comme une source d’inspiration dans l’avenir ?
W. H. : Inexplicablement, la pandémie a correspondu à l’une des périodes les plus bénéfiques de ma carrière. Le jeu de la Dame a été mis en ligne sur Netflix en l’espace d’une nuit dans 190 pays et plus de 30 langues pour devenir la minisérie la plus regardée de toute l’histoire de Netflix. Donc, alors que mes racines sont dans le cinéma et que j’espère que l’avenir continuera à intégrer cette expérience collective qui consiste à se réunir tous ensemble dans l’obscurité pour partager un moment de détente sur grand écran, j’adhère aussi à la diversité des contenus, à la flexibilité des formats et à un accès global aux spectateurs que permettent aujourd’hui les sevices de streaming.

Quels sont vos projets ?
W. H. : Habituellement, j’ignore totalement ce qui arrivera ensuite, tant que le tournage n’est pas devenu une réalité effective. Le scénariste et réalisateur du Jeu de la dame, Scott Frank, et moi, travaillons ensemble à un nouveau projet destiné à Anya Taylor-Joy. J’essaie de tirer une magnifique histoire d’amour latino du roman à succès de Francisco Goldman Dire son nom avec Benicio Del Toro. Je développe une minisérie d’après le roman de Stephen King Revival avec le réalisateur australien Zak Hilditch. Dean Parisot et moi disposons en outre d’un scénario original merveilleusement drôle écrit par Topper Lilien que Richard Jenkins veut absolument jouer. Avec un peu de chance, un voire plusieurs de ces projets aboutiront sur un écran de taille respectable.

 

Jean-Philippe Guerand
© crédit photo : Allen Fraser © Metro Goldwyn Mayer Pictures


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