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Cinéma

Lumière MIFC 2019 - Focus sur le traitement du cinéma classique dans les médias

Date de publication : 17/10/2019 - 08:41

La première table ronde de cette deuxième journée du MIFC a permis de se focaliser sur les pratiques de la presse spécialisée en termes de traitement éditorial du cinéma classique et de patrimoine.

Animé par le journaliste Pierre Charpilloz, ce nouveau rendez-vous a réuni pas moins de sept témoins participants, tous issus d’univers médias distincts. À commencer par Daniel Sauvage et Jérôme Barthélémy, producteurs (Caïmans Productions) et réalisateurs de l’émission Viva Cinéma sur Ciné+ ; Steve Della Casa, auteur et animateur italien de l’émission Hollywood Party sur Rai Radio 3 ; Gaël Golhen, rédacteur en chef de Première* et Première Classics* ; Sheldon Hall, journaliste britannique pour Cinema Retro ; Marc Moquin, rédacteur en chef de Revus & corrigés ; et François Theurel, auteur et réalisateur de la chaîne Le Fossoyeur de films sur YouTube.

Le patrimoine, une tendance média ?
Les premiers échanges entre les différents invités permirent d’établir rapidement que la définition même des appellations "patrimoine" ou "classique" différe grandement selon les médias, loin de la notion d’âge établie par des institutions comme le CNC. Pour la plupart des médias représentés, cette différence de notion s’explique par le positionnement de chacun d’entre eux. "Nous nous sommes décidés sur une définition de classique dès dix ans d’âge car cela permet de mettre en relief des œuvres plus récentes avec l’actualité contemporaine, explique ainsi Marc Moquin. Par exemple, The Dark Knight de Christopher Nolan a beaucoup plus de choses à dire maintenant que lors de sa sortie, en 2008. Cela nous permet aussi d’attirer un public différent et plus jeune sur la revue."

Ensuite, un deuxième état de fait a été exprimé sur la popularité du cinéma classique dans la presse. "Le nombre et la variété de médias représentés ici démontre que le patrimoine est d’actualité et que l’on n’est jamais de trop pour en parler", a ainsi déclaré Marc Moquin, dont le titre est né voilà 18 mois. "Première Classics et Revus & corrigés sont arrivés presqu’en même temps sur le marché, c’est peut-être symptomatique de la place croissante du cinéma de patrimoine dans les médias", a appuyé Gaël Golhen. L’éditorial de Première Classics tente pourtant d’éviter le terme "patrimoine", pour privilégier l’appellation de "films cultes". "Il a un côté élitiste, réservé, alors que nous visons tout le contraire, à savoir l’ouverture au plus grand nombre", a expliqué le rédacteur en chef.

La tendance de notoriété a été rapprochée de la multiplication de l’offre de cinéma classique, dans les salles et en vidéo, depuis le grand virage numérique effectué en début de décennie. "Cet engouement se développe peut-être parce que l’on redécouvre des films auxquels nous n’avions plus accès auparavant", a émis François Teurel. Pour autant, elle a ses limites, persistantes et bien identifiées, liées notamment au renouvellement du public des œuvres classiques. "C’est un défi compliqué d’intéresser les jeunes gens aux films de patrimoine, a commenté Sheldon Hall, également maître de conférence à la Sheffield Hallam University. Cela donne l’impression que vous avez beau être déjà ancien, vous devenez de plus en plus vieux tous les jours. Il est difficile de construire des ponts entre les titres anciens et la jeunesse."

Le relais des nouveaux médias
À ce titre, le traitement singulier du sujet cinéma, et notamment classique, dans les nouveaux médias peut apparaître comme une solution à la problématique de la jeunesse. Avec sa chaîne vidéo Le Fossoyeur de films, au sein de laquelle son personnage "déterre" de vieilles œuvres pour en décrypter la pertinence, François Teurel s’adresse à une cible "située entre 20 et 35 ans", très enviée par les professionnels du cinéma classique.
Son traitement éditorial diffère nettement d’un média vidéo standard, incluant une part d’hybridité entre documentaire, chronique et fiction – son personnage de Fossoyeur évoluant même selon sa propre ligne narrative au fil des épisodes. "Il est pertinent de tout ‘mettre en histoire’, car nous sommes dans l’ère du storytelling." Le vidéaste a d’ailleurs mis sa chaîne en pause cette année afin de "prendre le temps de réimaginer de nouveaux formats, pour renforcer cette approche hybride". 

