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Cinéma

Congrès FNCF 2021 - Les investissements dans les salles en débat à la table-ronde

Date de publication : 23/09/2021 - 08:04

La traditionnelle table-ronde de la grand-messe des exploitants français a été l'occasion d'aborder toutes les thématiques financières et d'investissement propres aux salles dans ce contexte de crise, afin de réfléchir collectivement au développement du parc hexagonal.

"Il est essentiel que nous ayons les moyens de maintenir le plus beau parc de salles au monde. Et pour cela, il va falloir que nous continuons massivement à investir". C'est par ces quelques mots que Richard Patry, président de la FNCF, a introduit la traditionnelle table-ronde du Congrès des exploitants, organisée ce mercredi 22 septembre au matin sous l'appellation "Quels investissements et quels financements pour assurer l'avenir du cinéma en salle ?".

Modérée par Laurent Cotillon, directeur exécutif du Film français, elle a d'abord été l'occasion de se pencher sur une question essentielle : quels risques une absence de réinvestissement dans les salles ferait-elle peser sur le secteur ? "L'investissement est le moteur de la croissance de l'exploitation", a répondu d'emblée Cédric Aubry, dirigeant du réseau Cinéma Confluences, tout en soulignant que "la période ne nous encourage pas sur le court terme à investir". "Le cinéma est un commerce qui vieillit, il a besoin en permanence de se renouveler", a renchéri Yves Sutter, directeur général de Cinéville, citant en ce sens aussi bien l'accueil du public que les technologies proposées ou la stratégie digitale des salles. Le risque étant, pour les cinémas qui "n'auraient pas bougé pendant 10-15 ans, de prendre un coup de vieux", pouvant ainsi générer "une déperdition de clientèle".

En corollaire, stopper les investissements impliquerait également un arrêt du développement de nouvelles salles, particulièrement problématique dans le cadre d'une logique d'aménagement culturel du territoire et de proximité. "Si on veut aller chercher de nouveaux spectateurs, il faut aussi continuer à avancer dans le maillage territorial. Ne pas investir, c'est aussi ne plus progresser dans cet axe qui a été important pour le développement du marché au cours de ces dernières années", a ainsi pointé Yves Sutter.

Reste que les 18 derniers mois ont évidemment porté un coup sévère au développement de nouveaux projets de salles, en particulier de création. Si les projets déjà lancés, pour lesquels il était donc très difficile - voire impossible - de rebrousser chemin ont été - ou sont sur le point de l'être - menés à leur terme malgré la crise sanitaire, bon nombre ont été mis à l'arrêt. "Trois de nos chantiers devaient démarrer au printemps 2020 (peu de temps après le confinement, Ndlr). Pour préserver notre trésorerie, nous les avons gêlés", a ainsi témoigné Yves Sutter, qui envisage malgré tout de les mener à bien. "Nous avons a priori une confiance dans l'avenir qui va nous permettre d'envisager de les réaliser", a poursuivi l'exploitant. Avec, pour le moment en tout cas, la volonté de conserver ces projets tels quels, sans les redimensionner à la baisse.

Tous les exploitants adopteront-ils, pour autant, la même position ? Selon Yves Sutter, "tout dépendra de la croyance de chacun dans le marché futur. Certains exploitants n'imaginent pas que le marché repassera la barre des 200 millions d'entrées. Dans ce cas-là, nous sommes dans un contexte de marché différent, avec des potentiels de fréquentation qui ne permettent plus de faire les mêmes investissements, et on réajuste donc les équipements. Si on a la conviction, à moyen terme, que le marché reviendra au niveau que nous connaissions avant la crise - ce qui est mon cas -, il n'y a pas de raison de redimensionner les choses".

Une question de confiance
Cette intervention a ainsi pointé l'un des axes essentiels entourant cette problématique de l'investissement : la confiance. Celle des exploitants eux-mêmes, bien sûr, mais aussi des organismes banquaires et des élus locaux dans l'avenir même du cinéma. Entre un marché bouleversé et un endettement - PGE en tête - croissant, difficile en effet pour les exploitants de fonctionner de la même manière qu'avant la crise.
 
