74949781021d91325d16f3ccd3216d69.jpg
Cinéma

Cannes 2021 - Vincent Maël Cardona réalisateur de 'Les Magnétiques' : "C’est un film de bande écrit en bande"

Date de publication : 10/07/2021 - 08:35

Choisi par la Quinzaine, ce premier long métrage situe son action dans les années 1980, au moment d’ une véritable explosion des expressions artistiques et culturelles.

Quelques mots sur votre parcours de cinéaste…
Coucou-les-Nuages, qui a été présenté à la Cinéfondation, explorait le désir "d’aller dans l’espace", un désir qui m’a toujours semblé louche. Le film partait aussi de l’idée d’incorporer un plan-séquence de décollage de fusée tourné depuis les petites caméras fixées sur le fuselage et abandonnées à leur sort. Les magnétiques est né d’un désir d’écriture collective : réunir des scénaristes de ma génération, tous nés au début des années 1980 et mesurer ensemble combien la révolution numérique a transformé le monde qui nous a vu naître en une sorte de songe, de monde séparé. Dans les deux cas, il y a une question qui résiste, quelque chose à comprendre. Le désir de conquête, la soif inextinguible d’ailleurs, dans un cas, et dans l’autre : ce qui fait qu’un monde change, se renverse, et questionne notre sentiment d’appartenance. Un film est lié pour moi à la nécessité de donner forme à un problème.
 
Et comment vous en êtes-vous venu à vous intéresser à cette époque du début des années 1980 ?
Il se passe quelque chose de très spécial dans le passage des années 1970 vers les années 1980. À l’image des radios pirates qui deviennent radios libres et apparaissent un peu partout sur le territoire avant de presque totalement disparaître, il y a une véritable explosion des expressions artistiques et culturelles. De partout dans le pays, toute une génération se saisit des moyens à sa disposition pour dire son désenchantement et son besoin de faire la fête. Elle ne se reconnaît pas dans les promesses de l’après-guerre ou les rêves de 68, elle n’attend pas grand-chose de l’avenir, elle n’a pas de plan de carrière et considère que ce qui doit advenir ne peut advenir qu’ici et maintenant. Cet esprit "no future" qu’on entend très bien dans la musique de l’époque, que ce soit dans la première vague punk, bien sûr, mais aussi dans les prémices de la musique électronique (l’invention du "beat"), m’apparaît comme prophétique. Comme si ces avant-gardistes, cette jeunesse qui découvre le marché du travail en même temps que le chômage de masse, avait senti qu’un monde était en train de disparaître et qu’ils en étaient les derniers représentants. On mesure bien aujourd’hui l’éloignement avec cette époque sans internet, sans téléphone portable, où les garçons faisaient leur service militaire et où les campagnes bourdonnaient d’insectes. À mes yeux, la génération "no future", celle de 1978-1983, marque mieux qu’aucune autre la fin de ce monde analogique et les prémices du monde numérique. L’idée du film étant de raconter cette brisure à l’échelle d’un individu. Pas dans les lieux de pouvoir où l’on décide des grandes orientations politiques, ni même auprès des artistes mythiques de l’époque, mais en province, là où l’on se sent "loin de tout", mais où pourtant se joue, à l’échelle des gens ordinaires, les mutations profondes qui rendent possible (ou impossible) le cours des choses.
 
Vous avez été nombreux à intervenir sur le scénario. Comment s’est déroulée cette collaboration à six ?
Nous sommes trois garçons et trois filles à avoir écrit ce film, tous nés au début des années 1980. À l’origine, nous nous sommes réunis avec Rose Philippon, Chloé Larouchi et Maël Le Garrec pour écrire en bande un film de bande, avec l’idée très simple de répercuter notre énergie de groupe sur notre groupe de personnages. Par la suite, Catherine Paillé et Romain Compingt sont venu compléter le collectif. À chaque étape, l’idée a été d’être fidèle au ressenti si particulier que nous avions en commun : une époque que nous n’avons connu qu’enfants. Chacun de nous venant avec ses propres souvenirs tronqués, magnifiés et déformés. Au-delà des apports spécifiques de chacun au scénario, j’ai toujours veillé à rendre tangible ce lien que nous avons tous avec nos personnages, comme si nous écrivions l’histoire de nos grands frères et sœurs.
 
Vous faites partie d’un collectif… cela influence votre façon de travailler ?
À l’heure de l’hyperindividualisme, le collectif est un refuge. Sortir de chez soi, c’est une manière de sortir de soi. Travailler à plusieurs revient au fond à se protéger de la dureté de plus en plus prégnante de la solitude dans nos manières de vivre. Au-delà de l’intérêt évident qu’il y a à s’enrichir mutuellement des points de vue de l’autre, dans l’époque qui est la nôtre, c’est surtout le plaisir d’être à plusieurs qui créé le désir et le besoin de collectif. La joie de se retrouver est un moteur puissant.
 
