Cinéma

Lumière MIFC 2021 - Un patrimoine cinématographique suisse encore trop peu visible

Date de publication : 13/10/2021 - 08:20

La Suisse étant le pays invité du Marché International du Film Classique, plusieurs représentants de son cinéma de patrimoine débattront lors d’une table ronde, autour des spécificités de cette confédération constituée de quatre régions culturelles et linguistiques.

Identifiée depuis longtemps grâce à la personnalité de son créateur Freddy Buache, qui l’a dirigée de 1951 à 1996, la cinémathèque suisse conserve des films du monde entier, aux côtés de ceux de son propre patrimoine. "Elle cumule les rôles de trois institutions" explique son directeur actuel Frédéric Maire. "Les fonctions de la cinémathèque française à savoir un regard sur le monde, celles des archives du film, soit la préservation du patrimoine national mais aussi, dans une moindre mesure, ce que fait l’Ina, puisque certaines chaînes de télévisions suisse ont parfois déposé chez nous des éléments tournés sur pellicule". S’ajoute aussi la problématique régionale et linguistique, la cinémathèque devant travailler sur un horizon à la fois francophone, germanophone, italophone et romanche.

En termes de pure conservation "entre 90% à 95% de notre patrimoine cinématographique est sauvegardé" estime Frédéric Maire. La cinémathèque a inauguré en 2019 son tout nouveau centre de recherche et d’archivage de Penthaz dans le Canton de Vaud. "Nous pouvons y conserver de l’analogique et même du nitrate ainsi que du numérique. Le cinéma d’il y a 125 ans et celui d’aujourd’hui, films internationaux et suisses, se côtoient ainsi sur un même site". Les collections, de même que les locaux de recherche et de numérisation, se répartissent sur 6000 m2, scindés en plusieurs niveaux dont plusieurs sous-sols.

Si le patrimoine du pays n’est donc plus en danger il est malheureusement peu visible, aucun plan systématique et ambitieux de numérisation n’ayant été véritablement mis en place.  Mais des opérations ponctuelles existent, l’une des première à avoir été lancé étant la mission Memoriav dans les années 90. L’idée de base était alors de travailler sur des films au support particulièrement dégradé. Très récemment l’Office Fédéral de la Culture a lancé une programme de numérisation, qui prend comme critère de base les longs métrages ayant obtenu un Prix du cinéma suisse (équivalent des César créés en 1998) en fiction comme en documentaire, ainsi que les films ayant été sélectionnés dans des festivals de catégorie A. "Environs 200 longs métrages suisses sont à présent disponibles en numérique" estime Frédéric Maitre.

LE CAS DES FILMS D’ALAIN TANNER
Mais beaucoup considèrent ce rythme insuffisant. "Il n’y a pas une volonté politique réelle, adossée à des moyens financiers suffisants" explique Gérard Ruey, président de l’association Alain Tanner, créée en 2017. Cet ancien producteur, a décidé de prendre le problème à bras-le-corps après avoir découvert que seul La Salamandre (photo) avait été numérisé. "Cela m’avait interpellé d’autant que le cinéma de Tanner a une certaine importance sur le plan européen et que ses films sont relativement demandés à l’international. Je me suis dit qu’il fallait m’en occuper".

Après avoir réuni des fonds par l’intermédiaire d’acteurs publics et privés, l’association s’est lancée, avec pour objectif "de numériser toute l’œuvre d’Alain Tanner. Ce n’est pas un seul film qui fait la valeur du travail d’un cinéaste mais un ensemble". Une tâche facilité par le fait que Tanner était producteur de la majorité de ses films, via sa société Filmograph SA., à l’exception de titres particulièrement importants, financés en coproductions : Le Milieu du monde, Jonas qui aura 25 ans en l'an 2000, Messidor et Les Années lumière. Pour ces derniers la situation s’est avérée bien plus complexe, nécessitant un vrai travail d’enquête. Et elle est toujours bloquée à ce jour pour Le Milieu du monde.

RENDRE LE PATRIMOINE SUISSE PLUS VISIBLE
Heureusement de plus en plus d’acteurs se penchent sur ce problème de la visibilité des œuvres du patrimoine suisse. La plateforme Filmo se présente comme un portail orientant vers "les pépites du cinéma suisse" via une redirection vers des plateformes existantes. Elle a labellisé une centaine de films qui peuvent être regardés en streaming ou achetés sur blue TV, AppleTV, Sky, OnDemand d’UPC, cinefile, eyelet, filmingo, Daily Movies et myfilm.ch. Et en 2020, le festival de Locarno a lancé Heritage Online, base de données permettant de mettre en relation détenteurs de droits et plateformes ou directeurs artistiques de festivals. "Notre ambition n’est pas à visée économique. Il s’agit notamment de faciliter le travail des programmateurs de films de patrimoine, qu’ils travaillent online ou sur site. D’autant que la Svàd représente un nouveau débouché pour le cinéma de patrimoine" souligne son créateur, Markus Duffner, qui a pris la tête de Locarno Pro en début d’année. Reste que Heritage Online n’est pas uniquement dédiée au patrimoine suisse.

Lancée en novembre 2020, Play Suisse est un projet interne à la SRG-SSR, la télévision publique suisse, divisée en quatre entités régionales : RTS (Suisse romande), SRF (Suisse alémanique), RSI (Suisse italienne) et RTR (Suisse romanche). Visible uniquement par les résidents suisses, utilisée par 700 000 personnes, cette fenêtre sur la production helvétique n’a pas vocation à diffuser du patrimoine, mais elle le fait par le biais de thématiques, en mettant en avant des périodes particulière ou même des cinéastes.

DES FRONTIÈRES LINGUISTIQUES PEU POREUSES
Reste encore une difficulté, celle des frontières linguistiques inhérentes au pays. "Il y a eu un âge d’or du cinéma suisse allemand qui date des années 30 jusqu’au début des années 60 avec les films de Leopold Lindtberg ou de Franz Schnyder. Mais ils sont quasiment inconnus en suisse romande. Les films transnationaux sont extrêmement rares, hormis peut-être Les faiseurs de Suisse de Rolf Lyssy, Les Petites Fugues d'Yves Yersin et quelques films d’Alain Tanner" détaille Frédéric Maire. Une cinématographie par ailleurs très masculine, hormis une réalisatrice comme Jacqueline Veuve.

Patrice Carré
© crédit photo : Filmograph SA


L’accès à cet article est réservé aux abonnés.

Vous avez déjà un compte


Accès 24 heures

Pour lire cet article et accéder à tous les contenus du site durant 24 heures
cliquez ici


Recevez nos alertes email gratuites

s'inscrire