Cinéma

Lumière MIFC 2020 – Quelles évolutions au sein de l’écosystème de la filière du patrimoine ?

Date de publication : 15/10/2020 - 08:59

Pour cette 2e journée du marché international du film classique, la première partie de la table-ronde consacrée à "La filière du patrimoine en mutation" a balayé les évolutions de son écosystème, avec des échanges qui ont conduit à évoquer des sujets plus larges sur le cinéma face aux plateformes. Le CNC a profité de ce rendez-vous pour annoncer le montant de son aide à la numérisation après 2021.

La table ronde, animée par Laurent Cotillon, directeur exécutif de LFF Média et directeur de la rédaction du Film français, a réuni Olivier Henrard (dg délégué du CNC), Nathanaël Karmitz (président de mk2), Jérôme Soulet (directeur du catalogue de Gaumont), Thierry Schindelé (dg de Hiventy) et l’avocate Marion Lingot Fiducial Legal by Lamy), a débuté avec quelques mots de Thierry Frémaux, directeur du festival Lumière, qui tel "un bon samaritain", "ne croit pas à la mort du cinéma, la mort du DVD et que gens auront envie de continuer aller en salle". "Quand il y a un confinement, on annonce la mort du cinéma en salle. Quand Avengers devient le plus grand succès en salle, on n’annonce pas la mort des plateformes. Sur le DVD patrimoine c’est un peu la même chose. Le chiffre global du marché de la vidéo est tout le temps en baisse or ce marché est tellement vaste, que le chiffre global ne dit pas la grande quantité et la grande qualité qui subsistent, et le caractère parfois très local de la cinéphilie ".
Rappelant aussi que le secteur du patrimoine avait la chance d’avoir de l’argent public en France, il ne tenait qu’aux professionnels d’aller de l’avant, notamment en matière d’éducation cinéphilique et d’internalisation du patrimoine. "Et il n’y a aucune raison que de nombreux pays européens ne soient pas à la hauteur de la France pour développer le cinéma classique au regard de l’utilité qu’il a pour le futur".

Les évolutions du financement public
Avant de revenir sur les mutations du secteur, qu’entend-on par films de patrimoine ? Olivier Henrard a rappelé qu’il n’y en avait pas de définition universelle. Le CNC intervient sur les œuvres de plus de 20 ans dans l’attribution de ses soutiens, en se basant sur des critères multiples : si c’est un film important pour l’histoire, significatif d’une période, d’un progrès technologique, ou de l’évolution d’un cinéaste par exemple.

Sur les tendances actuelles, le dg délégué du CNC a cité la manifestation du goût du public pour le patrimoine, à travers les succès d’audiences sur France Télévisions, Arte, et le succès du festival Lumière, ou d’initiatives comme celle de la Cinémathèque française avec sa plateforme Henri (plus de 700000 connexions en quelques semaines).

Il a ensuite rappelé les trois aspects de la politique patrimoniale du CNC. Le premier pilier est le dépôt légal des films conservés à Bois d’Arcy et le soutien aux cinémathèques, la Cinémathèque française, celle de Toulouse, l’Institut Lumière, etc. En évoquant le deuxième pilier, qui consiste à accompagner la restauration du patrimoine, Olivier Henrard a fait le point sur l’enveloppe consacrée au soutien à la restauration, qui a beaucoup baissé depuis deux ans. Le CNC ayant bénéficié de 2012 à 2017 de 70M€ sur les réserves qu’il avait alors, somme qui a permis "un plan de restauration exceptionnel", qui a bénéficié à plus de 1200 films de patrimoine. Mais cette ressource s’est tarie, et cette action du Centre est désormais financée sur ses ressources ordinaires, avec 2,8M€ n 2021 "et les années suivantes" a révélé le Dg délégué. De plus, 2M€ sont dédiés au patrimoine dans le plan de relance du CNC, pour moitié pour un soutien exceptionnel aux cinémathèques et un peu moins pour muscler aides sélectives à l’édition vidéo.

Pour aider les ayants droit à trouver des fonds supplémentaires pour restaurer les films, le CNC a aussi créé le dispositif de mécénat annoncé début 2020, où il jouera un rôle de tiers de confiance entre les ayants droit et les possible mécènes intéressés par la restauration, à qui il délivrera le certificat de l’avantage fiscal des mécènes. Un "dispositif exceptionnel en France ", que le CNC avait prévu de lancer de "manière énergique au printemps", et qu’il a préféré décaler en raison de la crise. Un sujet qui a été détaillé lors d’un autre échange dans la journée. Tout comme les moyens que va offrir le 4e plan d’investissement d’avenir de l’Etat pour la numérisation et la diffusion des œuvres.

Sur le dernier pilier de sa politique, la diffusion du patrimoine, le CNC a soutenu comme chaque année la fête de la VOD et vient de créer un appel à projet doté de 2M€ pour des projets de diffusion culturelle auprès des jeunes de moins de 25 ans.