Sur ce point, les panélistes banquiers se sont montrés plutôt rassurants. "Il est quand même étonnant que ce soit au banquier de rassurer son emprunteur. Pourtant, cela nous est arrivé assez souvent [durant la crise], a tenu à préciser Henri de Roquemaurel, directeur du pôle Images & Média de BNP Paribas. "Nous croyons au secteur et en la salle." "Il n’y a pas de crise de confiance par rapport à l’exploitation", a appuyé Karim Mouttalib, directeur général de l’Ifcic. "La diversité et la vitalité de la production française forment un gage de confiance", a pointé pour sa part Patrick Raude, président de la commission d'aide sélective à la petite et la moyenne exploitation du CNC.
 
Toutefois, quelques points d’inquiétude ont été soulevés lors des échanges, notamment autour de l’évolution de la chronologie des médias typique au système français. "Il faut certes un délai minimum pour inciter les Français à aller dans vos salles", a ainsi interpellé Patrick Raude, à destination des exploitants dans l’assemblée. "Mais vous êtes aussi concernés par ce qui se passe plus tard dans la chronologie des médias, car si certains des acteurs se voient repoussés très loin, ils peuvent prendre la décision de ne pas sortir le film en salle, pour éviter d’avoir à refermer une fenêtre ultérieure pendant 18 ou 24 mois." Aussi, les stratégies de day & date, voire de lancement direct en ligne, tentées par plusieurs studios américains depuis le début de la pandémie, ont pu susciter des doutes chez les financiers. "Nous sommes au final plutôt rassurés sur ce point, car les studios eux-mêmes commencent à se dire que sortir directement sur leur plateforme va à l’encontre de leurs intérêts propres et, finalement, détruit de la valeur sur leur film", a expliqué Karim Mouttalib.
 
Un autre point d'interrogation persiste autour de la loi Sueur depuis la décision rendue en mars par le Conseil d'Etat, entérinant l'impossibilité pour les collectivités de financer la création de nouveaux cinémas à travers ce dispositif, ce qui "commence à poser vraiment problème sur certains projets", a fait savoir Antoine Mesnier, directeur général de Vuillaume-CinéConseil. Enfin, un autre doute réel s’est manifesté "autour du renouvellement du public", selon Karim Mouttalib : "la génération des 14-25 ans, très connectée sur les écrans avec peu de temps disponible, va près de deux fois moins au cinéma que ses aînés. Il y a un véritable enjeu générationnel."
 
Des projets qui repartent en nombre
Du côté des exploitants, force est en tout cas de constater qu'une nouvelle dynamique semble s'être amorcée depuis quelques mois. "Nous avons ressenti un fort redémarrage lors de la commission (d'aide sélective à la petite et moyenne exploitation, Ndlr) de mai", a ainsi relevé son président, Patrick Raude. "Nous avons, depuis le début d'année, une reprise de demandes d'études de marché, d'accompagnements de projets, très nette", a confirmé Eric Lavocat, dirigeant du cabinet d'études Hexacom, tout en pointant une "évolution du contenu des projets" étudiés pour les sites de petite et moyenne tailles qu'il accompagne.
 
Un constat corroboré par Antoine Mesnier. "Depuis le 19 mai, les montagnes émotionnelles que vivent les exploitants depuis plusieurs mois n'empêchent pas de sentir beaucoup plus d'énergie et de détermination. Il y a toujours des projets de création, beaucoup de projets d'extension sur des petites structures, liés souvent aux collectivités locales". Le tout pour des établissements qui "coûtent de plus en plus cher", à la fois en raison des "coûts de construction" et de l'usage même des salles, c'est-à-dire "ce que l'établissement propose en dehors du cinéma".

Jeune public, développement durable : où investir ?
A ce titre, le renouvellement du public fait consensus au sein du panel d’invités en tant que destination prioritaire des investissements. "Les investissements d’aujourd’hui font les spectateurs de demain", a ainsi formulé Patrick Raude. Cette attention se retrouve en effet sur les types de nouveaux projets, qu’il s’agisse de rénovations, d’extensions mais aussi et surtout de créations, qui sont mises en œuvre ces dernières années – et surtout depuis la crise sanitaire.

"Sur des petits établissements en projet, de monoécrans jusqu’à cinq à six écrans, on remarque une évolution du contenu de ces projets", a témoigné Eric Lavocat. Aussi, ceux-ci seraient moins centrés sur l’amélioration de l’expérience cinéma, mais davantage sur l’élargissement à d’autres publics que celui des salles. "Beaucoup de cinémas, et surtout municipaux ou soutenus par des collectivités, vont ainsi vers l’idée d’un vrai lieu de vie communautaire, avec des services et des activités pas forcément liées à la diffusion du film." Et l’expert de citer notamment des ludothèques, médiathèques, espaces de co-working ou salles de e-gaming ou de fêtes adossés à ces projets. "Avec pour chacun un objectif clair : faire revenir le public jeune." Des projets aux devis pour le coup plus chers, et qui peuvent donc représenter de vrai challenges de financement, d'autant que certaines de ces innovations sont rarement prises en comptes par les différents dispositifs de soutien dédiés au cinéma, étatiques ou territoriaux.
 