Comment s’est opérée la rencontre avec David Sztanke ? Vous aviez des idées précises en tête sur la musique ?
C’est Thibault Deboaisne, le superviseur musical, qui m’a présenté David. C’est une rencontre importante parce que nous savions dès le début que la bande-son des Magnétiques serait riche en musique pré-existante. Il fallait trouver un chemin entre ces morceaux très présents et très marqués pour faire entendre autre chose, une sorte de thème discret mais entêtant, comme le souvenir d’une musique de film. En plus, en amont du film, nous avions amassé avec Samuel Aïchoun et Pierre Bariaud (mixeur et monteur son du film qui ont aussi assuré la direction artistique sonore) une grande quantité de sons provenant de machines analogiques qui allaient nous servir à écrire les performances sonores de Philippe, le personnage principal, et nous voulions que le score dialogue et parfois intègre cette matière sonore. David a su intégrer tous ces éléments et contraintes pour livrer une musique qui confère à la narration l’équilibre recherché entre le temps de l’action et celui du souvenir.
 
Le tournage a eu lieu où et quand ?
Le tournage a eu lieu à la limite entre l’île-de-France et le Loiret pour la partie française, et à Dresde et Leipzig pour la partie allemande. En France comme en Allemagne, nous avons été surpris de devoir à ce point intervenir sur les décors. Comme si nous pensions naïvement qu’en nous éloignant un peu des plus grands axes, nous allions facilement trouver une patine "année 1980". Nous avons vite dû intégrer le fait que nous tournions un film d’époque, que les angles de vue seraient très limités et que tout était à reconstituer. Il a donc fallu faire avec très peu pour suggérer beaucoup. Je garde un souvenir ému de la revue des 18 figurants que nous avions en tout et pour tout pour tourner la scène de "la grande fête de l’église à Berlin-Est"… On dit qu’il n’y a pas de liberté sans contrainte. Ça peut sembler contradictoire, mais c’est aussi une très belle entrée dans la compréhension de ce qu’est la mise en scène.
 
Le film était prêt depuis l’année dernière… Cette longue attente avant de voir votre film sortir enfin sur grand écran n’a pas été trop frustrante, trop dure ?
Avec Flora Volpelière, nous avons terminé le montage image comme prévu le 16 mars 2020. Soit, au jour près, au début du premier confinement. J’ai donc d’abord vécu toute la suite du point de vue de celui qui avait eu de la chance. Ensuite, nous avons vite décidé de geler la fabrication du film à cette étape afin d’attaquer le montage son dans de bonnes conditions. Nous avons donc repris tranquillement la postproduction du film à l’automne 2020 et le mixage a eu lieu début 2021. Cet étirement du temps de fabrication n’a donc pas été difficile à vivre, loin de là, il nous a permis de bénéficier de beaucoup de recul dans la fabrication.
 
Qu'attendez-vous de cette sélection cannoise ?
Je garde un très bon souvenir de la sélection de mon film de fin d’études à la Cinéfondation. Ça avait été l’occasion de rencontres extrêmement précieuses pour moi avec les autres jeunes réalisateurs et les membres du jury, dont Atom Egoyan et Emmanuelle Devos, et ça avait donné une visibilité internationale assez inespérée pour ce petit film. Je suis très heureux d’avoir la chance de revenir à Cannes, à la Quinzaine tout particulièrement, qui met précisément l’accent sur les rencontres entre les auteurs, pour vivre en plus grand cette expérience. Le contexte actuel, entre le retour du cinéma en salles et les grandes questions sur l’avenir de l'industrie, donne à l’événement cannois encore plus de sens, d’excitations et d’enjeux.
 
Quels sont vos souvenirs cannois, notamment lors de cette sélection à la Cinéfondation ?
Je me souviens de très beaux films, comme Poetry de Lee Chang-dong qu’on avait vu au grand théâtre Lumière, et aussi The Painting Sellers de Juho Kuosmanen, qui était à la Cinéfondation avec moi. J’avais adoré plus tard son premier long métrage, Olli Maki, qui était à Un certain regard en 2016. Et j’ai vu qu’il était cette année en compétition officielle avec un nouveau film. J’ai très hâte de voir ça !

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo :


L’accès à cet article est réservé aux abonnés.

Vous avez déjà un compte


Accès 24 heures

Pour lire cet article et accéder à tous les contenus du site durant 24 heures
cliquez ici


Recevez nos alertes email gratuites

s'inscrire