Olivier Henrard a aussi évoqué le chantier de la revue générale des soutiens du CNC "pour réinterroger la pertinence des soutiens distribués", "non pas pour les diminuer mais pour mieux les cibler compte tenu des priorités actuelles", et sachant que "la perpétuation de la cinéphilie est devenu par exemple un sujet majeur pour le CNC".

Le patrimoine français et les plateformes
Un sujet de préoccupation du Centre porte sur la pauvreté des films patrimoniaux des catalogues français exposés sur les plateformes de vidéo à la demande par abonnement, alors que c’est l’inverse sur le marché à la demande transactionnel. "Cette situation est d’autant plus paradoxale que les plateformes offrent aux Etats-Unis une visibilité au patrimoine français plus importante que sur les plateformes américaines en France" a souligné Olivier Henrard, rappelant que dans le cadre de la transposition de la directive SMA, les pouvoirs publics pourront peser sur le financement des oeuvres mais pas sur leur exposition des œuvres (quota plancher de 30% d’œuvres européennes), faute de levier juridique. Pour autant, il y a "un travail de conviction à mener auprès des plateformes auquel le CNC s’attachera".

Pour le président de mk2, Nathanael Karmitz, la principale difficulté est l’accessibilité des œuvres. Pour lui, l’appétence pour le patrimoine n’est pas naturelle, il faut convaincre les gens en salle, en DVD, sur les télévisions ou sur les plateformes, en mettant les films de patrimoine en avant.

Une vision tempérée par Jérôme Soulet de Gaumont, pour qui les plateformes ont un objectif qui n’est pas l’exception culturelle ou l’éducation, mais de gagner de l’argent, comme les chaînes privées. La bataille de l’exposition des œuvres est un débat biaisé même s’il a ajouté qu’il faut évidemment maximiser l’exposition des oeuvres. Dans le cadre de la transposition en cours de la Directive SMA, si on ne peut pas agir sur l’exposition sur les plateformes, il a plaidé pour imaginer un système incitatif dans le volet de l’obligation en achat d’œuvres, comme un bonus patrimonial pour œuvres de plus de 20 ans par exemple.

Une possibilité qu’a reconnu Olivier Henrard à propos de ce "chantier historique" qu’est la mise en place d’obligation de financement dans la création française et européenne pour les plateformes, à partir du 1er janvier ou 1er février 2021. "Il faudra voir comment le modèle va tourner dans un premier temps" puis embrayer "sur le sujet de l’exposition des œuvres".

Aller chercher le public jeune
Puis sur le thème du public jeune et du patrimoine, Nathanël Karmitz a pointé le fait que dans l’ensemble des salles, le prix quand il atteint le prix d’un mois d’abonnement sur une plateforme est un frein pour l’accessibilité des jeunes. Le tarif de 4€ la place que pratique le MK2 Bibliothèque attire 1 million de jeunes par an, qui viennent de toute l’ile de France. Mk2 a d’ailleurs élargi la mesure à l’ensemble de ses salles et en voit les effets. "Le problème est le pouvoir d’achat des jeunes pas leur appétence pour le cinéma". Le président de mk2 a aussi loué les dispositifs d’éducation à l’image mais a pointé le problème d’absence d’outil de formation des professeurs à l’éducation à l’image. Une nécessité à l’heure où "la représentation de la violence ou celle de la vérité posent un problème démocratique".
Pour Jérôme Soulet, le public jeune se distingue entre les 8- 14 ans, et les 15- 25 ans, et il a considéré "au risque de choquer" qu'on a déjà perdu les 15-25 ans, tandis que les efforts sont concentrés sur les 8-14 ans. Un constat qu’a refusé Nathanaël Karmitz : "Notre métier est de lutter, pas d’accepter la fatalité. On ne peut pas dire que c’est perdu, c’est le fondement de notre métier. C’est un par un qu’il faut les récupérer".

Quelle valeur pour le patrimoine ?
Sur le thème de la valeur du marché du patrimoine, Jérôme Soulet a rappelé le dynamisme du marché de l’occasion sur la vidéo physique et le travail des médiathèques et vidéothèques pour amener cles œuvres de patrimoine auprès du public
Le business des films de catalogues sur les films d’avant 2000, représente pour l’ensemble des sociétés affiliées au syndicat des catalogues de films de patrimoine (SCFP) environ 400M€ par an, en France et à l’international, a estimé Jérôme Soulet. Une valeur dont il a souligné qu’elle était portée par les plateformes locales, des services hydrides à l’instar de Canal+ avec MyCanal, proche d’un service VàD ou d’autres à l’étranger. Cette dynamique du patrimoine auprès de services TV délinéarisés existe parce que le CNC a permis aux ayants droit de numériser les oeuvres. A l’inverse, le marché de la vidéo physique de l’export physique a singulièrement diminué.

