Cinéma

Semaine 2019 - Franco Lolli : "Cannes c’est un peu comme le public du Real Madrid"

Date de publication : 15/05/2019 - 08:40

Le réalisateur de Litigante fait l’ouverture de la Semaine de la critique avec un deuxième film autobiographique, interprété notamment par sa mère.

Comment présentez-vous Litigante en quelques mots ?
C'est le portrait d’une femme dans la quarantaine qui, pendant qu’elle doit s’occuper de sa mère qui souffre d’un cancer, tombe amoureuse pour la première fois depuis des années. C’est à la fois un portrait de femme, un portrait familial et un film sur la justice en Colombie. 

Un lien quelconque avec votre film précédent, Gente de bien ?
Il y a une continuité entre mes films mais là où Gente de bien était un film plus social, Litigante est plus intime, sans doute parce qu’il est autobiographique. J’y raconte la maladie de ma propre mère, qui par ailleurs joue l’un des deux rôles principaux, celui de la mère de Silvia, le personnage principal. 

Comment vous est venue cette idée de film ? De ce personnage de Silvia ?
Elle m’est venue, comme pour tous mes films, de manière inconsciente. J’avais envie, sans trop savoir pourquoi, de m’intéresser à un personnage féminin qui ait suffisamment vécu pour pouvoir regarder en arrière et se demander quelles avaient été ses erreurs. L’idée vient aussi du cancer de ma mère et qui m’a beaucoup marqué. J’ai eu envie de rendre compte de ce moment. Ce n’est pas un film sur la maladie ou le cancer, mais sur la vie qui vient avec. Quand on a des gens malades autour de nous, ou quand on est malade, on a plus que jamais envie de changer des choses et de vivre.
Pour le personnage de Silvia, je m’inspire de beaucoup de femmes que j’ai connues dans ma jeunesse et dans ma vie, mais aussi des actrices que j’ai rencontrées lors du casting, qui a été très long. 

Vous avez écrit le film avec deux scénaristes, Marie Amachoukeli et Virginie Legeay. Comment s’est déroulée votre collaboration ?
Tous mes films ont été coécrits par Virginie Legeay, sauf pour l’un de mes courts métrages. Avec elle, la collaboration se déroule toujours de la même façon : il s’agit de parler beaucoup pour faire émerger mes désirs profonds, interroger la véritable raison pour laquelle je suis en train de raconter l’histoire que je raconte. Marie Amachoukeli est intervenue plus tard dans l’écriture, à un moment critique, où je m’étais un peu égaré. Je voulais raconter trop de choses et elle m’a beaucoup aidé à recentrer l’histoire et à avoir un film plus pur et plus puissant.
C’est drôle, je suis Colombien et j’écris en espagnol et en français. Mais avec mes collaboratrices, je n’écris qu’en français, ce qui crée une distance assez intéressante pour raconter des histoires plus universelles. 

Est-ce que le projet a été long à monter ?
Pas tout à fait. Je pense que la durée a été assez logique. Nous avons commencé à écrire début 2016 et le film est sélectionné à Cannes en mai 2019, trois ans et demi après. Il s’est tourné en octobre de l’année dernière, il s’est donc passé moins de trois ans entre le début de l’écriture et le tournage. Le premier financement est arrivé très vite, en octobre 2016, à travers le fonds colombien, l’équivalent du CNC. Ensuite, c’était surtout affaire de trouver le bon scénario et les réponses ont été plutôt positives assez vite. 

Comment avez-vous rencontré vos deux producteurs français ?
J’ai beaucoup de producteurs sur ce projet : Toufik Ayadi et Christophe Barral de Srab Films, que j’avais rencontrés au moment de mon court métrage Rodri, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2012. Ce sont eux qui l’avaient produit. À l’époque, ils travaillaient au sein des Films du Worso, la société de production de Sylvie Pialat, que j’avais aussi rencontrée à ce moment-là. C’était déjà un film où ma mère jouait l’un des rôles principaux. On s’était toujours dit que si jamais je faisais un film avec ou sur ma mère, on le ferait ensemble, et on s’est lancés avec Toufik, Christophe et Sylvie pour le film.
C’est ma société de production qui a assuré la production en Colombie. En tant que réalisateur, je ne pouvais pas avoir les deux casquettes en même temps : la production colombienne a donc été gérée par Daniel García, dont le film Los silencios était aussi à Cannes l’an dernier. Par ailleurs, la productrice associée Capucine Mahé est ma compagne et mon associée au sein d’Evidencia Films.
 
Selon quels critères avez-vous trouvé et choisi vos acteurs ?
C’est encore un casting de non-professionnels à 95% puisque seul l’acteur qui joue le personnage d’Abel est acteur et réalisateur dans la vie. Le casting a duré neuf mois. Le plus difficile était sans doute de trouver une cohérence et une justesse entre tous les rôles, qui étaient très précis. Silvia devait être à la fois une femme hors du commun mais aussi une avocate, et n’importe qui ne peut pas jouer une avocate. C’était pareil pour tous les autres rôles : l’enfant, la sœur, l’oncologue – qui est vraiment oncologue dans la vie –, les avocats qui sont aussi de vrais avocats. C’était un casting sauvage, dans des milieux où les gens ne sont pas habitués à se faire approcher pour des castings. Cela a été très long, mais cela donne une véracité au film qui me plaît beaucoup. 

À l’arrivée, le film est-il semblable à celui que vous aviez en tête ?
Tous les films ressemblent d’une façon plus ou moins proche à ce que nous avions en tête. Ce qui compte, ce n’est pas qu'il soit identique à la virgule près ou au personnage près, mais que l’idée qui a donné naissance au projet atteigne le spectateur comme elle a atteint l’auteur et le réalisateur pour lui donner envie de faire le film. De ce point de vue-là, je pense que le film est exactement ce que je voulais qu’il soit. 

Faire l’ouverture de la Semaine de la critique a-t-il une signification particulière pour vous ?
Oui, évidemment : j’ai présenté mon premier film à Cannes en 2014 à la Semaine de la critique. Pour moi, ça va être comme revenir à la maison, dans un endroit que j’adore, avec des gens que j’aime et qui ont suivi mon travail de façon fidèle. C’est aussi monter d’un cran parce que c’est une très belle place, très exposée. Je suis extrêmement content de montrer le film là-bas.
 
Cannes est un bel endroit pour dévoiler son film…
J’ai un excellent souvenir de Cannes et des deux fois où j’y suis allé : pour un court métrage, puis pour mon premier long, Gente de bien. J’ai la chance qu’il s’agisse de mon 3e film sélectionné. C’est un endroit très beau pour présenter un film mais le public peut y être plus dur que dans n’importe quel endroit du monde. C’est un peu comme le public du Real de Madrid : les gens sont habitués à voir des bons films et il ne faut pas décevoir… C’est à la fois extrêmement excitant et un peu effrayant.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo :


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