Pour autant, François Teurel a témoigné de la difficulté de mobiliser les différents acteurs de la diffusion du film autour de ce traitement média particulier, et surtout dans le cinéma classique, là où le recours aux influenceurs et autres YouTubeurs dans la promotion des nouveautés est entré dans les mœurs des directeurs marketing de l’industrie. "Encore de nos jours, il est difficile de trouver des collaborations autour des nouveaux médias car les choses évoluent très vite. Les distributeurs et éditeurs de cinéma classique ont du mal à s’y mettre."

Sujet d’actualité ou éditorial froid ?
Comment le cinéma de patrimoine, de nature tourné vers le passé mais tout de même riche d’une actualité plus que jamais foisonnante, en salle, en vidéo voire même à la télévision, est-il abordé par les journalistes ? Tous les invités présents se posent ainsi comme des passeurs. "Nous essayons de définir des liens vertueux entre le patrimoine et l’actualité", a expliqué Gaël Golhen. Au départ, si Première Classics avait pour volonté d’être décorrélé de toute actualité salle ou vidéo, la ligne éditoriale a fléchi en deux ans d’existence : "Si la volonté n’est pas de coller à l’actualité, il demeure important d’être dans son époque. Il y a cette nécessité de ne pas être hors-sol."

Les enjeux sont différents pour Steve Della Casa, dont l’émission radio n’est pas concernée par "les enjeux du présent". Hollywood Party, 25 ans d’ancienneté cette année sur Rai Radio 3, paraît avoir surtout pour fonction de valoriser les archives du service public italien lié au 7e art, et notamment les archives sonores. L’approche est plus mitigée du côté de Revus & corrigés, qui conserve tout de même un ancrage dans l’actualité, par le biais tout d’abord d’un agenda de sorties salle et vidéo mis en ligne sur le site du magazine, mais aussi par de l’événementiel, et notamment un ciné-club organisé à la Fondation Jérôme-Seydoux-Pathé et des projections-rencontres.

"Revus & corrigés et Première Classics sont trimestriels, cela dit peut-être quelque chose du rapport au temps qu’il est nécessaire d’avoir pour traiter le cinéma de patrimoine, a relevé Gaël Golhen. D’autant qu’aujourd’hui, le journaliste a besoin de prendre du recul sur son sujet, comme l’a prouvé la récente affaire Dupont de Ligonnès. Le cinéma de patrimoine permet justement, par définition, de prendre le temps de bien faire."

Droits des images
Parmi les nombreux sujets phares de cette rencontre, la question des droits des images et de citation a été mise sur la table. "Il est difficile de parler de cinéma sans montrer des images", a ainsi établi Jérôme Barthélémy. La problématique est ici double : la temporalité des publications, sur des échéances très serrées, mais aussi leur modèle économique étroit, dû à leur caractère de niche, forment autant de frein pour illustrer l’éditorial avec des images, qu’elles soient arrêtées ou mouvantes, dont les droits de publication sont réservés.

Le constat porte surtout sur les œuvres non liées à une actualité salle ou vidéo – donc sans la possibilité de bénéficier d’un matériel de promotion mis à disposition des distributeurs, éditeurs ou producteurs des films. D’autant que, pour les œuvres étrangères notamment, les ayants droit sont parfois difficiles à convaincre ou même à identifier dans les temps.

La problématique est d’autant plus exacerbée dans les nouveaux médias. "Nous sommes dans une culture du mash-up et nécessitons beaucoup d’extraits de films, que notre statut encore flou ne nous permet par forcément de faire passer comme des citations. À notre niveau, avec nos échéances de production, il est parfois difficile d’obtenir l’autorisation d’un grand studio américain pour utiliser une seconde d’images."

Et le vidéaste de mettre en avant une importance stratégique de l’utilisation de ces extraits en la rapprochant de la question de la formation du regard de ses jeunes abonnés : "Cela développe en filigrane un intérêt pour le cinéma de patrimoine, et permet d’intéresser des jeunes qui ont du mal avec les standards esthétiques des vieux films." S’il a reconnu que "les réclamations sont de plus en plus nombreuses", François Teurel a précisé toutefois que "les pratiques sont en train d’évoluer", surtout à l’aune de la nouvelle directive européenne sur les droits d’auteur, signée en décembre 2018. "Souvent, une bonne entente se met en place."

Un optimisme relayé en conclusion par Gaël Golhen, pour qui ces contraintes "nous obligent à trouver de nouvelles idées pour relire les films, et à imaginer de nouveaux formats et des angles originaux" pour traiter le cinéma classique.

*Édités par Première Média, propriété de Hildegarde, également propriétaire du "Film français".

Sylvain Devarieux
© crédit photo : Paramount


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