Autre cible essentielle d’investissement définie par les panelistes : le "cinéma vert", versé dans un développement durable, structurellement comme fonctionnellement, pour participer notamment à l'élan souhaité par le gouvernement de "décarbonisation" de la filière cinéma, mais répondre aussi à des enjeux économiques face à une éventuelle crise énergétique. "L’économie d’énergie forme le premier point majeur sur lequel nous devons réfléchir aujourd’hui", a établi Jean-Pierre Villa. A ce titre, les réflexions portent donc aussi bien sur les matériaux employés pour le bâti, que sur l’équipement choisi. "Le choix du lieu où l’on construit le cinéma est majeur en termes d’économique d’énergie", a argumenté Jean-Pierre Villa. En effet, les investissements nécessaires pourraient se révéler plus coûteux pour des établissements en centre-ville, où les conditions urbaines sont plus contraintes, où d’autres plus anciens, bâtis avec d’autres normes. Une piste de réflexion serait alors de les convertir. "Dans les bâtiments anciens, il y a plus de perspectives de production d’énergie que d’économie d’énergie, car ils ne sont pas adaptés", a souligné Yves Sutter.

La question de la destination des investissements a d’ailleurs permis à Patrick Raude de rappeler l’orientation politique des pouvoirs publics quant aux priorités de l’aide sélective : la transformation des monoécrans en complexes, et le développement de salles dans les centres-villes des agglomérations moyennes.

Jusqu'où développer le parc de salles ?
Dans ce contexte, Henri de Roquemaurel a apporté une voix dissonante en questionnant la pertinence même de la création de nouveaux écrans dans un pays selon lui déjà très bien doté, avec deux fois plus d'écran par habitant qu'au Royaume-Uni selon ses données. "Je ne suis pas certain que la création de salle soit notre vrai sujet", a-t-il indiqué, pointant a contrario la pertinence des stratégies de "repositionnement, de modernisation, d'orientation vers une clientèle plus jeune (...). Aller financer des extensions du parc aujourd'hui, cela me parait curieux".
 
Si Patrick Raude a fait savoir qu'il ne partageait pas du tout cette analyse, Yves Sutter a livré lui "un équilibre entre les deux positions. Se poser la question de l'importance du parc est tout à fait légitime. Il y a encore des endroits où il y a un éloignement du public, qui nécessite la création de nouveaux établissements dans le cadre d'un rapprochement géographique, ce qui va faciliter la fréquentation et la pratique du cinéma. On doit néanmoins se poser la question dans des zones de densité d'équipements plus forte, pour des questions d'équité de concurrence notamment", a exprimé l'exploitant, soulignant lui aussi "l'écart de plus en plus fort entre le coût des projets et leur rentabilité intrinsèque".

Création de valeur
Un débat qui renvoie en effet à la performance et à la croissance de l’exploitation cinématographique. Celle-ci représentait, en France en 2019, 1,428 Md€, contre 1,5Md€ pour le streaming et 3,7Md€ pour les jeux vidéo. Pour autant si le parc compte aujourd’hui 15% d’écrans et 30% de séances en plus qu’il y a 10 ans, hors pandémie, la fréquentation est restée stable sur la dernière décennie, entre 200 et 210 millions d’entrées – avec une chute exceptionnelle sous les 200 millions en 2013. Un constat de "stagnation" qu’a reconnu Yves Sutter, qui a toutefois relevé que le taux de fréquentation par habitant comptait parmi les meilleurs au monde : "nous ne sommes pas non plus dans un effort vain, et peut-être que si nous n’avions pas fait ces investissements, nous serions dans la situation de certains pays voisins."
 
"Nous n’investissons non pas pour gagner mais pour préserver, ce qui est très important !", a poursuivi l'exploitant "Après, effectivement, quand on parle de valeur, on parle aussi de revenus, et nous pourrions lancer une réflexion sur le prix des places. Aussi, reste la question d’où va la valeur ? Le surcroît de valeur profite aussi à la diversité de l’offre et notamment au cinéma national."

Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
© crédit photo : SDE


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