Si pour mk2 les revenus issus de son catalogue sont constants (ils représentent environ 10% de l’activité de mk2), la société a dû multiplier les contrats par dix en dix ans. "Il faut aller chercher salle par salle, pays par pays (la société vient par exemple de faire sa première vente au Botswana), spectateur par spectateur" a indiqué Nathanaël Karmitz. Dans les grands mouvements mondiaux, il constate le même appétit pour les films européens et la culture européenne. Mais pour lui il faut raisonner au niveau de l’Europe et de ses 500 millions d’habitants. "Le sujet de la Culture européenne et sa présence dans nos marchés est essentiel". Pour lui il n’y a pas de crise du cinéma mais une crise du cinéma américain. "Quel cinéma européen veut-on ? Pourra-t-on se remettre de l’abandon par Disney de la salle ? Oui". Pour lui, il s’agit d’un débat politique et philosophique qu’il est nécessaire de porter au niveau européen.

Chez Gaumont, selon les années où les films nouveaux rencontrent un succès en salle, le catalogue peut représenter 50% de l’activité cinéma. La société à la Marguerite qui a vu elle aussi les contrats se multiplier, comme les redditions de comptes, conduisant à augmenter les coûts de structures juridiques. La base de données de Gaumont compte ainsi pas moins de 81000 personnes d’ayants droit.

Les tendances vues par un laboratoire
La table ronde s’est poursuivie autour de l’exemple d’un laboratoire, Hiventy, qui couvre tous les métiers de la gestion des rushes à la post production, au doublage, sous titrage, à la gestion des supports, des packages pour les plateformes, de la restauration, au stockage, en numérique ou en photochimique. Son dg,Thierry Schindelé, a évoqué les grandes tendances de la filière du patrimoine. D’abord, il est revenu sur baisse drastique des aides du CNC, avec disparition certains acteurs via des regroupements (L21 chez Hiventy, Eclair Cinéma devenu Eclair Classic chez Imagine Ritrovata). Hiventy s’est organisé en conséquence, en améliorant son workflow et ses logiciels pour baisser les coûts d’une restauration d’environ 20% (en moyenne de 70000 à 80000€ par film (incluant retour sur film) quand auparavant elle était plutôt de 100000€. La deuxième tendance est le renouvellement technologique, avec le 4K et le HDR qui suscitent de nouvelles restaurations. Sans compter le cas des films de moins de 20 ans d’ancienneté du début années 2000. Tournés en pellicule et post produits en numérique, ils nécessitent souvent de refaire une post production complète en 4K pour avoir films en 4K. "Il est aujourd’hui plus simple de restaurer un film de plus de 30 ans qu’un film de moins de 15 ans". Enfin, la troisième tendance est l’arrivée des plateformes qui ont justement souvent une exigence technique de type 4K ou HDR.

Un éternel recommencement technologique qui a un coût et écrème le nombre de films qui peuvent accéder au renouvellement permanent, a souligné Nathanaël Karmitz, inquiet sur la partie du cinéma qui de ce fait est en train de sombrer dans l’oubli. "Chez mk2, 20% du catalogue fait 80% du CA. Mais il ne faut pas oublier les 80% d’autres films". Et tout ça n’est possible a noté le dirigeant que si les ayants droit ont accès à des laboratoires pour faire ce travail or "la crise des labos est aussi un éternel recommencement".

Cinéma et concurrence
Les échanges se sont poursuivis avec l’avocate Marion Lingot, qui a mis en avant le fait que le cinéma entrait dans le domaine des activités économiques où l’Autorité de la concurrence et les tribunaux, suite à une récente décision de la Cour d’appel de Paris sur Google, pourraient intervenir sur le sujet de la pluralité et de la diversité de l’offre sur les plateformes, pour répondre aux enjeux d’éducation des consommateurs. "Le cinéma est un domaine où il existe aussi des leviers juridiques face aux mutations avec l’essor du numérique. S’il y a une position dominante, on peut obtenir un rééquilibrage. Des clauses peuvent aussi être liées à l’exposition des œuvres".

Une analyse qui a conduit Nathanaël Karmitz a invité "tout le monde sur la piste de Disney et l’autorité de la concurrence. Il y a un sujet dans l'exclusion de leurs films pour salles de cinéma et de leur réservation à leur plateforme en Europe". "On parle de politique culturelle, on ne l’a pas refondée depuis soixante ans. Par exemple, qu’est-ce que la définition d’un film ? C’est une œuvre qui sort en salle, c’est dans le dictionnaire". Dans ce "moment terrible pour nous tous", le dirigeant croît "un peu" à la destruction créatrice, pour essayer de trouver un meilleur futur, un monde différent.

Jérôme Soulet a évoqué le lancement de Salto le 20 octobre, qui regarde tous les catalogues. Interrogé sur le service public et le patrimoine, il a pointé un sujet bloquant sur France Télévisions, celui de la TV rattrapage. Plus largement, il y aurait selon lui une position commune des cataloguistes à avoir sur le sujet de la TV de rattrapage.
Pour Nathanaël Karmitz, là aussi il s’agit avant tout de proposer les films au public. "L’envie de cinéma à la télévision est là, on l’a vu pendant le confinement" même s’il a regretté que France Télévisions ait choisi selon lui "la programmation la plus plate" npossible. Il a suggéré de remettre "cette mission de valorisation de patrimoine un peu plus au cœur de ses missions ne me semblerait pas fou", saluant par ailleurs la politique d’Arte.

Sarah Drouhaud


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